Vertus de la discussion (après Charlie)

Il  est faux que la discussion soit vaine, que tous autant que nous sommes, nous soyons condamnés à camper sur nos positions quand bien même nous aurions à faire face à des arguments censés nous bousculer. En réalité, et contrairement aux opinions défaitistes sur ce sujet, la discussion nous change. Pour peu bien sûr que nous soyons de bonne foi, et ouvert aux autres, et donc à leurs arguments. Ainsi, je ne peux pas dire que, depuis les attentats de janvier, et après de nombreux échanges sur la toile (en général via FB), je n’ai pas changé. Il y eut au début la stupeur, et le commentaire spontané. Oui, bien sûr : solidarité pleine et entière avec « Charlie » (et évidemment le surlendemain avec les juifs de nouveau pris pour cibles, cela va sans dire), et acceptation du mot d’ordre « Je suis Charlie ». En tant qu’il exprimait avec force la volonté de maintenir en France une presse libre de dire ce qu’elle croit bon de dire, dussent les idées exprimées ne pas correspondre tout à fait à ce qu’on pense. C’est la phase voltairienne : « même si je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, je me battrai pour que vous puissiez l’exprimer ». Il m’est apparu à ce moment là que tout doute émis sur la légitimité des dessins de Charlie Hebdo (les fameuses « caricatures ») ne pouvait être qu’une tentative de diversion aboutissant in fine à émettre un jugement du genre : « ils l’ont bien cherché ». Ce qui était inacceptable. Les premiers doutes dont j’ai pris connaissance venaient d’outre Atlantique, soit des Etats-Unis, soit du Québec. Ils se donnaient souvent comme des attaques en règle du soi-disant « modèle français », entendez par là la conception commune que nous avons de la République, de la laïcité et de la liberté de la presse. La République, c’est le mythe commun selon lequel tous les habitants du sol français doivent suivre les mêmes lois, censées être justes et porteuses de valeurs positives pour l’épanouissement de l’individu. La laïcité, c’est l’idée que les croyances, en particulier religieuses, sont toutes admises à égalité et qu’à cause justement de cela, elles  ne doivent pas interférer avec l’action de l’Etat, que ce soit en matière d’éducation, de santé ou de sécurité publique. Que tous les habitants du sol français suivent les mêmes lois a pour conséquence normale le rejet de ce qu’on nomme souvent « le communautarisme », c’est-à-dire l’admission du fait que certaines communautés se replient sur elles-mêmes et se mettent à vivre sur le sol national selon leurs propres lois, et plus selon celles de la République, ce qu’une tendance forte dans le débat français a placé sous le signe des  « territoires perdus de la République ». Le communautarisme est le modèle prôné en général par le monde anglo-saxon, ce qui explique les attaques virulentes de la part d’américano-canadiens qui ont tendance à le défendre, ces attaques conduisant souvent à un véritable « France bashing », qui peut nous heurter, nous qui vivons en France, et qui, si nous acceptons bien des critiques venant de notre sol, regardons avec suspicion les critiques venues d’ailleurs, c’est-à-dire de lieux, de pays qui eux-mêmes ont leurs problèmes, voire leurs points aveugles (la question des autochtones au Québec, par exemple, qui, à ma connaissance, n’a jamais fait descendre beaucoup de monde dans la rue). Ces attaques ont été souvent outrancières, on a dit que les journalistes de Charlie Hebdo étaient racistes (alors qu’ils s’employaient souvent à longueur de page à dénoncer le racisme), voire même que les caricatures étaient du niveau des dessins parus dans la presse nazie. Bien sûr, certains dessins peuvent laisser penser que leur auteur s’attaque aux traits physiques supposés caractéristiques d’individus appartenant à la religion musulmane : barbes, djellabas. Plantu, par exemple, n’y va pas par quatre chemins, exposant en une du « Monde » des visages obtus, parfois entourés de mouches. Lesdits dessinateurs se défendraient sûrement en disant qu’ils ont voulu ridiculiser des mollahs particulièrement stupides et des criminels qui se réclament abusivement de l’islam, et non les musulmans. Autre était l’intention manifestée par les dessinateurs nazis, qui visaient à répandre des affiches et des dessins censés exposer les traits caractéristiques du Juif universel. On a détourné savamment le sens de certaines couvertures du magazine, qui, il est vrai, sorties de leur contexte historique, sont parfois difficiles à comprendre (comme cette première page où l’on voit des femmes africaines enceintes, censées représenter les femmes enlevées par Boko Haram… réclamer leurs allocs, ce que les médias américains ont pris pour une blague stupide contre les femmes africaines, alors qu’il s’agissait d’une moquerie à l’égard des bonnes bourgeoises françaises qui manifestaient contre la réduction de leurs allocations familiales au moment où ces femmes nigérianes se faisaient enlever dans l’indifférence générale). L’insistance mise de plus en plus sur l’argument du « deux poids deux mesures », consistant notamment à dire que Dieudonné et Charlie n’étaient pas mis sur le même pied d’égalité, puisqu’on avait toléré, et maintenant défendu, l’humour des uns, tout en sanctionnant celui de l’autre, commençait à prendre un tour nauséabond : on faisait semblant d’oublier que Dieudonné n’avait pas été condamné « pour des blagues » mais bel et bien pour propagande négationniste (notamment en faisant intervenir Faurisson dans son show), et surtout on essayait une nouvelle fois de renvoyer dos à dos « islamophobie » et anti-sémitisme, sans doute pour, indirectement, atténuer l’effet d’horreur face à ce que le second a produit dans l’histoire, et qui se trouve réactivé en nos mémoires en ce temps de commémoration de la libération des camps.

