En mai, il me disait qu’il lui arriverait de s’absenter de manière imprévue, « pour des raisons familiales », ainsi par exemple la semaine suivante il ne serait pas là. Je lui disais que moi-même je ne serais pas là non plus la semaine d’après, puis il m’envoyait un mail pour me dire qu’il espérait être absent le moins longtemps possible mais qu’il me préviendrait lorsqu’il reviendrait, et alors deux semaines après, jugeant que l’absence avait été assez longue, je me pointai à mon rendez-vous, un mardi, tôt, dès 7h45, mais las! les rideaux étaient tirés, personne ne déclenchait l’ouverture de la porte lorsque je sonnai, il fallait se rendre à l’évidence : il n’était toujours pas là. Etait-il en retard ? je me postai sur un banc, en attendant 8h, en face de l’entrée du collège qui fut autrefois fréquenté par mes enfants, cela me rajeunissait, je voyais arriver en courant les derniers retardataires, le cartable ballotant sur leurs épaules chétives, et puis je repartis, quelque peu déçu et je repris le tram en sens inverse. Mais où pouvait-il bien être passé ? Toutes les séances avec lui, depuis début novembre, se clôturaient sur un : « on va s’arrêter là, nous reparlerons de tout ça » si bien que tout ce dont nous devions reparler s’entassait, au fil de mes rêves racontés et des libres associations d’idées… « cela vous laisse pensif » disait-il lorsque je me taisais un long moment. Et puis en partant, la cérémonie du billet, donné sur le bureau, la poignée de main, « à mardi prochain ». Il n’y aura plus de mardi prochain désormais. J’ai appris la raison de ce silence par un article nécrologique du Monde d’aujourd’hui. Mon psychanalyste est décédé. J’ai peine à y croire. On dit dans la notice qu’il était malade depuis longtemps. Je n’en savais rien. Je voyais bien évidemment que sa voix était faible mais dans ce gouffre irréel qui bée entre l’analysant et l’analysé, l’autre souvent perd de sa réalité, surtout quand – c’était sans doute le cas – il fait tout ce qu’il peut pour ne rien laisser paraître, figure d’un autre inaccessible que l’on vient voir en grande partie pour la récompense qu’il nous donne, de ces quelques mots qui signifieront que notre parole était entendue, qu’elle avait, donc, un sens. Grand, le regard noir brûlant, il a marqué la réflexion en psychanalyse, si j’en crois ce que m’en avaient dit quelques amis psychologues cliniciens (du temps où je faisais mes cours à l’université de Grenoble dans la même Unité qu’eux) surtout dans le domaine des thérapies familiales. Son silence s’est maintenant installé. On pourrait s’attendre à ce que l’analysé se rebelle, déplore cette absence. J’admire surtout la grandeur qu’il y a chez un homme (ou une femme) à rester debout jusqu’aux instants ultimes, à faire comme si de rien n’était, alors que de toute évidence, on sait que la mort va nous cueillir sous peu.
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@ alainlecomte : même les psychanalystes n’y échappent pas.
Lacan le prochain (la question ne se pose plus) ?
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Le patient ne voit dans le soignant que l’oreille qui l’écoute, et n’attend de lui que le service médical qu’il est venu chercher. Parfois, avec le temps s’installe une relation plus humainement interactive. Cependant les choses se gâtent quand le patient (plus souvent la patiente, qui est plus attentive naturellement…) s’inquiétant de la mauvaise mine de son médecin, s’enquiert de sa santé : »Docteur, vous avez une mine terrible, il faudrait prendre soin de vous, sinon qui va me soigner ? ».
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sauf que le rapport de l’analysé à l’analyste n’est pas tout à fait le même que celui de patient à docteur.
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Toutes mes condoléances. Je ne sais pas si je connaissais cette personne, c’est possible.
Un grand homme, manifestement, comme d’autres que j’ai connu dans le milieu.
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ses initiales sont F.M. et il était très connu dans les cercles psychanalytiques grenoblois (un spécialiste des thérapies familiales entre autres). Ses obsèques ont eu lieu hier matin à Gières (hélas, je n’avais pas été prévenu et n’ai donc pas pu y aller)
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