Geneviève Brisac : la littérature et la vie

x28a9hyIl faut écouter l’interview que Geneviève Brisac donne sur le site de Médiapart, assez longue (38 minutes), et passionnante. Je n’avais jusqu’ici guère entendu parler d’elle, ou bien ne m’y étais-je pas intéressé. Je l’ignorais, je n’avais aucune idée de ce qu’elle avait à dire. Dommage. Maintenant j’en sais un peu plus, de quoi aller bien vite en librairie pour me procurer son dernier roman, que je vous conseille : Dans les yeux des autres (éditions de l’Olivier).

Couv Dans les yeux des autres

Dans ses romans, Geneviève Brisac reprend sans s’en cacher des méthodes romanesques éprouvées par d’autres, ici notamment celle de Doris Lessing dans « Le carnet d’or ». Il s’agit en effet d’une femme, Anna Jacob – mais l’héroïne de Lessing s’appelait aussi Anna – ex-écrivaine, qui s’est autrefois vivement investie dans les mouvements de libération des années soixante-dix, et qui remet le nez dans ses carnets : prétexte pour une grande remontée vers ces temps anciens où le mot « Liberté » s’écrivait un peu partout : dans les mœurs, dans la politique, à propos des femmes, de la famille, des homosexuels, dans les rapports entre les peuples aussi (que n’a-t-on parlé de luttes de libération nationale…) et même dans l’éducation. C’est dire combien les temps ont changé. Roman d’amertume, alors ? où l’on étalerait ses désillusions ? Non, justement. Geneviève Brisac a ce beau projet qui consiste, loin de nous faire pleurer sur nous-mêmes, à revivifier ces temps anciens, à les faire revivre pour tenter d’en assurer la transmission.

Dans son interview, elle revient notamment sur les luttes féministes de ces années-là, ce qu’elles ont permis de conquérir, et qui est toujours susceptible d’être remis en question, toujours attaqué d’ailleurs (par les mouvements d’extrême-droite autant que par des chroniqueurs haineux). Etonnamment, la haine des femmes se porte bien de nos jours (Zemmour…), comme si toute une frange (une fange) de la masculinité dévoilait son vrai visage, celui de n’avoir fait que semblant d’aimer les femmes (afin d’assouvir leurs besoins sexuels de mecs et surtout, de tenir leur place dans le jeu des rivalités inter-masculines) mais en réalité d’avoir toujours voulu les contraindre et les humilier. Horreur d’une lutte ancestrale qui se meut en guerre dès que se présentent enfin des opportunités pour elles d’affirmer leur rôle au sein de la société.

Rien qu’à propos de la littérature, Geneviève Brisac indique à quel point le poids des hommes est écrasant, comme si on ne laissait guère aux femmes le droit de s’exprimer, comme s’il y avait une littérature propre aux femmes que les hommes dignes de ce nom ne sauraient lire (elle parle de ces hommes qui sont prêts à faire cadeau de livres écrits par des femmes à leur mère, leur belle-mère, leur femme, leur sœur mais qui jamais, au grand jamais ne liraient ces livres – là, j’avoue, je suis un peu estomaqué). Elle parle aussi de l’horrible Nabokov qui refusait de faire une conférence sur Jane Austen parce qu’il ne voulait pas s’abaisser à parler d’une femme écrivaine (et moi toujours de me demander ce que l’on trouve à Nabokov et surtout à son Lolita, encensé dans tout l’Occident, ce qui m’a toujours paru paradoxal de la part de pays si pointilleux sur les marques d’affection que l’on peut porter en public à des enfants…). Ce qu’elle dit là n’est bien sûr pas nouveau. Nécessiterait d’être réfléchi et nuancé. Je suis surpris de son propos qui affirme que lorsqu’on cherche des écrivaines « acceptées », on tombe toujours sur Marguerite Duras et Nathalie Sarraute et c’est à peu près tout… surpris car à un moment de ma vie, je m’étais mis au contraire à penser que la littérature était devenue une affaire de femmes, et de quelles femmes ! Je ne lisais plus que Nancy Huston, Annie Ernaux, Marie N’Diaye, Lorette Nobécourt, Danielle Sallenave, Jeanne Benameur et j’aurais pu lire aussi Véronique Olmi, Brigitte Giraud, Lydie Salvaire voire même… Amélie Nothomb (bon, là, je sais, je pousse un peu question vraie littérature). Et maintenant je lis Geneviève Brisac. Et puis, je me suis repris bien sûr et j’ai vu qu’il y avait des hommes que je lisais, et quels hommes aussi, comme Jean-Marie Le Clézio, Olivier Rolin, Jean-Philippe Toussaint, Laurent Mauvignier, Sorj Chalandon et… Patrick Modiano. Donc, sur le plan strictement littéraire, ce serait plutôt fifty-fifty… Reste le plan commercial, et ceci est une autre histoire. Par exemple, Je n’ai jamais compris comment il se faisait qu’un aussi beau roman que « Grâce leur soit rendue », de Lorette Nobécourt, ne soit encore jamais sorti en livre de poche, (alors que sortent plein d’oeuvrettes de seconde zone, à la Foenkinos) et ne parlons pas de son dernier opus, « La clôture des merveilles »… et je ne sais pas très bien comment les listes pour les fameux prix sont établies, par des jurés évidemment en majorité masculins… et qui décide, dans les maisons d’édition, de la date de parution d’un livre, qui sera plus ou moins propice à son inscription sur les fameuses listes de l’automne…