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Ceci étant dit, et mon compte étant réglé avec certaines attaques abusives de la part du camp américano-canadien… il me faut bien en venir à ce qui m’a touché et a contribué à faire évoluer mon opinion sur ces sujets.
Vite sont apparues l’ampleur du non-dit et la confusion qui régnaient au sein du slogan « je suis Charlie » : en proclamant ce mot d’ordre, il y avait peut-être une insinuation sourde, « je suis Charlie » voulait aussi signifier que j’étais requis à être « tout Charlie », avec ses erreurs, ses ambiguïtés, ses allusions lamentables, et donc à assumer une position « anti-musulmans » (je me refuse à utiliser le mot « islamophobe » dont on sent trop bien qu’il a été inventé à des fins propagandistes, pour l’opposer facilement à d’autres attitudes de rejet qui, dans l’histoire, ont été autrement monstrueuses, comme l’anti-sémitisme). Du reste, la persistance d’un tel slogan dans les vitrines de commerçants ou sur les murs de nos centre-ville, encore aujourd’hui, a comme une allure de clin d’œil entre gens du même avis, moins préoccupés de liberté de la presse que de méfiance à l’égard des musulmans périphériques. De ce point de vue, l’idée que même si on semble s’en prendre uniformément à toutes les religions par le biais des caricatures, le fait de s’en prendre particulièrement à l’islam est douteux parce que c’est la religion portée par une classe opprimée, n’apparaît pas sans légitimité.

Doit-on, peut-on « se moquer des religions » ? J’aurais tendance à penser, à l’instar de bien des personnes qui se sont exprimées sur ce sujet, que lorsqu’il s’agit de la sienne ou de celle dans laquelle on a été plus ou moins éduqué, cela est de bonne guerre, mais que, quand il s’agit de la religion « de l’autre », c’est tout autre chose (de même que je disais tout à l’heure que si nous admettons fort bien des critiques contre notre « modèle » venant de l’intérieur de celui-ci, les critiques de l’extérieur nous sont toujours désagréables, et s’avèrent en général contre-productives). Là, le respect prévaut et cela justement si on prétend maintenir un dialogue avec l’autre. C’est ce que les journalistes de Charlie Hebdo ont raté, lamentablement raté, et on ne va donc pas endosser leur ratage.

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J’ai lu récemment que des défenseurs de Charlie Hebdo étaient allés au Canada et y avaient essayé de convaincre que le fait de s’attaquer à une croyance ou à un ensemble de croyances ne signifiait pas qu’on attaquait leurs porteurs, ceci au nom de la séparation entre la personne et son système de croyances. Cet argument mérite d’être pris en considération car il est juste, mais il ne l’est, paraît-il, que du point de vue d’une conception qui pose que la personne existe indépendamment de son système de croyances, conception qui peut être mise en cause et l’est effectivement par certains anthropologues. C’est une mise en cause que je prendrai avec des pincettes : il est trop facile de prétendre que les membres d’une autre culture sont à ce point différents de nous qu’ils n’auraient pas accès à leur individualité, au sens où nous l’entendons. Ce relativisme est, lui-même, suspect, et n’est peut-être que le fait d’une pensée occidentalo-centrée, qui attribue facilement aux autres cultures des croyances, justement, qui ne sont pas les nôtres. On pourra de toutes façons dire qu’il se trouve que, dans notre culture, c’est bien ainsi que l’on pense : l’individu est distinct de ses croyances, et qu’il va de soi, pour tout un chacun, que, si je change de croyance, je n’en deviens pas pour autant une autre personne. On pourrait s’arrêter là et dire : voilà, c’est la réalité qui prévaut ici et maintenant. Mais nous ne sommes plus à une époque d’une société homogène quant à sa culture. Comme je l’ai lu encore quelque part, cela nous conduit à réfléchir à la manière de faire vivre le multiculturalisme, un multiculturalisme qui est devenu, qu’on le veuille ou non, notre loi. Les rétrogrades et réactionnaires de toutes sortes peuvent se lamenter et hurler contre la « mondialisation » : nous ne reviendrons jamais en arrière (et de ce point de vue, toutes les positions « anti-mondialistes » qu’elles émanent de la droite ou de la gauche, doivent nous sembler suspectes). Le multiculturalisme est le grand enjeu de notre siècle, celui auquel se trouvera confrontée notre conception de la laïcité. Les cultures doivent interagir, se modifier réciproquement, s’adapter les unes aux autres si elles sont destinées à vivre ensemble. Notre conception de la laïcité devra donc évoluer, loin des intransigeances et des fixations que nous observons parfois (désirs exprimés par certains qu’il n’y ait pas d’étudiantes voilées dans les universités, refus de mères accompagnatrices voilées pour les sorties des enfants dans les écoles etc.). Et les gens qui prennent la lourde responsabilité de s’adresser au public par le biais d’articles, de sketches ou de caricatures devront apprendre à réfléchir avant de publier : se réfréner dans l’art de la moquerie est bien le prix à payer pour assurer un mieux-vivre collectif.

