31 août
Nous avons eu droit à un dîner collectif au restaurant Ondina, en bordure du canal et à l’ombre de la grande église de Notre-Dame de Remedios, dont on fête la patronne à partir d’aujourd’hui. Les rues sont pavoisées des couleurs de la Vierge, le bleu et le blanc. Paraty est sorti du sommeil dans lequel il était plongé depuis que les mines d’or avaient cessé d’approvisionner ce port, jadis l’un des plus actifs, et qui n’avait pas seulement servi au commerce de l’or mais aussi à celui des esclaves. Une route pavée descendait alors des montagnes du Minais Gerais pour acheminer le précieux métal. Lorsqu’on a exhumé ce fantôme de village, qu’on avait oublié parce que les routes n’y passaient plus, on a retrouvé quasi intactes les maisons basses et blanches, les églises bancales et les rues de gros pavés, œuvres des Portugais.
Aujourd’hui, on ne s’y promène guère sans se tordre les chevilles. Une « Maison da Cultura » a pris la place d’une ancienne école, dans une de ces rues. On y fait des expositions temporaires d’aquarelles répétitives d’un style plutôt convenu, on y évoque des indiens (il y aurait tout près une réserve) et une boutique vend de l’artisanat fait main. C’est là que se tient notre savant colloque. Je ne vois presque rien du Brésil en réalité, puisque je suis absorbé par les cours et la conférence que je dois préparer. A midi et demie, nous sortons de la salle sombre et climatisée (trop froide) pour nous retrouver dans la clarté aveuglante des façades blanches. Les changements observés dans la rue viennent des variations de marée. Lorsque celle-ci est haute, l’eau de l’océan déborde et s’insinue entre les interstices des pavés, formant des mares, qui sont comme des coins de ciel qui se seraient soudain fracassés au sol.
On part en bande dans les restaurants (nombreux) de la cité. Ceux du centre historique sont chers, ceux de la partie de la ville où vivent les « vrais gens » le sont beaucoup moins. Au Brésil, il est de coutume de manger « au kilo » : on remplit son assiette de victuailles diverses que l’on fait ensuite peser. Souvent nous retournons à l’hôtel pour nous reposer cinq minutes avant de réattaquer. Lorsque nous sortons le soir, il fait déjà nuit. Comme nous sommes toujours à l’époque de la pleine Lune, celle-ci nous suit lorsque nous rentrons en longeant le canal.
Le canal : à marée haute, l’eau reflue et il devient alors particulièrement poissonneux : des pêcheurs lancent leur filet du haut d’un pont et il suffit de quelques secondes pour qu’il soit relevé avec trois ou quatre éclairs d’argent qui frétillent à l’intérieur.
Hier soir, avec un couple d’amis italiens, je suis allé assister à une représentation étonnante de la Compagnie « Grupo Contadores de Estorias », qui donne un spectacle de marionnettes dans une petite maison érigée en théâtre, le « Teatro Espaço ». Ces marionnettes, très réalistes, sont manipulées directement (sans fils) par deux femmes en noir. Lorsque la lumière s’éteint, il ne reste plus d’éclairée que la scénette qu’on a vu mettre en place, et qui, chaque fois, porte sur un thème défini. Le titre de la scénette est annoncé par un carton blanc au début de chaque manipulation : « India », « Valsa », « Fogo », « Primavera »… « Valsa » montre un couple de petits vieux qui flirtent timidement, « Primavera » une métamorphose faustienne, une vieille femme devenant jeune fille. La dernière scénette, la plus longue, est la plus bluffante. Une jeune femme nue, emmêlée dans un drap, est dans un rapport érotique dont on ne voit pas le partenaire, et après un court noir, on assiste à sa grossesse puis à son accouchement, jusqu’à la grosse main de la manipulatrice qui extrait l’enfant de la matrice. Du grand art. Cette compagnie a eu de nombreux succès internationaux.