Banalité : nous sommes ce que nous sommes. Fragiles sujets ballotés au gré des vents, des illusions et des marées, traversés d’affects et de flux verbaux qui, parfois, mais parfois seulement, veulent bien prendre la forme d’argumentations. Il nous faut être forts et bien accrochés aux branches pour ne pas être de l’avis du dernier qui a parlé… car le dernier qui a parlé a son mot à dire, lui aussi, et après tout, même s’il ne dit pas ce que nous, nous disions l’instant d’avant, il a sûrement de bonnes raisons de le dire… Il n’y a que les philosophes (et les logiciens !) pour croire que les discussions sont des jeux d’arguments où, à la fin, un vainqueur émerge, ayant mis par terre, terrassé, son adversaire. Comme cela arrive dans ce qui, à leurs yeux, est le modèle idéal à respecter : les dialogues socratiques. En oubliant que ces dialogues sont purement fictifs, que Platon s’y donne le beau rôle, en la personne de Socrate, qui, comme par hasard, n’a à faire face qu’à des benêts, des sophistes qu’il confond bien vite dans leurs incohérences. Nous communiquons mais nous ne nous comprenons pas. Ceci était le sujet de la belle thèse (à laquelle j’ai apporté mon soutien) d’un étudiant africain, Mawusse Kpakpo Adotevi, aujourd’hui maître-assistant à l’université de Lomé. Je tiens à préciser ici que cet étudiant a bénéficié de très peu d’aide, en particulier de la part des institutions française, européenne, ou plus généralement de l’hémisphère Nord (juste deux bourses de trois mois octroyées chichement par la France). Je l’ai connu lorsque, en 2005, j’ai effectué une mission d’enseignement à l’université de Porto-Novo (Bénin) dans le cadre d’un troisième cycle (qui a, hélas, été d’existence éphémère) de philosophie, auquel je contribuais par un cours d’histoire et de philosophie des sciences. Il n’était jamais sorti d’Afrique mais il avait lu Austin, Searle, Grice, rêvait de rencontrer François Recanati (je ne crois pas qu’il ait exaucé son vœu lorsqu’il est venu à Paris) et se passionnait pour Wittgenstein (je lui offris donc en cadeau un petit livre que je trouvais remarquable sur Wittgenstein, signé d’un certain Mathieu Marion – que je n’avais encore jamais rencontré). Avec quelques amis (notamment l’association Résurgences, sise à Marseille, et spécialisée dans l’insertion sociale et la recherche en sciences humaines), j’ai lutté pour que sa thèse soit enfin éditée. Aujourd’hui, elle l’est, sous le titre Jeux de langage et raison communicationnelle, sous-titre : Le statut de l’incompréhension dans le langage (éditions du Groupe Résurgences, 111 rue Consolat, Marseille) (j’en ai écrit la préface).
Cela me paraît important de le dire, en ces moments où il s’agit de montrer, plus que jamais, qu’il existe une pensée libre aussi au sud de la Méditerranée, dans ce grand continent africain que d’aucuns aimeraient enfermer entre les bornes du dogmatisme religieux.
Le tirage ne sera sans doute pas celui de « Charlie » mais le contenu semble également intéressant !
J’aimeJ’aime
Le site africultures.com donne un aperçu toujours passionnant du bouillonnement intellectuel et culturel de l’Afrique et des cultures africaines en général (Haïti, par exemple). C’est une lecture qui permet de recadrer les poncifs et de se confronter avec d’autres cultures restées trop longtemps réduites à celle de l’indigène.
J’aimeJ’aime
Mawusse était à Dakar pour une conférence sur la spécificité de la cognition orale que nous organisions. Quelle ne fut ma surprise quand il m’apprit avoir travaillé avec vous. Nous avons un peu parlé de l’estime et l’admiration que que nous avons tous deux pour vous.
Bonne année à vous et à tous ceux qui vous sont chers.
J’aimeJ’aime