Parallèlement à cela, nous pouvons néanmoins objecter à ceux qui défendent la légitimité d’une conception de la personne basée sur les croyances qu’il est tout autant légitime, de la part d’une culture d’accueil, de défendre sa propre vision de la personne. Après tout, dans « interaction » et « respect mutuel », il y a aussi justification pour une action sur l’autre, car nous sommes justement l’autre de l’autre, or il y a quelque raison de penser qu’une vision de la personne basée sur les croyances comporte quelque chose de dangereux, car elle ouvre sur le fanatisme. Si mon moi s’effondre dès qu’il change de croyances, on comprend combien on va être tenté de défendre celles-ci, alors que si nous estimons qu’il en est relativement autonome, alors nous supporterons plus aisément les critiques et les désillusions. Il m’est arrivé de devoir abandonner certaines croyances (dans les lendemains qui chantent, le communisme, la société sans classes etc), j’en ai été triste sans doute, mais cela ne m’a pas empêché de continuer à vivre ni de trouver dans d’autres composantes de mon être des ressources pour être heureux. Il est donc légitime d’expliquer à autrui d’une autre culture que cette conception-là a sa valeur aussi, et qu’elle mérite en tout cas d’être essayée !

Amartya-Sen_1[1]C’est un indien, Amartya Sen, donc quelqu’un issu d’une autre culture que l’occidentale, qui a le plus défendu l’idée que l’individu ne s’identifiait pas à une composante idéologique ou religieuse, mais qu’il était au point de rencontre de plusieurs séries : on peut être croyant, et en même temps musicien, amateur de foot, amoureux, navigateur au long cours ou pêcheur à la ligne. Et il a défendu ceci au nom des privilèges d’une société ouverte, où l’information circule, ce qui constitue la base minimale d’un système démocratique. Gardons-nous donc aussi d’une complaisance excessive à l’égard des exigences d’autrui, lesquelles ne sont pas toujours dénuées d’arrière-pensées conquérantes, visant à instaurer un ordre répressif. C’est pratiquer l’angélisme ou une certaine dose de laisser-aller que de prôner de manière irresponsable un communautarisme au terme duquel, soi-disant, chacun serait heureux dans son champ… Une jeune femme sur un fil de discussion de FB (injustement traitée par un de mes amis) mettait en relief ce qu’elle appelait « sexapartheid », autrement dit cette forme d’apartheid qui existe en de nombreux endroits du monde entre les sexes, pour faire remarquer qu’il coïncide souvent avec les endroits où prévaut une conception communautariste de la société. Est-ce à dire qu’il y a des conceptions du monde, des formes de civilisation supérieures à d’autres ? (comme l’affirmait sans vergogne le sinistre Guéant, il n’y a pas si longtemps). Non bien sûr car, comme l’avait mis en évidence Claude Lévi-Strauss dans « Race et histoire », là où une forme de civilisation semble avoir un avantage, elle le perd aussitôt lorsqu’on envisage un autre trait comportemental. Guéant aurait dû faire un minimum de mathématiques sociales (au sens de Condorcet), il aurait su que de la réunion d’un ensemble de pré-ordres (les préférences exprimées selon des critères distincts), il n’émerge en général pas de pré-ordre « universel ». On peut légitimement penser que le but du jeu de dialogue interculturel devrait être, dans l’idéal, de cumuler les avantages qui viennent de tous les horizons (mais ceci est une utopie bien entendu, car nous savons bien que les croyances et comportements forment structure au sein d’une civilisation et qu’on ne saurait détacher un élément sans extraire en même temps d’autres éléments, qui ne sont alors pas forcément souhaitables). Ceci dit, il convient de réfléchir à l’extension de ce que nous nommons « communautarisme » : une société laïque comme la nôtre en est-elle totalement exempte ? Certainement pas si on considère la force des débats (il est vrai initiés principalement par la droite sarkozyste) autour du thème de « l’identité nationale ». Qu’est-ce que cette identité si ce n’est l’affirmation de l’appartenance à une certaine communauté, justement ? Une participante à l’émission « Ce soir ou jamais » du 6 février allait jusqu’à poser la question provocatrice : « à quoi servent les musulmans ? » pour y répondre aussitôt en suggérant que cette partie de la population était érigée en communauté par la communauté dominante afin de la constituer en repoussoir et de se rassembler elle-même face à un adversaire commun. Propos excessif sans doute, mais qui qualifie sûrement les intentions d’une partie du monde politique.

