Expo Paul, ou les Klee de l’ironie

ob_26e7c8_img-6309L’image que nous avons en général de Paul Klee est celle d’un doux poète de la peinture, unique en son genre, dont les oeuvres sont toutes de délicats messages sur le mouvement, l’équilibre et la musique des couleurs, avec en général des tons gradués et tendres et de temps en temps un trait qui s’agite pour mettre au premier plan une figure de clown ou bien, comme aurait dit Rilke, « de temps en temps un bel éléphant blanc »… on sait aussi que son destin fut douloureux, chassé de son pays par le nazisme, obligé de se réfugier en Suisse (je sais, il y a pire comme sort, mais c’est se réfugier quand même…), pays qui ne lui attribua sa nationalité que fort tard, si tard que ce fut le lendemain de sa mort, laquelle mort survenait après une maladie qui transformait la peau de ses organes en carton rigide.

Mais nous n’avions pas la perception d’un tel humour et nous avions gommé son caractère subversif. De cet humour dont témoignent les oeuvres exposées en ce moment au Centre Pompidou. Nous aurions pourtant dû le savoir, nous qui vîmes déjà tous ces tableaux, mais disséminés à droite à gauche dans tous les musées de la planète… Or, Klee, il faut le savoir, se vit d’abord comme dessinateur satirique : il promenait son regard narquois et acide sur les êtres et les choses qui l’entouraient en témoin perspicace de leur drôlerie souvent involontaire, ou bien il les caricaturait, comme ces beautés élégantes qu’il dessine avec un derrière particulièrement proéminent.

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Candide, chap 16, tandis que deux singes les suivaient en leur mordant les fesses

Il illustra des romans de Voltaire où il trouvait de quoi alimenter son humeur frondeuse à l’égard des églises. De l’ironie il en eut (d’abord) vis-à-vis de lui-même (voir ses multiples auto-portraits où il se tourne en dérision) et vis-à-vis des institutions, même celle du Bauhaus à laquelle il contribua par son enseignement mais dont il refusa avec humour les dogmes (comme celui de tout ramener uniquement aux couleurs primaires, auquel il répondra par un tableau intitulé « Architecture picturale en bleu, jaune, rouge » où figurent, diffuses, toutes les nuances de couleurs, sans hiérarchie). Il en eut même vis-à-vis de l’amour – on pense à Rimbaud et à ses « petites amoureuses » – il peignit de drôles de machines pour figurer la mécanique amoureuse où la dame a un vagin en guise de tête, et surmonté de drôles de poils pubiens…

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Bild aus dem Boudoir (1922)

Drôle, Klee, il l’est aussi quand il représente Dieu sous les traits d’un oiseau moqueur ou quand il intitule un de ses tableaux « Maman méchante » (Böses Mueti), ou qu’il parodie Picasso et ses minotaures, drôle et aussi subversif pour son époque quand il intitule « jeu lesbien » une toile où l’on voit ce qui ressemble à l’affrontement de deux mantes religieuses …

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Böses Mueti

On a oublié tout ce que cela pouvait avoir de subversif à une époque qui découvrait avec perplexité l’art moderne, où la grande presse (ici le New York Times) titrait en première page sur les extravagances des nouveaux peintres et où, bien sûr et tristement, se développait chez les nazis la notion « d’art dégénéré », Klee étant l’un des artistes les plus représentés dans la fameuse exposition de 1933, à l’hôtel de ville de Dresde (17 oeuvres sur une centaine au total).

Pourtant, sérieux il est, malgré sa drôlerie. On le sait par la beauté ineffable qui émane de maints tableaux aujourd’hui diffusés en reproductions dans le monde entier où se marque la trace d’un rapport complètement nouveau avec la peinture : un rapport musical (voilà encore en quoi il peut nous faire penser à Rimbaud, celui qui attribuait des couleurs aux voyelles, mais là il s’agit de notes et d’accords d’harmonie).

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Après avoir accompli la majeure partie de cette oeuvre sérieuse et musicale, et l’avoir même théorisée, il retourna, mais par désespoir cette fois, à son humeur sarcastique des premiers jours. Car la situation politique empirait et un dessinateur hors pair comme lui ne pouvait réagir qu’en la tournant en dérision. On passe souvent en vitesse devant un tableau comme Insula Dulcamara (le plus grand qu’il ait exécuté, semble-t-il) sans noter que ce rond et ce petit carré en plein milieu sont une allusion au personnage de Hitler. Klee manie le langage des couleurs et des formes pour dire son opposition au régime, comme dans cette toile où les petits carrés bruns s’agglutinent tels des divisions de SA mais trouvent en face d’eux une « contre-flèche » qui représente la force de la liberté.

Il est intéressant de faire un parallèle entre les deux grandes expositions qui se suivent à Beaubourg cette année, consacrées à deux « K » de la peinture allemande, Klee et Kiefer. Bien sûr le premier eût pu être le grand père du second, mais justement voilà qui importe : comment des artistes de deux générations différentes ont réagi à la monstruosite nazie, encore que pour l’un elle n’était que montante et pour l’autre achevée, autrement dit l’un ne pouvait pas encore tout savoir alors que l’autre avait tout appris. La réaction de Klee est encore dans l’esthétisme, même si c’est celui d’un trait ultra simplifié, d’autant que sa maladie le contraignait à limiter ses mouvements, (mais sa maladie n’était-elle pas justement une métaphore de la gangrène qui gagnait le corps social ?), alors que celle de Kiefer, on l’a vu, a consisté à rejeter toute idée d’esthétisme pendant longtemps.

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Le créateur

Il se pourrait finalement que ce soit dans sa peinture que la société allemande ait délivré ce qu’elle avait de mieux, de plus critique et de plus lucide au XXème siècle, de Kandinsky à Richter et de Klee à Kiefer, comme si elle avait eu pour tâche, en quelque sorte, de prendre sur elle le désastre et l’intolérable qui s’étaient emparés d’elle.

La Suisse, quant à elle, honteuse d’avoir mis si longtemps à reconnaître l’importance de Klee et surtout à lui concéder la nationalité, a voulu réparer cette faute en ouvrant près de Berne le plus beau musée consacré au peintre que l’on puisse voir, le Zentrum Paul Klee, d’où viennent de nombreuses oeuvres exposées ici.

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Le libéralisme

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4 commentaires pour Expo Paul, ou les Klee de l’ironie

  1. Je le connais mal, et tu donnes envie d’insister.

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