Les dimanches ne se ressemblent pas. Il y a ceux où la chronique en dernière page du Monde est écrite par Michel Onfray, ceux où elle est écrite par Nancy Huston et ceux où elle l’est par Yves Simon. Les deux dernières sortes de dimanches sont des doux dimanches, surtout ceux honorés de la prose du chanteur-compositeur, musique et poésie sont au rendez-vous. Les hustoniens sont beaux aussi, mais parfois un peu courts : ils nous laissent sur notre faim. On aimerait passer outre l’anecdote. Les frontières ont toujours été un obstacle entre les peuples, seul un doux théoricien comme Régis Debray peut leur attribuer des vertus. Comme si on était à l’abri entre nos quatre murs… L’écrivaine a toujours été angoissée par le passage des frontières. Moi aussi. Elle sait, nous savons, que c’est là que se prennent les décisions les plus arbitraires, que les abus de pouvoir sont hélas les plus tolérés. La frontière est ce non lieu en lequel règne trop souvent un non-droit. Jocelyn Benoist, le philosophe, voit aussi dans la frontière un travail du concept : c’est qu’il faut bien délimiter, trouver un seuil en deça duquel c’est quelque chose et au-delà duquel c’est autre chose. La transition se fait parfois violente, et elle nous fait violence. Moi qui viens d’être grand-père pour la troisième fois (d’un petit Sacha cette fois), je sais aussi le sens à donner à une autre frontière, dont le passage aussi peut s’avérer non exempt de violence, frontière de la naissance, de la venue à la vie. Mais là, en principe, on ne demande pas les papiers. Ce n’est pas comme pour cet ami de Nancy Huston, né en Algérie, dramaturge devant entrer aux Etats-Unis et à qui on demande de prouver son attachement à la France (afin de s’assurer qu’il ne va pas s’installer là-bas), et se fait refouler. La vie vous accueille sans que personne ne demande de prouver quoique ce soit. C’est après que ça se complique, dans l’édification des identités et des différences. Le titre de l’article de la romancière était : « empathie », elle y souligne que l’on sait depuis quelques années que plusieurs espèces animales connaissent l’empathie. J’ajouterai que le petit enfant est (comme si bien montré par la psychologue américaine Alison Gopnik – cf. billet antérieur – ) lui aussi naturellement empathique, et que c’est après que ça se gâte. Comme si la constitution d’une identité exigeait des barrières, des constructions de différences artificielles là où pourtant règne l’Un (la psychologue relate une expérience où on attribue à de jeunes enfants des couleurs de manière arbitraire, représentant des équipes, au bout de très peu de temps, voilà que les enfants se battent mordicus pour leur couleur, qui est devenue ainsi porteuse de leur identité). Barrières, frontières, Nancy Huston a raison de s’indigner (tiens, elle aussi…) du développement sournois d’un esprit anti-musulman dans notre pays, comme si, dit-elle, « les musulmans formaient une seule même communauté ».
Je vous le disais : les dimanches se suivent et ne se ressemblent pas. Le précédent était un jour sombre, c’était un dimanche avec Onfray. Un tout autre style et une toute autre idéologie, mais la tribune se rattachait aussi au thème des frontières. Voilà une manière d’en constituer une des plus primaires (et des plus bêtes, disons-le, ce qui est ennuyeux quand même pour quelqu’un qui se prétend « philosophe ») : prenez tout ce que vous détestez, et faites en un amalgame solide, que vous qualifiez de « pensée unique », agitez le tout, et vous obtiendrez en creux le portrait d’un parfait petit imbécile qui ne vibre que de son ego. Dans ce « tout » informe qualifié de « catéchisme post-moderne », vous trouvez, en vrac : le libéralisme, l’idée que l’Europe est une chance pour les nations et pour les peuples, l’idée qu’Internet est un lieu de liberté libertaire, l’idée que l’islam est une religion de paix, la dénégation du fait que le Coran contiendrait « pléthore de sourates antisémites, homophobes, misogynes, phallocrates, bellicistes, intolérantes, célébrant la torture ou la peine de mort », et le fait de taxer de populisme ceux qui, tout simplement… « ont le souci du peuple » ! Avouez que le passage des opinions libérales à la défense de l’islam offre un raccourci saisissant, comme si un libéral genre Heurtefeux avait un immense respect pour l’islam et les musulmans. Les Le Pen père et fille parlent à tout bout de champ de « démocratie réelle » et disent avoir « le souci du peuple », c’est donc probablement à tort, si l’on en croit notre philosophe chéri du Monde, qu’on les taxe de populisme et de démagogie… Reconnaissons à Onfray la belle idée d’avoir fondé une « université populaire », mais quelle tristesse de voir sombrer cette idée au niveau de ce qu’il est convenu d’appeler des discussions de café du commerce.