Dans les discussions qui ont suivi ces évènements douloureux, il y a eu les interventions qui m’ont marqué. Il y a eu ainsi les interventions dans la presse d’Etienne Balibar, de Jean-Marie Le Clézio, de Lydie Salvaire, mais aussi d’Olivier Rolin et, allant dans le même sens que ce dernier, une note quelque part, assez confidentielle, du psychanalyste Daniel Sibony. Elles allaient dans des directions très différentes les unes des autres, et parfois des directions opposées, mais elles étaient toutes dignes d’intérêt et méritent d’être relevées. Dans Libération du week-end du 10-11 janvier, Etienne Balibar répondait à des amis qui lui avaient écrit de tous les endroits du monde pour marquer leur compassion, mais aussi leurs interrogations sur le destin de la société française. Il soulignait que la communauté nationale ne devait être en aucun cas exclusive « de ceux, parmi les citoyens français ou immigrés, qu’une propagande de plus en plus virulente assimile à l’invasion et au terrorisme pour en faire les boucs émissaires de nos peurs, de notre appauvrissement ou de nos fantasmes », elle doit, disait-il « s’expliquer avec elle-même ». Et elle ne s’arrête pas aux frontières. Il disait encore que cette communauté ne se confondait pas avec « l’union nationale », concept qui n’a jamais servi qu’à des buts inavouables. Et il terminait sur un appel à une critique théologique, seule à même de contrer le discours djihadiste, renversant la notion « d’islamophobie », si prompte à surgir chez les adversaires de la laïcité, pour en faire l’attribut de ceux qui prétendent lire l’appel au meurtre dans le Coran ou la tradition orale (et notamment dans les hadiths, clairement attaqués dans une tribune du Monde – daté des 1e et 2 février – par l’écrivain algérien Ali Malek, ces écrits qui ont été rajoutés à la tradition musulmane après la mort du Prophète et qui ont été dictés par les califes successifs) : les vrais « islamophobes » sont ceux qui détournent sciemment le Coran pour leurs fins politiques ou idéologiques, et qui, de ce fait, dénaturent l’Islam.

