Ils aimeraient sans doute un homme à poigne, haut en couleur et parlant fort, de haute stature, le front martial, le menton en galoche et le nez en brise-vent, ils aimeraient un militaire, un chef, un Kersauzon, un capitaine au long cours, un dignitaire, un curé, un commandeur, ou bien ils aimeraient un dragueur, un Dom Juan, un Casanova, un homme à mille femmes, un Berlusco, mais justement pas une femme, en aucun cas une femme. Ils aimeraient défiler au son d’un clairon et se pâmer devant des roucoulades et des déroulades, de Déroulède en Démosthène et de monsieur Thiers en Bonaparte. Ils ont eu un président excité, jamais en place, un président qui se raillait de « qui se préoccuperait de se connaître soi-même », un ennemi de la culture, de la pensée, de la réflexion, un président qui voulait se faire passer pour un Dom Juan, et en même temps un commandeur, un petit Napoléon, un homme qui parlait tout le temps, qui voulait une loi par jour, pour empêcher les fous de s’échapper, pour contraindre aux peines plancher, pour travailler plus, pour aller moins vite, pour aller plus vite – ça dépendait. Et ils se retrouvent avec un homme banal, je n’ai pas dit « normal », un gestionnaire, un technicien, un taiseux, un écouteux, un réfléchi. Quelqu’un disait sur un plateau de télé qu’il avait voté pour un syndic de copropriété, et qu’il aimait ça, après tout, car un citoyen, c’est un peu comme un copropriétaire. J’aime ça. Les fachos, certains commerçants, certains exploitants, certains artisans, les épandeurs de lisier sur les bords d’océan, les haineux qui ne veulent pas madame que les « du même sexe » s’assemblent, les visages butés, les fronts bornés, ceux qui possèdent et qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs sous, ceux qui veulent tout sans rien donner, ceux qui s’en foutent de voir la vraie misère des rues et qui pensent que le cancer de la France c’est « l’assistanat », ceux qui disent même qu’avec moins d’aide sociale, les gens seraient moins pauvres ( !), ceux qui ne vont jamais à l’hôpital – disent-ils – et qui n’ont donc pas besoin que l’on prélève des cotisations sociales, ceux qui s’en foutent du sort des autres chacun chez soi chacun pour soi, ceux-là n’en veulent pas de l’homme banal, ils n’en veulent pas non plus de la Gauche. La Gauche est illégitime, elle est galeuse, chaque fois qu’elle vient au pouvoir elle trouve moyen d’écorner la richesse des nantis, elle essaie de transformer l’école, vous vous rendez compte, il y en a même, de la Gauche, qui voudraient qu’il existe des passerelles pour entrer aux Grandes Ecoles, qui voudraient en quelque sorte ouvrir les vannes d’un système bien verrouillé, pour y faire entrer qui ? des jeunes de banlieue, des étrangers, des immigrés, des arabes, des fils et filles de petites gens, d’ouvriers, de plombiers, au lieu de les laisser croupir dans leur HLM. Il y en a qui voudraient que l’école soit un lieu conçu d’abord pour les enfants, et non pour les adultes. Arrêtez la gauche ! Faites tout pour la discréditer. Dites qu’ils fatiguent nos enfants à force de vouloir les éduquer, qu’ils vont abolir notre civilisation, qu’ils vont permettre l’appariement de l’homme et de l’animal. N’ayez pas peur, allez plus loin, toujours plus loin, faites s’écouler votre bile et votre haine, libérez le démon raciste en vous, comparez les noirs à des singes, huez, conspuez tout ce que vous savez sur les itinéraires suivis par le petit homme banal, à l’arrivée de la ministre au sourire trop éclatant. Les taxes, les impôts sont lourds, oui.
La France est un pays modeste, coincé entre toutes les puissances du monde, économiques et financières. Ces puissances asservissent, contraignent, mettent les responsables sous leurs règles, hélas. On le sait, et nous n’y pouvons pas grand-chose. Un pas de côté et c’est leur vengeance qui s’abat, il faut donc louvoyer, tenter de les satisfaire partiellement en maintenant l’essentiel : ce qui nous reste de service public, d’hôpital, d’école gratuite, d’infrastructures routières, ferroviaires, de police (publique) pour la sécurité et de juges pour la justice, ce dans quoi la Droite, si elle revenait, s’empresserait de tailler pour – disent-ils – « réduire les dépenses ».
Je n’ai pas écrit ceci dans le cours d’une insomnie, je l’ai couché au fil du clavier pour me débarrasser d’un poids. Je sais pourtant qu’il y a des petites gens aussi qui souffrent, qui hurlent au trop d’impôt, qui ne peuvent plus, tout simplement, qui craquent. Ceci est vraisemblable. On taille le costard toujours trop juste, trop étroit aux encolures, plus de marge, plus d’espoir. A qui la faute ? Je ne crois pas que ce soit celle du petit homme banal. Bien sûr il avait dit les banques, il avait dit la finance, pour à la fin ne prendre que des mesures timides, voire pas de mesure du tout, mais qui l’aurait soutenu s’il était allé plus loin ? Ne lui aurait-on pas reproché les mesures de rétorsion qui auraient suivi. Encore plus de chômage, encore plus de misère. Encore moins d’espoir.