AVT_Lorette-Nobecourt_2902Lorette Nobécourt

Nul ne saurait nier qu’il y a encore un ordre masculin régnant dans la société. Mais pour combien de temps ? Il se murmure dans certains milieux (recherche, éducation…) que les femmes ont déjà gagné la partie : les profs d’université sincères (même des hommes !) témoignent que leurs étudiantes sont meilleures que leurs étudiants : plus sérieuses, mieux concentrées, soucieuses de réussir (entre autre bien sûr parce qu’elles savent qu’elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes). Si des domaines-clés de nos sociétés : éducation, santé, justice sont de plus en plus investis par des femmes, ce n’est pas, comme l’affirmait ce mandarin benêt d’Antoine Compagnon, « parce que ces domaines sont dévalués socialement » (quelle ânerie !), mais bien parce que les candidates sont meilleures que les candidats et loin de nuire à la valeur sociale de ces métiers, c’est au contraire leur valeur intrinsèque reconnue par tous (quoi de plus noble que soigner ? éduquer ? rendre la justice ?) qui rejaillit sur les femmes dans leur ensemble. Et si, après tout, il ne fallait voir dans les sordides zemourrades que des réflexes d’arrière-garde d’une gent masculine prise dans le désarroi face à une situation qui lui échappe ?

Mais revenons à Geneviève Brisac et à ce par quoi elle alimente notre réflexion. Sa conception de la littérature, qui s’illustre dans cette volonté de tissage : tissage de son œuvre avec celle des autres, de ceux et celles qui l’ont précédée (Doris Lessing, Marina Tsvetaïeva, Rosa Luxemburg, Virginia Woolf… en qui elle se reconnaît), prise en compte d’une vie propre de la littérature : les livres nous parlent. Nous prenons un livre au hasard dans notre bibliothèque, ou mieux : un livre tombe, s’échappant d’un rayonnage, et nous l’ouvrons à une page apparemment au hasard, mais aussitôt nous saute aux yeux ce que nous voulions lire, ce qui peut-être va éclairer notre journée. Dans « Dans les yeux des autres », un passage des lettres de Kafka à Milena jaillit ainsi sous le regard d’Anna : « Ecrire des lettres, c’est se mettre nu devant les fantômes ; ils attendent ce moment avidement ». Est-ce elle alors qui ajoute cette phrase magnifique : « Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route » ? Il y a ainsi un monde littéraire. Il ne faut pas croire que les romans obéissent à une épistémologie réaliste, celle qui pose qu’il y a un réel brut et que le meilleur livre est celui qui se contente de l’observer. Comme en science, d’ailleurs, il faut des hypothèses. Les théories sont des créations de l’esprit qui sont mises en contact avec la réalité (par le biais d’appareillages sophistiqués qui n’ont rien à voir avec l’observation brute, mais qui sont eux-mêmes, comme le disait Gaston Bachelard, des « théories matérialisées »). Les œuvres de littérature aussi, même si, là, les « appareillages » ne sont pas des machines mais des lecteurs. Vous, moi, tout le monde. Il est dommage que les philosophes – surtout les philosophes… « analytiques » ! -qui s’intéressent à la « connaissance littéraire », comme Jacques Bouveresse ou Pascal Engel (des mecs, bien sûr…) ne se mettent pas à l’écoute des écrivain(e)s plus souvent – mais il est vrai, ils les considèrent de haut, avec condescendance, comme souvent les épistémologues ont considéré les scientifiques, aux uns les tâches astreignantes, aux autres les réflexions d’ordre général – au lieu d’aller ressortir des visions archaïques à la Renan, et de condamner au « thaumaturgique » ( !) les théoriciens de la littérature qui n’auraient pas une vision très terre à terre de leur objet…