Jean-Marie_Gustave_Le_Clézio-press_conference_Dec_06th,_2008-2[1]Dans « Le Monde des Livres » (16 janvier), Jean-Marie Le Clézio publiait une « lettre à [sa] fille » dans laquelle il disait (avec toujours cette réserve et cette élégance qui le caractérisent) : « Tu as choisi de participer à la grande manifestation contre les attentats terroristes. Je suis heureux pour toi que tu aies pu être présente dans les rangs de tous ceux qui marchaient contre le crime et contre la violence aveugle des fanatiques. »,  puis, ayant ainsi salué le choix de sa fille, et regretté que son éloignement et son âge lui aient interdit d’en faire autant, il passait à une deuxième période du texte : « Maintenant, il importe de ne pas oublier. […] J’entends dire qu’il s’agit d’une guerre. Sans doute. […] mais c’est d’une autre guerre dont il sera question, tu le comprends : une guerre contre l’injustice, contre l’abandon de certains jeunes, contre l’oubli tactique dans lequel on tient une partie de la population (en France, mais aussi dans le monde), en ne partageant pas avec elle les bienfaits de la culture et les chances de la réussite sociale ». Quant aux assassins, Le Clézio refuse de les qualifier de « barbares », ils sont, dit-il « tels qu’on peut en croiser tous les jours, à chaque instant, au lycée, dans le métro, dans la vie quotidienne ». S’ils ont « basculé dans la délinquance », c’est parce que « la vie autour d’eux ne leur offrait qu’un monde fermé où ils n’avaient pas leur place, croyaient-ils ». « Il faut, disait-il aussi, cesser de laisser se construire une étrangeté à l’intérieur de la nation ». Cette dernière phrase sonne comme une alarme dite avec des mots justement trouvés. Une étrangeté à l’intérieur de la nation, ce n’est ni une fatalité, ni un « mal » qui serait soi-disant nécessaire, ni un cancer, non, juste une « étrangeté », ce mot qui renvoie à la fois à « étranger » et à « étrange » (« étranges étrangers » entend-on parfois dire), pour souligner qu’avec une insuffisance d’attention, on laisse se développer une anomalie en même temps qu’un rejet. Le premier ministre, on le sait, a parlé de « l’apartheid social et ethnique » qui ravage notre pays. Je fais partie de ceux qui l’ont trouvé très courageux de dire cela. Car il est inhabituel pour un haut responsable politique de faire ce qui a l’accent réel d’une autocritique. Je sais qu’on a voulu déformer ses propos (telle chaîne de télé détachait la phrase du contexte, comme pour faire croire que ce que Valls avait dit, c’était qu’une situation s’était créée sans que l’Etat en soit responsable, comme si c’était par la volonté des gens exclus eux-mêmes, alors que selon moi, l’affirmation était claire), qu’on a aussi dénoncé son hypocrisie, et même la contradiction dans laquelle il se meut, lui qui, dans le même temps, par la politique de son gouvernement, restreint les subventions d’état aux collectivités territoriales, justement les subventions qui pourraient permettre d’avoir une action plus efficace en direction des quartiers dits « sensibles ». Mais quand même, le mot était lâché. Les phrases de Le Clézio, comme les propos du premier ministre ont été attaqués par des gens en général de droite qui refusent tout discours de recherche de causes (qualifié de « sociologisant ») au prétexte qu’il servirait à « excuser » le comportement des délinquants. Cette critique n’est pas infondée. On ne doit jamais laisser entendre que de tels comportements sont rendus normaux par les situations vécues : un exclu, un rejeté de la société, un marginalisé n’en devient pas pour autant un criminel. Et puis, les belles âmes des centre-ville ou des villes périphériques vont hurler qu’on a déjà déversé suffisamment de millions aux cités (pour leur réhabilitation) pour qu’on ne doive pas encore se lancer dans de nouvelles politiques coûteuses. Mais c’est se méprendre, cette fois, car il ne s’agit pas de millions d’euros, mais de transformations de mentalité, de manifestations d’ouverture, de déclarations à faire peut-être, haut et fort, que les descendants d’immigrés sont des Français à part entière et ont droit, comme les autres, à intégrer pleinement la société, notamment par le travail, eux qui souvent se voient discriminés à l’embauche pour la simple raison d’un nom qui sonne arabe ou kabyle. Bien sûr, l’exclusion ne pré-détermine pas au djihad, mais on  a tort de ne pas essayer de se mettre à la place de ces jeunes pour comprendre combien le vide de la vie sociale ou de l’esprit peut être propice à des tentatives de le combler par des actions vues comme « fortes », même si elles ne sont en réalité que des monstruosités barbares.