@alainlecomte : Cela fait plaisir, cela claque contre le discours dominant (donc de la droite), la politique médiatique des « sondages » (la ligne « éditoriale » du « Monde » ou du JDD), je suis content de lire ce cri du cœur sous ton clavier.
Quand donc arrêtera-t-on de suivre, comme des moutons, les chaînes de télé style France 2 ou BFMTV, qui repassent à satiété les moindres incidents de gugusses anti-Hollande, pour faire bouillir la marmite du FN ?
La droite semble avoir libre cours, elle est en roue libre : les attaques contre Christiane Taubira en sont un symptome. Qui se dresse contre l’état pestilentiel de la France à l’heure actuelle ? On attend les Sartre nouveaux (et non les Rancière dressés sur leur ergots théoriques ou les Généreux à genoux devant Mélenchon), et ce ne sont pas les Finkielkraut ou les Bruckner (ayant oublié leur passé de soixante-huitards) qui vont relever le niveau.
Il est bien de ne pas se laisser faire par le matraquage (ou le « Hollande bashing » dont un « Libé » constate, après y avoir allègrement participé, les effets désastreux) d’une presse aux mains du capital, des « petits entrepreneurs », des gros magouilleurs et des éternels revanchards de la droite toujours égale à elle-même : celle des privilèges, de l’abrutissement du peuple (par le « populisme »), et de la réaction permanente…
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Je souscris à 100 % à ton constat mélancolique d’un homme qui sait que tout n’est pas possible tout de suite, qu’il ne suffit pas de dire « Je veux, je peux », mais qui ne peut se résoudre à la croissance de la pauvreté et à la montée des pires tendances d’une société qui a perdu sa boussole…
Etant en Bretagne, je suis profondément affligé des amalgames qui permettent aux tenants des pires conservatismes de brandir un couvre-chef rouge laissant croire que la solution est dans le bonnet…
Retrouver l’espoir ? L’audace ? Martine Aubry y suffira-t-elle ? Qui d’autre ?
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de l’espoir, oui, ce qui manque le plus, mais vous lire lucide et mesuré en redonne
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Hollande a résisté aux médias pressés jusqu’à l’épisode Léonarda où il n’a pas été à son mieux. Oui, il nous repose de Sarko et je ne sais sur le plan économique quelles sont les mesures judicieuses, toujours est-il que sur la conduite de la politique s’il a su prendre son temps – et ta formule « écouteux » est bien vue – cette focalisation sur les prochaine élections qui diffère toute mesure courageuse est un aveuglement. En ce qui me concerne j’ai mis le nom « Cahuzac » sur un ensemble de pratiques qui est celui de tout un système, d’une caste qui ne veut pas savoir qu’il y a urgence à renouveler les usages, le non cumul permettra un travail plus sérieux et un renouvellement de cadres immuables…
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Bravo. C’est courageux de dire les choses à contre-courant. Ouf! Un peu d’air que nous devons nous empresser de souffler autour de nous…
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Merci. En publiant ce post, je m’attendais à vrai dire à une véritable volée de bois vert… Je suis donc heureusement surpris de voir que (pour l’instant) les commentaires sont plutôt favorables. Presque de quoi constituer une petite cellule pro-Hollande ! (je plaisante, bien sûr…).
@DH: oui, nous sommes abreuvés sans arrêt de propos déconnectés du réel. La plupart des journalistes sont pitoyables. J’entendais hier sur FI une interview du ministre de la ville, F. Lamy, qui avait des choses passionnantes à raconter sur la nouvelle carte de la pauvreté, réalisée avec l’INSEE: ses intervieweurs n’en avaient cure. Tout tournait autour de la « côte de popularité » de FH. Les journalistes n’écoutaient RIEN de ce qu’il disait! Evidemment parler de la pauvreté pour un ministre… c’est à peine recevable.
A quels intellectuels se fier? Michel Wievorka?
@JM: il ne faut pas sous-estimer la haine à l’égard de la gauche, dont même Martine Aubry sera la cible aussitôt qu’elle sera en position « visible ».
@Guy: je ne suis pas un spécialiste de la politique au sens « tactique » du terme… je ne sais pas s’il vaut mieux que Hollande agisse maintenant ou plus tard. Quant à l’affaire « Cahuzac », je n’ai jamais eu la naïveté de croire qu’un côté de l’hémicycle était forcément blanc et qu’il n’y avait aucun membre de la gauche prêt à profiter du pouvoir pour se faire de l’argent, hélas. Cahuzac a été choisi parce qu’il était un bon technicien et qu’aux finances on a besoin d’un bon technicien, rien de plus. D’ailleurs, la droite sarkozyste ne tarissait pas d’éloges sur lui, ce qui aurait du nous avertir…
@Chantal: oui, je sais que c’est à contre-courant. J’ai longtemps hésité, d’autant que je ne privilégie aucunement l’actualité politique sur ce blog…
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