Je continue à lire Bilal, sur la route des clandestins

Entendu à la radio à l’instant (14 heures) : huit cents émigrants interceptés à leur arrivée à Lampedusa, dont 437 femmes et 4 enfants. Ils étaient arrivés, semble-t-il, jusqu’au port.

 

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(jolie île n’est-ce pas?)

Quand on a lu Bilal, sur la route des clandestins , (cf mon billet du 24 juillet) c’est comme si on vous faisait une piqûre dans la moelle. Penser à ce qu’ont enduré ces gens avant d’arriver si près du but. Mais pourquoi ? Pourquoi ces milliers d’odyssées chaque mois dont seulement une infime partie parvient à son terme ? Il semblerait, selon Fabrizio Gatti, que si un émigré envoie ne serait-ce que 50 euros par mois chez lui, cela permet de faire vivre un village, mais alors pourquoi ne se trouverait-il pas assez de familles européennes pour parrainer de tels villages et éviter des drames inutiles ? Il y a autre chose. D’abord évidemment l’envie irrépressible de partir voir ailleurs, un sentiment qu’ont connu tous les humains et surtout les migrants de toutes les époques, et puis il y a la réalité des trafics en tous genres. Hallucinant comme s’enchevêtrent les complicités entre régimes africains soutenus par la France, dictature lybienne, armée nigérienne, Union Européenne, réseau d’Al Quaida, trafiquants en tous genres, vendeurs de bateaux de pêche d’occasion, etc. etc. Quelques extraits :

Le long des 2040 kilomètres entre la capitale du Niger et la frontière lybienne, il y a en tout douze postes de contrôle. Ce qui signifie qu’entre Niamey et Madama, chaque immigré subit au moins douze rapines. Chaque fois des soldats ou des policiers lui demandent 10000 francs. L’équivalent de 15 euros et 40 cents. Ils se contentent souvent de 5000 francs. Mais s’ils trouvent plus d’argent au cours des fouilles et des passages à tabac, ils raflent tout. La somme apparaît aussitôt dans toute sa folie. La traversée du Sahara peut rapporter en extorsions entre 60000 et 100000 francs par personne. C’est-à-dire plus ou moins 150 euros. Plus le coût du transport : les 15000 francs pour atteindre Agades et les 45000 francs pour arriver en Lybie en camion. Si on multiplie 150 euros par 15000, nombre de personnes qui voyagent chaque mois, on obtient le chiffre d’affaires au Niger seulement. Bénéfice net. Sans frais de production. Si ce n’est l’effort physique de fouetter, tabasser et torturer les immigrés lors des perquisitions. Sans parler du versant lybien. [p. 221]

Côté « mer » maintenant :

Un bateau de pêche peut embarquer jusqu’à 350 personnes : 1500 euros par 350, ça fait 525000 euros. En dollars, au change lybien, plus ou moins la même somme. Il faut déduire le prix de l’embarcation. Prévoir l’achat de quelques litres de fioul. Et bien sûr défalquer le pot-de-vin destiné aux fonctionnaires corrompus. En fin de compte, la dépense ne devrait pas excéder 35000 euros. Ce qui reste, c’est le bénéfice net : 490 000 euros. Ce qui revient à dire que chaque euro investi dans le marché des nouveaux esclaves en rapporte 1300. Un rendement de 1300 pour cent. Pour chaque voyage. [p. 264]

Donc un trafic profitable. Pour des voyages qui se terminent dans des geôles espagnoles ou italiennes (ou françaises). F. Gatti raconte comment, à partir de 1998, s’est mise en place la politique de répression en Italie. Le problème d’origine était que « jusque là, dans l’Europe libre, nul ne pouvait être emprisonné sans procès en présence d’un juge. Fût-il étranger. Et pour passer devant un juge, il fallait avoir commis un délit ». Alors on a inventé les Centres de Détention (question soumise, dit l’auteur, « à deux ministres du gouvernement progressiste en charge. Deux anciens communistes. »), qui se sont avérés pire que des prisons car « les détenus d’une prison ont plus de garanties de défense » [p. 269].

Mais ceci est déjà loin… tout le monde a appris la semaine dernière que Berlusconi avait fait passé une loi assimilant l’immigration clandestine à un délit. Le triste paradoxe est que cela va peut-être donner plus de droits aux émigrants !

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2 commentaires pour Je continue à lire Bilal, sur la route des clandestins

  1. Un des aspects les plus noirs de l’époque que nous vivons!

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  2. leila zhour dit :

    Le commerce des esclaves n’a jamais pris fin et on profite des hommes de toutes les manières possibles, toujours. Le plus effroyable est la vision de ce profit, comme vous le montrez si bien, et la tranquille indifférence de nos ventres repus qui devraient, au contraire, vomir tripes et boyaux devant tant d’inepties.

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