Et vous, ce dimanche, que fîtes-vous ? Eh bien nous allâmes, une fois n’est pas coutume, nous balader en voiture du côté des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute Provence. Un ciel pur apportait un repos cristallin après ces semaines de grisaille, au petit matin pourtant les fenêtres de l’hôtel (petit hôtel à Serres, je vous le recommande si vous allez randonner par là – il y a de quoi faire – ) étaient toutes givrées. Nous avons voulu pousser jusqu’à Sisteron, où il faisait grand froid, il ne restait qu’à entrer dans un café, ou bien à visiter la cathédrale, qui était chauffée, et pleine à craquer. Emouvant contrepoint aux envolées haineuses du pseudo-philosophe, le rite religieux (je n’y connais rien, je n’étais que témoin) recommandait ce jour là que les fidèles s’embrassent entre eux et se saluent fraternellement.
Coqueluche de ceux qui croient être en dehors du « politiquement correct », le philosophe médiatiqué Michel Onfray écrit au gré du vent dominant du secteur : la girouette anti-Freud a un gros problème d’égo.
Une « cathédrale chauffée », c’est comme une église sans sermon en chaire : on ne doit plus éprouver le hiératisme du lieu. Et pourquoi pas des écrans plats accrochés aux piliers afin de mieux suivre l’homélie du prêtre si loin, là-bas, dans le choeur ?
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ça m’a étonné aussi qu’il ne mette pas l’idée que la psychanalyse nous ait apporté quelque chose parmi les attributs de son « catéchisme »…
ah bon, une « cathédrale chauffée », ça sonne comme un oxymoron ?
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chauffée si peu sans doute. Oui, les églises se repeuplent, de gens qui prient, retour à l’enfance je pense, population aux cheveux blancs.
Félicitations à vous deux pour votre troisième si le grain ne meurt
Ce dimanche, mon père a dit à ma mère qu’il espérait qu’elle resterait veuve et ne chercherait pas un remplaçant après son décès.
La veille, j’avais appris qu’il avait été radio-navigant sur un avion à Fès. Ma mère a craqué au prestige de l’uniforme, qu’il était beau, mon père, sous-lieutenant ! 20 ans elle avait, je lui pardonne.
Et après, délice des dieux, Un Flic suivi de Les enfants terribles de Cocteau, par Melville.
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Pourquoi ne pas chauffer les cathédrales ? La prière étant, dans nos contrées, une activité immobile, il ne faudrait pas que les rares fidèles qui fréquentent ces lieux « hiératiques » ne se transforment en statues de glace, sauf si ce pouvait être un subterfuge pour éviter les flammes de l’enfer !
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alors, l’exigence de vérité m’oblige à dire que:
1) la cathédrale était très bien chauffée,
2) l’assistance était très diverse, pas seulement des vieillards chenus, mais
beaucoup de jeunes et d’âge moyen aussi.
Peut-être étions-nous dans une église progressiste: la messe était
servie par de très jeunes filles, et, ce qui était appréciable aussi, c’est que,
pendant notre passage, nous avons eu la chance d’entendre deux
cantiques chantés par une excellente soprano…
de quoi presque se laisser séduire!
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