maison traditionnelle de Padum
Nous campons chez Padma, près du centre commerçant de Padum, sur la route de Pipiting. Demain, nous entreprendrons notre première étape de trek, entre Padum et Karsha. Rien du tout. Juste une mise en jambes, et c’est tout plat. On voit d’ailleurs le monastère de Karsha depuis notre camping. Un jeune couple de français voyageurs est aussi là, avec guides, et nous offre des bières pour fêter leur dernier soir. C’est qu’ici, c’est bien le seul alcool qu’on puisse boire, et encore parfois en cachette (il n’est pas rare en Inde qu’on vous serve la bière au restaurant dans… une théière !). Ils se sont liés d’amitié avec plusieurs personnes de la région. En premier lieu la famille royale du Zanskar. Et oui, mazette. Car il y a bel et bien toujours un roi du Zanskar, dépourvu de tous ses pouvoirs, certes, mais qui garde une partie de son aura. Il y en a même deux pourrait-on dire, car l’autre est à Zangla, et il est son vassal. La dénomination de « roi » (gyalpo) impressionne le touriste. M. Dorjay raconte que lorsqu’il exerçait encore la profession de guide, des clients européens l’avaient prié instamment de leur faire rencontrer le roi de Zangla. Il leur avait expliqué que c’était un homme comme les autres. Mais enfin, quand même, les trekkeurs insistaient. Ils traversèrent donc le pont de Pishu à Zangla, et là, qui M. Dorjay vit-il, qui s’avançait nonchalamment vers eux, escortant deux ânes ? Le roi en personne. Eh bien , vous vouliez voir le roi, le voici, dit-il aux touristes qui ne voulurent jamais rien en croire.
Ici, à Padum, si nous en croyons nos jeunes commensaux, le prince en tout cas est très actif, et tient table ouverte à la « German bakery ». Il est heureux de rencontrer des étrangers. Nos amis d’un soir sont aussi allés au monastère de Karsha, où le grand lama les a pris en affection, leur faisant cadeau d’un de ces bonnets jaunes dont s’ornent les moines de sa secte, et d’un collier pour la jeune femme.
Au matin du 24 août, nous remarquons bien une dame européenne assez âgée, sortant de la maison de Padma, mais nous ne savons pas qui elle est.
Sur la route de Pipiting, nous avons décidé de nous arrêter à la Lamdon school, dont nous savons qu’elle a été créée par un voyageur français dans les années 1990. Nous en avions déjà entendu parler lors de notre premier passage en 1998, sans avoir pu alors nous y rendre pour cause de tension à la frontière et de hâte à prendre l’ultime bus pouvant nous ramener sur Leh. L’école de Pipiting n’a cessé de se développer depuis 1988 et elle compte aujourd’hui une centaine de filles et près de deux cents garçons. Elle est gérée par l’association AAZ (« Aide Au Zanskar »).
Nous n’avons pas besoin de notre guide pour y aller : il nous suffit de suivre les enfants qui se rendent en classe, tous en uniforme grenat. Nous sommes reçus par le principal, M. Sonam Dorjee, qui a bien voulu s’extraire un moment de sa classe juste pour nous renseigner (mais, dit-il, ce n’est pas trop grave car c’était un cours de complément). M. Sonam est tibétain, amené en Inde quand il était enfant, par ses propres parents qui s’en sont retournés presqu’aussitôt. Il a pu les revoir en passant clandestinement au Tibet une ou deux fois, mais actuellement, les visages de ses parents s’effacent de sa mémoire. Il a épousé une femme ladakhie. Nous la rencontrerons plus tard, grande et belle femme en robe bleue et lunettes de soleil, elle enseigne provisoirement les mathématiques. Les problèmes de cette école sont surtout dus à son isolement : il faut que les professeurs rejoignent leurs quartiers avant la fin mars, or en cette saison, le Zanskar est encore bloqué par la neige. Il n’y a que deux manières de l’atteindre : soit par le Chaddar (le fameux « fleuve gelé », immortalisé par Olivier Föllmi), soit par hélicoptère, ce qui demeure un moyen hasardeux, suspendu aux conditions météo et surtout aux disponibilités de l’armée. L’école a actuellement vingt-deux professeurs, mais est en manque de… professeur de mathématiques (avis aux amateurs !). La politique de recrutement est la suivante : toute famille des villages environnants a droit à la scolarisation gratuite d’un enfant. Le choix doit donc s’avérer cornélien au sein des chaumières… Les enfants apprennent quatre langues (le hindi, en tant que langue nationale indienne, l’anglais, le bhodi – langue locale apparentée au tibétain – et l’ourdou, langue de l’état de Jammu et Cachemire(*)). Et ils peuvent aller jusqu’au niveau 10 (ce qui, en Inde, correspond à deux ans avant le bac, le bac étant niveau 12). M. Sonam espère que les enseignements pourront s’étendre jusqu’au niveau 12 d’ici quelques temps.
Il nous convie à assister à l’Assemblée Générale des élèves : dans la grande cour, en plein soleil, les enfants se rangent selon un ordonnancement impeccable et chantent, au garde à vous, l’hymne national indien. Puis certains d’entre eux montent sur un podium et tour à tour s’adressent à leurs camarades, afin, nous dit-on, de développer leur aptitude à parler en public. Pendant ce temps, une dame arrive, Chantal, la présidente de l’Association, vêtue de voiles bleu ciel. Elle n’est autre que la personne que nous avons entraperçue au camping chez Padma. Salutations et aussitôt franche conversation sur cette école, son avenir, ses problèmes. Chantal est une personne dynamique, loin de certains clichés concernant les membres d’associations humanitaires. Elle ne nous submerge pas d’un discours d’auto-satisfaction et ne prétend pas que son association est la seule qui existe. Elle aimerait sans doute nous garder un peu plus longtemps afin notamment de discuter de questions pédagogiques, ou bien tout simplement… un peu du pays ! Nous devisons gaiement avec elle, trouvant même à parler de quelques connaissances communes de la région grenobloise… et je me promets de revenir un jour à Pipiting… qui sait ? pour aider les enfants à faire leurs mathématiques ?
(*) je remercie une lectrice, membre de AAZ, pour la correction qu’elle a apportée à une précédente formulation, qui gommait l’ourdou. Ajoutons que toutes ces langues ont des systèmes d’écriture différents.
Merci pour cette description de votre contact avec l’école.
Amicalement
Eliane SERVEYRE – Présidente AAZ
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Aide au Zanskar (Aazanskar.eu) est à la recherche d’un financement extraordinaire pour agrandir l’école de 7 nouvelles salles de classe. On peut voir le premier tiers de la construction, les fondations, en cours d’exécution sur la photo-vue générale de l’école ci-dessus.
Merci et bravo pour un rapport de voyage intéressant et agrémenté de belles photos.
Amicalement,
Marc Pasturel, membre d’AaZ
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