Récemment, j’ai feuilleté un livre en devanture d’un bouquiniste, c’était un roman de l’écrivain israélien Amos Oz, dont le titre était « Seule la mer ». Feuilletant au hasard, en fait de roman, je tombe sur des poèmes. Ce livre a donc la particularité étonnante de ne se composer que de poèmes (souvent une demi-page, jamais plus de trois pages) pour raconter une histoire. Je n’avais jamais entendu parler de ce roman en forme de poèmes. Je n’ai que très peu lu Amos Oz. Je me suis évidemment procuré ce livre, mais plus tard, en édition Folio. Le lisant, je trouve de plus en plus que c’est un livre étonnant… Il raconte l’histoire de gens ordinaires, tout ce qu’il y a de plus ordinaires. Un père de famille, qui s’appelle Albert Danon, triste et seul car il vient de perdre sa femme, à laquelle l’attachait un amour sincère. Nadia, s’appelait-elle. Morte d’un cancer. Leur fils, Rico, n’ayant probablement pas pu supporter cette perte, est parti voyager dans l’Himalaya. Il fait tous les pays : Tibet, Népal, Bhoutan, Ladakh… accompagne parfois d’autres voyageurs, des alpinistes hollandais par exemple, avec qui il rend visite à une Maria peu farouche, qui tient une guest-house à Kathmandu. Dita, sa petite amie, est restée au pays, entendez en Israël, dans un quartier de Tel-Aviv, elle veut faire du cinéma, a un projet de film, se fait rouler par un producteur, se fait héberger chez Albert, il la traite comme sa fille, avec plein de tendresse. Parfois, d’au-delà de la mort, Nadia revient, notamment pour parler à son fils. Evidemment, compte tenu de son auteur, de la prégnance des textes bibliques sur la culture israélienne, la trame sous jacente est faite de morceaux de Bible, ce que la théorie savante appelle l’intertexte. Moi qui sais si peu de la Bible… j’apprends, et je me laisse bercer par ces mots si simples et par ce rythme incomparable que donne au roman la scansion des poèmes. Chaque épisode fugitif est comme un bloc dense, ils sont tous de taille variable, mais surtout, entre eux, on respire. On écoute un bout d’histoire, puis on s’arrête, on peut y réfléchir. Méditer. Un livre, donc, original, et beau. Dont je ne peux faire autrement que donner ci-dessous quelques extraits.
Il tourne en rond. Revient sur ses pas. Entre deux sommes
il se réveille à peine. Il va d’un village perdu à un autre. Un jour ici un jour là.
Il tombe sur des Israéliens, quelles sont les nouvelles au pays,
et s’endort. Il rencontre des femmes, échange en signe de connivence
et se ravise. Une vraie tortue. Au cours de ses pérégrinations, il a parcouru
trois ou quatre cartes. Il pourrait en franchir une autre, d’autres vallées,
une autre montagne. Le paysage s’est épuisé. Comme ses ressources,
pratiquement. Avec un peu de chance, il gagnera Bangkok, où l’attend l’argent
que lui a expédié son père. Ensuite le Sri Lanka. Ou Rangoon.
Il rentrera à l’automne. Ou pas. Sous le pâle néon d’une auberge, allongé,
somnolent, comme un malade qui attend d’y voir clair
d’une manière ou d’une autre, il distingue sur le plafond noirci des taches de montagnes
suspendues entre deux ombres. Pas question de les gravir mais de découvrir
une entrée, un passage, une ouverture, une trouée, par laquelle
ce qui me plait particulièrement dans cette page, c’est la fin, la mise en suspens… « par laquelle », sans continuation, sans point. Symbole de l’ouverture.
oui, l’ouverture est souvent donnée par la simple ponctuation (son absence ou non)
J’aimeJ’aime