Kandinsky à Grenoble

vite que j’en parle avant que ce ne soit fini… Une très belle expo a lieu en ce moment au Musée de Grenoble, consacrée aux années parisiennes de Vassily Kandinsky (Vassily avec un « V » si on accomplit le vœu de son épouse de franciser son nom), qui sont, en fait, les dernières de ses années, puisqu’il disparaît le 13 décembre 1944 à Neuilly.

Kandinsky est un géant de l’art moderne, au même titre que Klee, Miro ou Picasso. Difficile de parler de lui de manière originale. Ses tableaux font partie de ceux qui, pour moi, transcendent tout simplement notre faculté de langage… Ils sont aussi beaux qu’un spectacle naturel de l’ampleur d’un coucher de soleil en mer Egée ou d’un ensemble de cristaux de neige brillant à la lumière d’un rayon matinal. L’art, avec lui, c’est comme recréer le spectacle de la vie au travers de formes qui, toutes, en cette période-là de sa production, ressemblent à la vie. Notamment à la micro-vie, celle des organismes unicellulaires, bactéries, archées et autres levures. Avec la fantaisie en plus. Celle de petits clowns vire-voltant d’une cellule à l’autre, d’animalcules aux pattes étranges, de méduses miniatures bécotant la surface des corps, univers cloisonné de mille couleurs toutes savamment choisies pour donner des décompositions selon des filtres inconnus. Les lois de l’optique passent par là, avec l’intuition du biologiste. Art, science… tout se mêle et c’est tant mieux, la science n’ayant jamais rien offert de mieux que de magnifiques fresques, depuis l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand. Et l’art rien de plus merveilleux qu’un appel permanent à sortir de notre condition terrestre pour aller toujours plus loin, plus haut vers l’infini, par l’imagination, aptitude qui, soit dit en passant, est partagée entre artistes, poètes et scientifiques. Art abstrait ? On en est loin en vérité si abstraction signifie désincarnation, divorce avec l’intuition. Kandinsky répond au contraire par un texte de 1938 qui s’intitule « L’art concret ». Il y fait le lien entre peinture et musique.

Je voulais seulement dire que la parenté entre la peinture et la musique est évidente. Mais elle se manifeste encore plus profondément. Vous connaissez bien sûr la question des « associations » provoquées par les moyens des arts différents ? Quelques savants (surtout les physiciens), quelques artistes (surtout les musiciens) ont remarqué depuis longtemps que, par exemple, un son musical provoque une association de couleur précise. Autrement dit : vous « entendez » la couleur et vous « voyez » le son.

Et de donner des exemples : « le JAUNE a la capacité spécielle de « monter » toujours plus haut et d’atteindre des hauteurs insupportables à l’œil et à l’esprit : le son d’une trompette jouée toujours plus haut, devenant toujours plus « pointue », faisant mal à l’oreille et à l’esprit. Le BLEU avec son pouvoir tout à fait opposé de « descendre » dans les profondeurs infinies développe les sons de la flûte (quand le BLEU est clair), du violoncelle, en « descendant », de la contre-basse avac ses sons magnifiques et profonds, et dans les profondeurs de l’orgue vous « voyez » des profondeurs bleues. Le VERT bien balancé correspond aux sons moyens et étendus du violon etc. »

Dans ces dernières années, Kandinsky s’est donc installé près de Paris, avec sa femme, Nina. C’est la guerre mais il la dénie. Lui qui a été exposé au fameux salon de l’art dégénéré et a dû fuir l’Allemagne, ne prend pas position explicitement, si ce n’est en posant une fois sur une photographie avec Otto Freundlich, peintre et sculpteur constructiviste pourchassé par les nazis qui mourra au camp de Majdanek en 1943. Manque de courage ? Indifférence ? Sans doute a-t-il senti que la seule manière pour lui de s’opposer était de continuer à produire une peinture joyeuse, lumineuse. Son insouciance de poète le conduit à dire à des amis qui s’inquiétaient un jour de 1942 des conséquences d’un terrible bombardement, qu’il avait assisté aux splendeurs et aux magnificences d’un superbe feu d’artifice. On aimerait mettre en parallèle les fins de ces deux grands peintres qui sont morts à peu d’années d’intervalles (et qui se connaissaient bien) : Kandinsky et Klee. Klee, nous l’avons laissé au centre Pompidou, en mai dernier. Lui aussi s’exprimait jusqu’à la fin, ayant une production très abondante la dernière année de sa vie. L’horreur du nazisme, la figure de Hitler apparaissaient dans ses tableaux par des sortes de clins d’œil peu appuyés (la moustache du Führer dans un de ses tableaux les plus célèbres, en tout cas le plus grand). Kandinsky, lui, laisse une dernière aquarelle, ainsi commentée par Guy Tosato, le commissaire de l’exposition grenobloise :

Un message de vie et de joie – de foi aussi – que l’auteur du Spirituel dans l’art adresse encore à ses contemporains ainsi qu’à leurs successeurs. Il y a là des formes emboîtées, telles de petites poupées russes chamarrées, des points multicolores, des lignes ondoyantes rouges et bleues aux pleins et déliés gracieux, l’ensemble flottant sur la surface de la page blanche comme autant de petits bateaux ivres ayant rompu les amarres. L’heure est à l’espoir : les Alliés viennent de débarquer sur les côtes normandes qu’il aime tant. Kandinsky peut continuer à vivre son rêve, il le sait, l’art aura toujours le dernier mot : Liberté.

une-figure-flottante-light

quid de cette oeuvre étrange ? Son titre : « une figure flottante », son année : 1942. Je vois un enfant juché sur un un de ces objets bizarres montés sur ressort dans les parcs pour enfants, une autruche ? Un éléphant ? Avec sa trompe qui balaie le sol, un poids sur la tête. Mais non, c’est Polichinelle tout droit sorti d’un placard abandonné. Le fond est gris bleu, on trouve du violet – un « rouge refroidi » – des mauves et un peu de rose. Au bout de ce qui ressemble à une queue, figure ce qui ressemble à quatre ampoules lumineuses. Ou peut-être est-ce un coq, en ce cas ce que nous prenions pour une queue est une tête surmontée d’une crête, les deux formes latérales (dont ce que nous prenions pour un enfant) sont des ailes atrophiées, les pattes sont remplacées par un tuyau qui descend vers le bas, recourbé comme une lame de ressort. Pas d’aile peut-être, mais prêt à sauter quand même.

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2 commentaires pour Kandinsky à Grenoble

  1. Finalement, sur la « Figure flottante », j’y vois presque un velociraptor…

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  2. Merci pour la visite et toutes ces informations !

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