Ouessant avant la tempête

Ouessant en emporte le vent, ouessant la marée basse, les phares en posture, les balises en cortège, le long des sentiers côtiers, à pieds ou à vélo, l’herbe spongieuse comme un lit de tourbière. La nuit tombée, vers dix heures, plus tard que partout ailleurs en France puisque nous sommes le point le plus à l’ouest, ombre venue, bras tentaculaires, le phare du Créac’h nous enserre en silence.

Le phare du Créac’h

Au loin les loupiotes rouges du Kéréon, du Stiff et de la Jument. Nividic reste blanc.

Mais il n’y a plus personne dans les phares. Fini le temps des gardiens. On ne les voit plus que muets sur les images tremblotantes en noir et blanc d’un vieux film des années quarante ou bien encore dans ce technicolor bariolé des années soixante, accrochés à un filin, débarqués par hélico, souriant à la caméra, fiers de monter encore une fois là-haut pour y rester des mois, seuls ou bien parfois à deux, dormant dans des lits fermés en bois précieux. Le Musée des Phares et Balises, sis au Créac’h, justement, nous les montre, comme il nous montre aussi l’ampleur des naufrages d’autrefois. Le grand bateau anglais venu d’Afrique du Sud et qui, voyant le but de son périple à portée, se met à accélérer un peu pour arriver plus vite mais finit sa course dans les rochers du côté des Pierres Noires, causant la disparition de 248 passagers et membres d’équipage, seulement trois survivants dont les sauveteurs furent honorés, comme le fut d’ailleurs toute l’île, par la reine Victoria qui, en remerciements des efforts, donna de l’argent pour la terminaison du clocher et à Molène, une horloge et une belle croix du Christ.

La fausse (!) Rose Héré

Plus gai fut l’échouage d’un bateau, le Vesper (1904), arrivant d’Algérie avec le ventre plein de savons et de tonneaux de vin. Une partie de l’équipage fut sauvée par l’inépuisable Rose Héré, celle qu’on voit parfois en photo avec les joues rosées, mais dit le petit guide, on se trompe alors de Rose Héré, la vraie était plus costaude, plus virile aussi. Les tonneaux ne furent pas perdus pour tout le monde.

Ces histoires d’alcool retrouvé, il en est d’autres aussi, on raconte même que pour l’un de ces naufrages, trois personnes tombèrent ivres mortes après avoir siphonné un tonneau de rhum.

Le Kéréon par beau temps

C’est en 1811 que commença l’équipement des côtes françaises. C’est vers 1907 que la construction du Kéréon, pour prévenir du courant Fromveur entre Molène et Ouessant fut entamée, il ne s’appelait pas encore ainsi, il n’était désigné que par le nom du rocher – le Rocher Hargneux – où l’on avait prévu de l’édifier. Mais c’est une dame Lebaudy – pensez au sucre ! – qui fit un don de 580 000 francs pour en accélérer l’édification et surtout pour en faire le phare le plus luxueux de tous, un palace, et qui en échange de cela, exigea que l’on donnât le nom de son grand oncle qui, à l’âge de 19 ans en fluviose de l’An II, avait été guillotiné alors qu’il clamait son innocence – l’histoire ne dit pas ce dont on l’accusait – et au cri de « Vive la République » (cri auquel je me joins en ces temps d’élection, bien entendu!). La construction dudit phare connut ses vicissitudes, l’ingénieur Crouton faillit y perdre la vie, une fois que son pied avait glissé sur un rocher humide qui se descella (et tua, du coup, l’ouvrier qui était en dessous). Les bateaux n’étaient pas assez puissants pour charrier le ciment et les autres matériaux ou alors, s’ils l’étaient, ils ne pouvaient pas s’amarrer au rocher et il fallait achever le transport au moyen de chaloupes qui avançaient à l’huile de bras. Enfin, c’est en 1916 qu’il fut inauguré, autrement dit en pleine guerre. Il avait fallu écrire moult lettres au ministère de la guerre pour démobiliser des soldats et marins afin qu’ils puissent venir finir le travail. Le premier gardien de phare devait s’appelait Kerleroux ou Malgorn, des noms que l’on retrouve souvent sur les pierres tombales du petit cimetière de l’île en contrebas de l’église.

chambre de gardien

Au Stiff, un autre phare, dont la construction remonte à Vauban, un phare à deux tours accolées, une grosse pour les pièces, une petite pour l’escalier en colimaçon, on expose les textes d’un gardien qui fut là de 1969 à 1991, du nom de Michel Bethollet, chroniqueur scrupuleux de la vie maritime, qui observa ainsi le naufrage et l’évacuation de l’Olympic Bravery, premier pétrolier échoué délivrant sa bave noire sur les rochers environnants, ou qui filma, plus paisiblement, ses quatre enfants et son épouse les matinées de soleil comme ce dimanche de Pâques où nous y étions, pique-niquant d’une boîte de sardines et d’un morceau de pain blanc à deux pas des mouettes gouailleuses qui attendaient les reliefs de notre modeste repas…

Olympic Bravery échoué en 1976

C’était en des temps paisibles. Déjà Mélenchon perçait sous Malaparte… et Macron dérivait comme un poisson léger promis à l’estomac d’une baleine… mais qui sait ? Peut-être le dimanche suivant, aurions-nous un résultat surprenant.

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6 commentaires pour Ouessant avant la tempête

  1. Les phares, leur construction difficile, le courage des hommes qui y ont vécu, leur solidité face aux éléments déchaînés, tout ceci m’a toujours fascinée…
    Merci pour ce billet !

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  2. Phares et balises : tout un monde parti à vau-l’eau…
    Il en manque dans cette campagne électorale ! Mais les vagues n’ont pas dit leur dernier mot… 🙂

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  3. Debra dit :

    Avez-vous lu la très belle trilogie de Stefansson, premier livre, « Entre ciel et terre » ?
    La langue française, en traduction, est envoutante pour parler du rapport entre hommes et mer, et poésie.
    Le weekend de Pâques, j’étais à Marseille, et nous sommes montés à Notre Dame de la Garde, où trône la statue d’une très belle dame avec un bébé dans les bras qui guette, et protège les marins errants, et risquant leurs vies sur la mer.
    A l’intérieur, on voit des guirlandes de bateaux, et si on tend l’oreille, on pourrait presque entendre la murmure de toutes ces prières montées au Ciel pour demander la protection du bien aimé parti au loin pendant des mois.
    Heureusement que lui, il peut garder dans son coeur le souvenir, et le.. phare de sa femme restée au sol, un ou des bébés dans les bras, à attendre son retour.
    Qu’est-ce qui ferait revenir les hommes sinon ?…

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  4. Je crois comprendre que nous ne suivrons pas la même vague mais votre évocation est très belle..merci !

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