AVT_Lydie-Salvayre_7412[1]Dans le même « Monde des Livres », belle expression également que celle de Lydie Salvayre, allant dans le même sens que le propos de Le Clézio : « Je crus comprendre ceci : ces enfants, pour qui l’idée de se rendre à Paris était une affaire compliquée et presque insurmontable tant ils se sentaient loin de ce que Paris représentait, ces enfants aux yeux desquels les valeurs de la France ne signifiaient strictement rien puisque du haut de leurs immeubles ils n’en voyaient pas la moindre mise en pratique, ces enfants qui vivaient dans la nostalgie d’un bled qu’ils ne connaissaient pas et dans l’humiliation blessante d’être tenus à l’écart de la fête, ces enfants se raccrochaient, faute de mieux, à ce qu’ils trouvaient à leur portée : des croyances communes et des haines communes en guise d’armature ». Mais on ne saurait s’arrêter là, d’abord ce statut d’humilié, d’exilé de la fête, n’est pas propre aux « nostalgiques du bled », il habite et a habité tous les pauvres de la société. Tous ceux et toutes celles qui, dans leur enfance ou leur jeunesse, n’ont pas appartenu aux milieux aisés l’ont éprouvé, il est faux de prétendre qu’ils n’ont, à chaque fois, trouver d’armature que dans la haine de l’autre. C’est même, presque, faire injure aux pauvres que les cantonner dans ce ressentiment là. Si ces enfants mis à l’écart ont cherché refuge dans la haine, c’est aussi peut-être parce que des forces hostiles les ont poussés vers cet écueil, forces contre lesquelles il convient de lutter. Bien sûr l’islam radical, les imams autoproclamés, les propagandistes de la cause anti-juive… comment alors ne pas prêter oreille aux propos d’Olivier Rolin, dans ce même numéro consacré aux « écrivains face à la terreur », lorsqu’il se pose la question, et cela m’a surpris venant d’un romancier qu’on classe plutôt à gauche : « Alors, ce serait une grande faute d’avoir peur de l’islam ? J’aimerais qu’on m’explique pourquoi ; » et de dresser la liste des horreurs commises dans le monde au nom de cette religion… Il est rejoint par le psychanalyste Daniel Sibony : « Le Coran a beau maudire nommément les « gens du Livre » (juifs et chrétiens) parce qu’« ils se moquent de la religion des musulmans » (5,57), il ne faut pas en parler, car il y a risque d’amalgame, de stigmatisation, d’islamophobie […] Ainsi on est chaque fois dans une pensée totale : une critique sur les aspects violents que comporte l’islam, dans son texte fondateur, est exclue car elle est prise comme un rejet de tout l’islam, et un rejet de type raciste ». Je ne suis pas totalement d’accord avec eux parce que je sais qu’il y a une pente dangereuse à emprunter ce discours, mais pourtant, oui, l’erreur essentielle, qui risque un jour de nous conduire au cataclysme, est bien là : dans la réception, par une masse énorme de gens, d’un texte dit sacré, tellement sacré qu’on ne saurait proposer d’en faire l’exégèse d’une seule ligne, qui doit être pris au sens littéral, ce que, semble-t-il, aucune autre religion ne fait ou propose de faire (sauf des sectes, dans leur interprétation littérale de la Bible, par exemple, mais ce sont des sectes, que nous reconnaissons comme telles). C’est à Jean Birnbaum que je donne la parole alors, toujours dans « Le Monde des Livres », mais celui du 30 janvier : « Les terroristes ne savent pas lire » dit-il, en complétant : « Non, les terroristes ne savent pas lire à commencer par le livre qu’ils brandissent. Puisqu’ils se réfèrent à un livre unique, parions sur la multitude des livres. Puisqu’ils prétendent détenir la vérité absolue du texte, misons sur la diversité des lectures possibles ». Education, encore et toujours l’éducation, dira-t-on… oui, et pas seulement en ce qui concerne la sphère française (où les mesures proposées, comme toujours en urgence, reposant sur l’éducation civique et je ne sais quel enseignement des vertus républicaines, peuvent faire sourire et semer le doute quant à leur efficacité – elles risqueraient plutôt d’être contre-productives, à mon humble avis), mais éducation dans le monde.

Et si Internet pouvait être aussi utilisé dans le sens de la paix, en proposant de grands programmes d’éducation poussant à la lecture, à l’écrit, à la diversité des livres, et si, grâce à cela on en venait à suggérer aux masses entières qu’il n’y a pas seulement un livre sacré (voire deux, ou trois), mais que dans le fond, tout livre a quelque chose de sacré en ce qu’il participe du mystère insondable du langage ? C’est sans doute voir loin, trop loin que de proposer une telle idée, certes. Mais la question de la culture et de l’accès à la culture doit être posée : c’est par les œuvres qu’elles produisent que les civilisations exercent une attirance, et non par des valeurs abstraites. Sur ce terrain, le monde musulman peut rivaliser avec le monde chrétien et occidental. C’est, cette fois, vraiment à l’école de le montrer dès (surtout) les plus petites classes, pour que les êtres en devenir puissent se souvenir plus tard de l’émotion qu’ils ont ressentie à l’écoute, à la lecture ou à la vision d’une œuvre, que celle-ci vienne d’une culture ou d’une autre, puisqu’après tout, « Les Mille et une Nuits » valent bien « La Flûte Enchantée » (et réciproquement). De cette indifférenciation seule, opérée par l’émotion et le sentiment de la beauté, pourrait naître un universalisme capable de relativiser l’appartenance communautaire.

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8 commentaires pour Vertus de la discussion (après Charlie)

  1. Merci pour ce texte complet qui fait le tour de la question. J’ai lu la majeure partie des articles que tu cites.

    Je ferai une simple remarque concernant l’humour de « Charlie » dont tu dis qu’il a « raté » à un moment. Si on l’a lu depuis longtemps, on le comprend : celui qui tombe sur une « caricature » dans un style jamais vu peut se sentir « blessé », pour reprendre un terme d’Edwy Plenel, affirmation qui mène fatalement à la censure.

    Car si l’on veut éviter tout risque de « choquer », il faudrait que l’humour soit carrément interdit : c’est ce que dit le dessinateur Luz (rescapé du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo à cause de son anniversaire) dans l’interview émouvante qu’il a donné à une chaîne de télé américaine.

