Quand on voyage, parfois, on ne sait plus très bien où on est ni où l’on va… vous vous retrouvez sans savoir le chemin qui vous y a conduit, un beau jour, dans une ville moche, un dimanche qui plus est, jour sinistre s’il en est dans les villes moches et sales, tiens par exemple on dirait à Tucuman, capitale de la province du même nom, toujoursdans le Nord-Ouest de l’Argentine, et vous vous dites : bon, maintenant où on va? Au nord? Non, on en vient, et nous n’avons pas pu passer la frontière bolivienne, à l’est, à l’ouest, au sud? Allez, optons pour le sud-ouest, et c’est comme ça qu’on roule, qu’on roule, qu’on dépasse Catamarca, La Rioja, toutes ces villes que l’on évite pour être le plus loin possible des villes et qui, du coup, ne nous présentent que leurs derrières un peu sales de villes étouffées par des faubourgs sombres et plutôt miséreux, et que l’on élit domicile dans un coin de campagne, vaguement signalé par les guides comme un centre d’excursions: San Agustin delle Valle Fertil… quel joli nom… au
pied de la Sierra delle Valle Fertil. Quand fut-elle fertile cette vallée? Yo no se… actuellement, elle ne le semble pas beaucoup, pas assez d’eau. Mais à la Valle Fertil, il y a tout ce qu’il faut: un cybercafé (même si Internet est très lent), une épicerie, une banque, une station YPF, un hospedaje (de Los Olivos) tenu par un Antonio bien sympathique qui part vers 7 h du soir acheter notre repas du soir, de la viande bien sûr (éviter la viande ici est presque aussi difficile qu’éviter les huîtres à Cancale ou alors il faut être en ville dans des restaurants de luxe). A l’hospedaje, il y a un bon gros chien, qui s’appelle Pampa (eh oui, en Argentine, les chiens s’appellent Pampa, comme les femmes sappellent Evita et les hommes Juan). Pampa dort toute la journée et le soir encore plus, mais au coin du feu.
A San Agustin, nous rencontrons Aude et Amandine, deux jeunes françaises qui vont commencer, à cette rentrée, d’exercer le métier de professeur des écoles à Agen et à Marmande. Elles parcourent l’Argentine en stop, n’embarquant que dans les camions, qui sont plus sûrs, et elles viennent comme ça d’Ushuaia, avec leur petit sac (Iberia leur a perdu leurs bagages!). Nous laissons Aude et Amandine un mardi matin sur un embranchement d’où elles peuvent prendre un lift pour La Rioja.
Et nous, nous poursuivons notre chemin vers le parc d’Ishigualasto, un parc national connu pour ses découvertes en matières géologique et paléontologique, pensez: le plus vieux et le plus cruel dinosaure du monde a été découvert à l’état fossile ici: le Herrerasaurus. Le parc offre paraît-il le seul endroit du monde où l’on trouve de manière bien visible toutes les couches du triassique. On se croirait feuilletant les beaux livres de notre enfance sur la préhistoire et les merveilles du monde. Il y a un revers à la médaille: on ne peut visiter un tel parc qu’en formant une caravane de voitures qui défilent les unes derrière les autres (avec cinq arrêts imposés, et seulement cinq) pendant trois heures…. Ah! certes, ce n’est plus de la découverte, vous n’avez plus la petite excitation de chercher vous-mêmes entre les rochers la fleur rare ou la gravure rupestre, non, on vous dit: là il y a une feuille d’acanthe fossilisée, et il y a, en effet, une feuille d’acanthe fossilisée!
Clic! Photo! Merci, monsieur le guide!
Le lendemain, ce sera encore pire: au parc national Talampaya, nous allons découvrir un nouveau concept: le TOURISME SURVEILLE. Cette fois, la seule manière de visiter ce canyon autrefois parcouru par des bergers indiens est d’accepter d’entrer dans des minibus (à un tarif assez élevé) qui nous « promènent », dans tous les sens du mot, entre des parois d’un rouge profond que nous n’avons même pas le droit d’approcher (des fois qu’on les salisse!)… et de subir les commentaires insipides d’un guide au cours des quatre arrêts réglementaires. Un arrêt est consacré aux pétroglyphes, restes graphiques de civilisations antérieures dont on ne nous donne pas le nom… un peuple sans nom aurait erré par là… entre mille ans et un siècle aupravant (!).
Il est, de façon générale, étrange de lire et d’entendre sans arrêt que ces anciennes civilisations sont les « ancêtres » des Argentins actuels (« nos » ancêtres), lesquels sont plutôt, de manière évidente, descendants d’européens migrants… sans compter que, les vrais ancêtres, eux, ont passé leur temps à exterminer les nouveaux ancêtres revendiqués plutôt qu’à les glorifier… mais tout n’est pas idéal en Argentine… un autre post vous en convaincra… en particulier, la place dévolue aux Indiens est sans doute la plus réduite de tous les pays d’Amérique du Sud. Les descendants d’Indiens se trouvent surtout au Nord (et encore, souvent, ce sont des immigrants boliviens), mais ailleurs, y en a-t-il encore seulement? Et puis, ici, tout est privatisé même les parcs soi-disant nationaux, toutes ces manières qui sont faites pour nous empêcher de nous promener librement sont autant de façons de remplir les caisses de propriétaires privés, et les arguments de « préservation de l’environnement« ne sont que des prétextes pour faire fonctionner une entreprise de transport qui affrète les minibus. Tremblons qu’un jour un gouvernement libéral en France ne transforme nos parcs régionaux et nationaux (le Vercors…) en entreprises privées de ce type… on paierait très cher la ballade de Corrençon au col du Rousset… !
(et le condor passa…)
C’est un réel problème : on ne peut nier que le tourisme peut être nuisible aussi bien à l’environnement qu’aux cultures locales. De là à « l’encadrer », il n’y a qu’un pas qui est facilement franchi quand des intérêts privés sont derrière. Sinon, que faire ?
Voyager dans des pays qui ne sont pas (encore… ) ouverts au tourisme ? Ne plus voyager ? Peut-être …
La question de l’extension du tourisme devient embarassante.
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Ma première idée fut que c’était pour éviter tout pillage. Mais à vous lire cette absence de liberté semble générale non ? Bonne route…En lisant hier soir La république des livres j’ai lu cete phrase de Picasso et vous m’ y faites penser ; il disait quelque chose comme « en trouvant je sais ce que je cherchais ». J’aime beaucoup l’idée. Bien à vous et à C.
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Le problème de la conservation des sites est bien réel en effet et peut-être faut-il se féliciter que dans un pays où la « culture touristique » n’est pas encore très développée, on prenne des précautions pour préserver la beauté des sites naturels, néanmoins, je crois que cela ne doit pas être au prix d’une restriction complète de la liberté du voyageur. On ne peut pas mettre les paysages « sous cellophane », pas plus qu’on ne peut empêcher une langue d’évoluer sous prétexte de lui garder sa « pureté ». Après tout, les déformations que les humains font subir aux paysages font partie des forces naturelles d’érosion. Il est souhaitable bien sûr que les touristes soient éduqués, souhaitable aussi sans doute qu’on ne cherche pas à rendre trop facilement accessibles certains endroits (la marche à pied est à mon avis le bon moyen pour atteindre un but qu’on a réellement envie de voir), bref : privilégier les approches « douces » du paysage… non ?
En tout cas, merci de vos commentaires.
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