Le nouveau voyage en Haïti

Le voyage en Haïti, c’était en février, époque où le temps est plutôt clément là-bas. Ils m’avaient dit tu verras ça passera vite et puis tu retrouveras le contact avec les gens, les étudiants, les professeurs locaux, tu seras bien dans un hôtel avec tout le confort, la piscine sur le toit du bar, la terrasse d’où tu domineras la baie et percevras les cargos venus décharger leur marchandise en cette demi-île du bout du monde, cette terre de pauvreté pourtant conjointe à une république de luxe, bananière peut-être, mais de luxe. La route depuis l’aéroport s’était améliorée : on ne voyait plus les abris de toile à l’infini démarrant depuis le bord de la chaussée, des terrasses de bistrot ouvraient, quelques tables bancales sur un coin de ciment, recouvertes d’un dais de tissu de cuisine rouge et blanc. Le gros pick-up se frayait un chemin au milieu des embouteillages, gagnant son droit de passage à coups de klaxon, forçant la voie à chaque carrefour, où il fallait être le plus audacieux voire peut-être le plus intimidant pour passer. L’hôtel était toujours là, au sommet d’une rue, avec ses quatre colonnes doriques ornant son majestueux balcon. On tombait pile sur la cour grande ouverte toujours encombrée de quatre-quatre et de véhicules qu’on devinait plus ou moins officiels, une fois avec la mention « UN » sur le bas d’une portière, et l’escalier menait toujours à la grande salle d’accueil, rendue un peu fraîche par les pâles tournant lentement d’un vaste ventilateur. Et le petit escalier dans le fond qui menait à la terrasse où l’on pouvait prendre le petit déjeuner, une assiette de fruits frais pour commencer, bouts de melon, de mangue et de bananes, une coupelle de confiture faite avec des fruits exotiques, peut-être de la goyave, et puis les regards cursifs des convives, se jaugeant tous à leur apparence pour deviner qui était prof, qui était homme d’affaire, qui reconstruisait un quartier, qui venait pour un barrage hydraulique. La chambre louée était mieux, plus cossue, plus calme, plus grande que celle de la dernière fois, qui avait l’inconvénient de donner par une fenêtre en vitre cathédrale, donc qui ne laissait rien voir, sur la terrasse intérieure. Cette fois la chambre se terminait, après deux grands lits sagement rangés, par une baie vitrée au travers de laquelle on voyait entre les palmes des arbres, au loin, le trafic maritime et le bleu marin des vagues. En se penchant à peine, on voyait la rue montante par où l’on était arrivé, donc dans ce sens, plutôt descendante, qui, selon l’heure du jour s’animait de bandes d’enfants en uniforme, petites filles avec des nœuds dans les cheveux, garçons en chemise blanche, cartables à bretelles dans le dos, se rendant à l’école ou bien en sortant, ou de femmes traînant leur charge ou bien la portant en équilibre sur la tête, d’un pas nonchalant parce qu’elles se rendaient au marché pas loin, ou bien encore, mais là c’était déjà tôt le matin, les premiers vélomoteurs, qui succédaient à peine, dans la chaîne inexorable des évènements matinaux, aux chants des coqs répétés, qui, il est vrai, commençaient dès deux heures du matin, pour recommencer vers quatre heures, puis vers six heures, rendant inutiles les sonneries des réveils, sauf qu’il était impossible, bien sûr, ici, d’appuyer sur une touche pour supprimer le rappel. La température était moyennement élevée, certes il faisait chaud, mais d’une chaleur supportable pour peu qu’on se mît à l’ombre d’un parasol et que de temps à autre, une légère brise soufflât entre les branches des goyaviers et les fleurs de bougainvilliers. Certes, les travaux de rénovation de la piscine faisaient un peu de bruit. Les longs serveurs mélancoliques essayaient de se saigner aux quatre veines pour le confort de tous ces travailleurs affairés à longueur de temps qui se dépêchaient le matin d’engouffrer leurs toasts pour dégager la table où ils pouvaient étaler leurs ordinateurs et leurs dossiers. On parlait en millions de dollars, on confrontait les règles techniques aux lois économiques, on traitait du droit international, et le dernier serveur, devenu inutile parce que tout le monde finissait par partir, pouvait s’asseoir derrière sa banque pour regarder des informations en espagnol sur une télévision de plein air. Sûrement la chaîne dominicaine. Ou bien regarder inlassablement des matches de foot dont il se fichait complètement du résultat puisqu’ils opposaient des équipes appartenant à un autre monde, européennes en général, plutôt anglaises ou espagnoles, mais qui lui offraient l’occasion de crier sa joie à chaque but marqué, que ce fût par une équipe ou par l’autre.

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On finissait moi aussi, par m’enlever. Cela pouvait être vers midi si le chauffeur avait été matinal et s’il n’y avait pas trop d’embouteillages, ou plus tard dans tous les autres cas, et le manège recommençait, les vitres fermées, les coups de klaxon, l’art de se faufiler entre les files de voitures, jusqu’au bâtiment reconstruit. La Faculté, hangar métallique posé sur le même terrain que l’ancienne faculté, celle qui avait disparu dans le tremblement de terre du 12 janvier 2010, ou plutôt celle dont le deuxième étage avait complètement disparu, comprimé qu’il avait été entre le troisième et le rez-de-chaussée, emportant avec lui la vie de plus de deux cents étudiants et d’une bonne poignée de professeurs qui étaient en train d’officier. S’il y a maintenant un tel type de séisme, on est sûr au moins que cela ne se reproduira pas de cette façon : les escaliers sont en bois, les murs certes fragiles mais souples. Je ne voudrais pourtant pas être là si cela devait arriver…

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Et puis plus tard la nausée, peut-être venue de quelque chose qu’on n’aurait pas dû manger, ou pas dû boire, attachée aussi à ce sentiment de malaise, de mal être consistant dans le fait qu’on est là, et qu’on a le sentiment d’être un peu prisonnier, entre ces murs, ou bien dans ces escaliers branlants menant à des bureaux-cellules sans fenêtres.

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2 commentaires pour Le nouveau voyage en Haïti

  1. Il existe des tremblements de terre intérieurs…

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