    Or, vouloir encadrer l’humour, sous prétexte de « respecter » des croyances diverses et variées, c’est d’une part oublier qu’il existe la loi sur la presse de 1881, avec ses mises à jour, qui réprime les « dérives » possibles (insultes, diffamation, antisémitisme, racisme, etc.) et que chacun peut faire appel à ses fourches caudines, d’autre part ne pas se souvenir que lors du procès des « caricatures » danoises reprises par « Charlie Hebdo », ce journal avait été relaxé, et enfin s’autocensurer, donc ne plus pouvoir faire aucune création d’aucune sorte – que ce soit dans la presse satirique, au cinéma, à la radio, au théâtre… – sous le prétexte de pouvoir « blesser » (j’y reviens, c’était l’argument de Plenel qui a soutenu du bout des lèvres le mouvement « Je Suis Charlie » car la « couverture du journal des survivants » pouvait heurter les musulmans… sur lesquels il venait d’écrire un livre) tel ou tel membre de telle ou telle religion.

    Beaumarchais disait (je résume, tu connais la citation) :  » et je pourrai publier tout ce que je veux, à condition de ne parler ni de politique ni de société, ni de mœurs, ni de religion… et tout ceci sous l’autorité de deux ou trois censeurs ».

    Il s’agit en fait d’un problème social et de pédagogie – encore faut-il en avoir les moyens (tu en sais quelque chose) – et non d’ordre moral qu’il faudrait instaurer afin d’éviter, croit-on, que le feu qui couve n’embrase la plaine, comme si un petit dessin pouvait être à l’origine de l’incendie.

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  2. @ alainlecomte : Rectificatif : l’interview de Luz a été donnée à un magazine américain (Vice) et non à une chaîne de télé. C’est la vidéo qui m’a fait commettre cette confusion !

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  3. @ alainlecomte : la fusillade de Copenhague aujourd’hui montre, malheureusement, que la liberté d’expression est toujours menacée.

    Peut-on alors se coucher devant les menaces et le terrorisme au nom du « respect » des croyances, ici ou là, qui seraient, elles, intouchables ?

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  4. alainlecomte dit :

    @DH: Débat sans fin entre liberté et responsabilité. Ou bien plutôt entre liberté et sens politique comme le dit Sophie Wahnich dans son dialogue avec Badiou sur le site de Mediapart. Il n’est pas habile, surenchérit Badiou, de risquer de se mettre à dos une partie de ceux qui, en principe, soutiennent un combat prolétarien. Sophie Wahnich rappelle aussi les mots de Robespierre lui-même à l’encontre des révolutionnaires qui cherchaient à extirper les croyances religieuses des citoyens, leur expliquant que c’était finalement contre-productif. Evidemment, on doit être libre d’exprimer ses colères, ses réprobations, et de tourner en ridicule ce que nous savons être… ridicule, mais si nous nous rendons compte que nos propos sont mal compris et qu’ils risquent d’aboutir à l’inverse du but recherché (ce qui est la cas aujourd’hui dans la communauté musulmane), alors il est de notre responsabilité de continuer quand même, ou bien d’arrêter. La critique de l’islam doit avoir lieu, mais ce sont principalement les musulmans (en particulier les intellectuels musulmans) qui doivent s’en charger. Intervenir avec nos gros sabots risquerait plutôt de les gêner dans cette entreprise. Mais je suis conscient qu’en parlant de cela, nous parlons des réactions des musulmans à l’égard des caricatures de Charlie : cela n’a rien à voir directement avec les attentats. Bien sûr que ces caricatures ne sont qu’un prétexte pour les groupes djihadistes. Si elles n’existaient pas, ils trouveraient bien encore de quoi alimenter leur rhétorique justificative. Il faut découpler les deux questions. Les auteurs des attentats sont des assassins incités à tuer par les groupes en questions (EI, Al Qaeda). Ils n’ont pas trouvé leurs cibles tout seuls. La position des musulmans en France, leur sentiment d’humiliation etc. c’est tout à fait autre chose.
    Quant à Plenel, il me fait penser à ces gens qui s’aplatissent en étant plutôt inspirés par la peur que par la raison. Quand il parle, on dirait qu’il prêche. Et son idée de symétrie entre les musulmans d’aujourd’hui et les juifs du temps de Zola (lui se mettant dans la peau de Zola, bien entendu !) est tout simplement ridicule, et ne lui sert en effet qu’à s’auto-promouvoir.

