Tourisme? Voyage?

Sur France-Inter aujourd’hui un débat avait lieu avec des auditeurs sur les bienfaits et les méfaits du tourisme. Pénurie énergétique, pollution : les arguments contre le voyage lointain sont nombreux, et pourtant si on veut rencontrer « l’autre », sous toutes ses formes (autres visages et autres paysages), comment le faire sans voyager au loin ? Question épineuse pour « Kiki soso largyolo » qui repart en Inde cet été, marcher sur les sentiers de la Nubra.

Les débatteurs en appellent à « de nouvelles formes de tourisme » : un tourisme, disent-ils, « de proximité ». On peut sans doute, après tout, trouver l’autre au bas de chez soi. Intellectuellement, ça se défend. Après tout, l’autre commence à la limite de ma peau. Mais bon, allons-nous nous recroqueviller sur nous –mêmes, plaider pour un « chacun chez soi, les veaux seront mieux gardés » ? Désolé, je suis un incurable « voyagiste »… Un ami, que je n’ai plus vu depuis l’enfance, me raconte son voyage récent en Chine, ce fut pour lui une révélation. Il dit que ce voyage restera pour lui le voyage de sa vie, il dit qu’il a laissé un peu de lui-même dans ce pays et qu’il a hâte d’y retourner le plus vite possible pour y retrouver « ses chers amis chinois restés là-bas ». Cela me rappelle un voyage effectué en solitaire du côté de Darjeeling. J’errais parmi les jardins et les petites maisons en planche sur une colline dominant Kalimpong. Je croise un écolier rentrant chez lui, qui me demande une photo. Je lui demande son adresse afin de la lui envoyer lorsque je serai rentré en France. Il m’emmène chez lui. Il y a là une dame de mon âge, qui s’occupe de toute une fratrie, ce sont ses neveux et nièces (il est souvent le cas qu’une tante se sacrifie pour élever les enfants lorsque les parents travaillent), ils ont entre sept et dix-huit ans. Le garçon de seize ans fait des maquettes de bateaux, lui qui, ayant toujours vécu dans ces contreforts de l’Himalaya, n’a jamais vu la mer. Il a réalisé une maquette du Titanic en partant seulement de l’affiche du film. Il a fait les cheminées aussi hautes que des mâts. L’ainée, de dix-huit ans, est folle de joie de me voir et de me raconter ses projets. A un moment, la tante me dit : « I want you to be my brother », et elle va chercher les ornements pour la cérémonie qui nous fera désormais frère et sœur, elle met son plus beau sari. Je prends des photos. Grand moment d’émotion. Plus tard hélas les incertitudes du trafic postal entre l’Europe et l’Inde auront raison de nos contacts épistolaires, mais entre temps j’aurai envoyé ma contribution pour aider à la scolarisation de ces enfants. Ces moments-là n’existent que dans et par le voyage. Cette envie irrépressible que nous avons d’aller voir ailleurs, d’échanger avec notre semblable même s’il vit à dix mille kilomètres, comment la combattre ? qui arrivera à la combattre, même au nom de la chèreté du pétrole ? faut-il vraiment la combattre ? Mon ami revient de Chine : son capital d’information sur la Chine est totalement transformé. Comment cela aurait-il été possible s’il s’était contraint à ne pas y aller ? Bon, admettons, tout le monde ne « voyage » pas de la même manière… il y a des « bronzés » qui ne souhaitent qu’être transportés  pour aller trouver les mêmes plages et les mêmes hôtels que chez eux. On me dit que ceux-ci constituent  la majorité des touristes. Alors, à cause d’eux, il faudrait s’abstenir de parcourir le monde ? Méfaits du tourisme. Oui. Le mot « touriste » eut autrefois, à l’époque des guides Baedeker, ses lettres de noblesse : il ne les a plus aujourd’hui, car il s’est redéfini. « Tourisme » ne désigne plus que l’industrie qui porte ce nom et qui, telle n’importe quelle autre industrie, vend du voyage comme on vend des blue-jeans. « Voyage » est autre chose.

Ce billet est l’autre face de ceux qui évoquaient une réalité ô combien plus tragique : celle des migrants venus d’Afrique, dont je parlais hier, et encore avant-hier, celle de ces hommes que rien n’arrête dans leur folle envie de partir de leur trou de misère, pour essayer d’avoir une autre vie en Europe ou en Amérique. Peut-on les comprendre si on n’a pas voulu soi-même partir ?

 

titanic.1217592712.jpg
Le Titanic de Kalimpong
devi-darnal.1217592687.jpg
Nièce et tante à Kalimpong

Cet article a été publié dans Voyages. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

3 commentaires pour Tourisme? Voyage?

  1. Posuto dit :

    Quel beau billet !(et qui partait pourtant d’une bien piètre émission si je ne me trompe, celle qui fait se succéder les partisans du pour et ceux du contre dans une sorte d’affrontement stérile, enfin, c’est en tout cas ce que j’ai entendu à plusieurs reprise sur France Inter cet été)
    A propos de pour et de contre, je suis pour ce « voyage » que vous décrivez !
    Kiki 🙂

    J’aime

  2. chroniqueba dit :

    Merci pour cet article :).

    Pour moi le voyageur est souvent touriste, par contre le touriste rarement voyageur. Très belle histoire, à Cuba j’ai vécu des moments un peu comme ceux que tu racontes. Je pense à ces 2 petites filles qui bien sur ont commencé à me demander un dolars, ce que je n’ai pas fait, pis nous avons commencer à jouer avec les photos, le bonheur du numérique. Quand je les aie quitter elle m’ont fait promettre de passer les voir sur la place pour me présenter leur grand mére. La grand mére ne pouvait croire qu’un occidental ait tenu sa paraole.

    il y a aussi eu ce vieil homme qui a absolument voulu m’inviter à manger du poisson chez lui, difficile de refuser, le moment a été merveilleux et triste aussi. Ça a été la seule fois ou j’ai vraiment vu la pauvreté à Cuba, loin de celle que veule nous faire croire certains, mais pauvreté quand même. Le poisson était très bon, la rencontre magnifique.
    Hélas je n’ai jamais pu envoyer les photos, je me suis fait voler mon portefeuille deux jours plus tard avec les adresses à l’intérieur. Il n’y a avait pas grand chose dedans, une dizaine de dollars, une carte de crédit, mais pleins d’adresses de gens à qui j’avais promis des photos.
    Je me moque bien des sous, j’en veux à mon voleur pour le mois perdu à Caracas, mais surtout je ne lui pardonnerai pas la perte de ces adresses et du coup de m’avoir forcer à ne pas tenir parole.

    J’aime

  3. jmph dit :

    J’ai beaucoup voyagé, rarement en touriste, le plus souvent en curieux, parfois en intime.
    Que reste-t-il de tout cela ? Certes de merveilleux souvenirs, quelques amis de par le monde que je peux revoir de temps en temps. une approche de certaines réalités qui me font fuir de plus en plus les clichés et les opinions politiquement correctes, de quelque bord qu’elles soient …
    Mais « voir la pauvreté » est-il un but en soi même ? Et même la parteger quelques jours, quand on s’en retourne chez soi ? Je ne sais plus trop…
    Je voyage beaucoup moins maintenant, peut-être pour me permettre d’autres voyages intérieurs.
    Mais, depuis mon refuge breton, je sens de nouveau les fourmis dans mes jambes et dans mon cerveau…

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s