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  5. flipperine dit :

    je reconnais ne pas avoir lu tout ton texte mais je dis qu’on n’a pas à se moquer de la religion des autres il faut s’accepter mais les étrangers qui viennent habiter un pays doivent se plier aux coutumes du pays, qu’ils fassent ce qu’ils veulent chez eux mais en public ils doivent se présenter comme les gens du pays qui les accueillent

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  6. Debbie dit :

    Puisque tu parles du langage…
    Voilà très longtemps que je suis une étrangère en France, naturalisée, maintenant, mais cela n’enlève rien à mon étrangeté, de toute façon…
    Chaque fois qu’on décèle un cheveu d’accent étranger dans ma parole, qu’on me demande d’où je viens, et je réponds, je vois à quel point JE disparais derrière le mot de ma nationalité.
    Je vois à quel point je deviens un symbole, un fantasme même pour autrui.
    Ceci est inévitable, et pleurer sur m/son sort ne changera pas la marche du monde.
    Pour dire que l’Etranger est une des formes que prend l’Autre, et l’altérité elle-même.
    Pour dire plus loin, l’être humain ressemble bien plus à un rat qu’à un hareng, comme j’aime le dire.
    La communauté des rats se constitue comme communauté (et la nation est une forme de communauté, car communauté rassemble les personnes qui ont quelque chose EN COMMUN) en excluant un tiers.
    Sans le tiers exclu, il n’y a pas de communauté constituée.
    Comme j’ai dit ailleurs récemment, cette identité (de rat humain…) basée sur le tiers exclu entre en contradiction violente avec le projet Paulinien, qui fut la contribution d’un juif en voie de christianisation, au monde occidental. (Se souvenir que le Christianisme est une hérésie juive, tout de même, et qui dit hérésie veut dire des éléments communs et opposés aux deux religions/idéologies. On peut dire que le projet Paulinien transmis au Christianisme s’inscrit dans la continuité d’une évangélisation.. juive envers toutes les nations.)
    Les appels constants à l’ouverture, en dissolvant la communauté présente afin d’encore et toujours l’agrandir vers les frontières (après tout, il s’agit bel et bien d’un projet… d’empire…) finissent par fragiliser les appartenances à la communauté dedans, et les faire effondrer.
    Dans un tel contexte, on pourrait dire que l’effritement d’une forte nationalité française fait le jeu d’autres appartenances… hors frontières.
    Mais… nous ne voulons pas de frontières, non ?

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  7. Enkidou dit :

    Décidément, cher Alain Lecomte, je ne vous connais que depuis hier, mais j’aime bien ce que vous écrivez … C’est sans doute parce que, comme disait La Rochefoucauld, « nous ne trouvons guère de gens de bon sens, que ceux qui sont de notre avis ».
    Pour ma part, concernant la manifestation du 11 janvier et le slogan « Je suis Charlie », j’ai pris une position plus radicale que la vôtre (si ça vous intéresse, elle est à l’adresse http://leblogdenkidou.blogspot.fr/2015/01/etre-ou-ne-pas-etre-charlie.html ), mais qui se fondait, me semble-t-il, pour l’essentiel, sur les raisons que vous exposez dans votre billet.
    L’une des raisons pour lesquelles je récusais le mot d’ordre « Je suis Charlie », outre ma répulsion viscérale pour les mots d’ordre, était la suivante (je sais que c’est un peu ridicule, et très prétentieux, de se citer soi-même, surtout quand c’est un peu pompeux et grandiloquent, mais tant pis) :
    « Enfin, disais-je, comment ne pas voir […] que les caricatures publiées par Charlie Hebdo […] ont évidemment blessé la grande majorité [des musulmans], français ou pas ? Qu’elles constituent des prétextes rêvés, entre les mains de quelques fauteurs de haine, pour faire détester la France aux jeunes musulmans, alors que tous nos efforts devraient tendre à la leur faire aimer ? Comment ne pas voir que, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, prendre ces caricatures comme symbole de notre république, c’est non pas la défendre, mais la condamner, aux yeux de nombre de jeunes musulmans ? »
    Ce que je veux dire, c’est que ce qui est en jeu est bien la capacité des humains de vivre ensemble ; que nous (c’est-à-dire, pour faire simple, ceux qui ont participé à la manif, leurs frères, leurs parents…) avons notre part de responsabilité dans l’avancée ou le recul de cette capacité ; que nous devons agir, non pas en portant nos principes en étendard, comme le faisaient les croisés (c’est un rapprochement que j’aime bien, j’en abuse quelquefois, je sais), mais en fonction des résultats de nos actions.
    On ne fera pas adhérer qui que ce soit à nos valeurs si on n’est pas capable de les faire aimer. Et, ces derniers temps, je n’ai pas l’impression qu’on ait fait grand chose pour cela.

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    • alainlecomte dit :

      Bonsoir Enkidou! c’est sympa de venir commenter ce billet dont le contenu, comme vous avez pu voir, était un peu embarrassé… j’avais, comme on dit, le cul entre deux chaises, ce qui explique mon manque de radicalité. Aujourd’hui, j’irais plus franchement dans votre sens, surtout depuis que je connais les arguments d’Emmanuel Todd. Je ressentais une gêne moi aussi relativement à la manif du 11 janvier, mais je n’arrivais pas à bien l’exprimer.

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