laurent-mauvignier-accueilLaurent Mauvignier

Si Geneviève Brisac peut être qualifiée d’écrivaine « engagée », c’est bien parce qu’elle s’engage corps et âme dans son écriture : pas question ici d’écrire un livre qui ne correspondrait pas à ce qui l’habite, parfois depuis longtemps, et cela sans considération de « ce qui se fait » (pour être vendu…) ni obligation de publier deux ou trois livres par an. On reconnaît tout de suite les écrivains qui s’engagent ainsi dans leur œuvre, sans concession « au marché », et on reconnaît aussi chez les meilleurs, des moments où il leur arrive de faillir à cette règle. Ainsi de Laurent Mauvignier, justement, que je mentionnais tout à l’heure, que j’ai tant admiré dans ses premiers romans (et surtout dans « Des hommes ») et qui vient de nous infliger un ouvrage qui, manifestement, est sur commande (même s’il ne relève pas d’une commande explicite faite par son éditeur) tellement il correspond à l’air du temps, aux destinations obligées, aux thèmes à la mode, déjà mille fois ressassés (la vacuité des voyages, l’ennui du tourisme, l’angoisse d’être pris dans une attaque terroriste, le Chili qui a servi de terre d’accueil aux anciens Nazis, la peur de se retrouver avec un grand père nazi – thème déjà travaillé par Lorette Nobécourt, justement, dans « Grâce leur soit rendue »…, le Ngorongoro, réserve keynianne où les touristes vont en 4×4 observer les lions, avec la bêtise mâle d’un des hommes qui veut aller au-devant du danger… et puis Rome, évidemment, comme destination obligée, La Trinité des Monts, la piazza di Spagna… ce n’est plus un roman, c’est le Guide du Routard !), s’inscrivant presque dans la foulée de cet autre auteur très à la mode, qui promène sa moue désenchantée sur les plateaux télé et même sur les scènes de spectacle, moue qui lui sert en quelque sorte de marque commerciale… [et quelle écriture sans surprise : « Très vite ils tournent sur la gauche pour remonter vers la piazza di Spagna, dont il espère trouver les fameuses marches recouvertes de fleurs rouges ou fuchsia, comme il avait vu une fois à Pâques » (p. 223)… « ils se sont arrêtés pour manger une glace. Peter a fait son petit discours sur Marco Polo rapportant les sorbets et la glace de ses lointains périples » (p 225) et quand ils en sont à Saint Louis des Français, on sait, on sait qu’ils vont parler du Caravage ! – comme si toujours, il fallait que l’écrivain fasse du poids, rajoute des lignes en faisant étalage de sa culture, laquelle en l’occurrence et une nouvelle fois, ne dépasse pas celle d’un guide touristique standard…]. J’aime la charge menée par Geneviève Brisac contre la littérature de divertissement, qui s’avère tellement ennuyeuse parce que remplie de conventions et que surtout, surtout, elle ne veut pas déranger le lecteur, ou bien contre cet autre défaut des livres (de ceux surtout qu’on retrouve aux kiosques des gares), et aussi, ajouterai-je, du cinéma contemporain, qui est le sentimentalisme. Plus facile de le voir d’ailleurs dans les sorties de films (puisqu’on nous parle beaucoup plus encore des sorties de films que des sorties de livres), comme par exemple le récent « Samba » (suite aux « Intouchables », je précise ici que je n’en ai vu que la bande-annonce) qui noie le drame des sans papiers dans le mélodrame niais, comme si les militants de la cause des sans papiers n’étaient participants à ce juste combat que par manque affectif, désir de rencontre etc. Façon habile de déplacer le problème, qui est d’abord politique, en donnant au spectateur moyen la bonne conscience de s’émouvoir de situations individuelles, toujours tristes, bien sûr, sans pour autant lui offrir les moyens d’une analyse des causes et des systèmes. Geneviève Brisac dit, à juste titre, me semble-t-il, que plus les perspectives sociétales et politiques sont sombres, plus se répand ce sentimentalisme, comme simple échappatoire, soupape de sûreté qui évite aux âmes sensibles de se heurter trop frontalement aux réalités.

Reste que bien sûr, le roman de Geneviève Brisac (comme d’ailleurs celui que j’ai tellement aimé, de Lorette N.) ne manque pas de quelques défauts (du moins, à mes yeux). Personnages emblématiques, fascinants, auxquels on se trouve attaché comme s’ils étaient réels, mais qui demeurent en même temps idéaux, comme des figurines de papier qu’ils sont toujours en dernière instance, trop beaux, parfois trop caricaturaux pour être vrais. Anna est une écrivaine torturée, Molly, sa sœur, une médecin engagée de toute son âme dans le soulagement à donner aux autres, deux femmes extrêmement généreuses. Elles ont eu, ont encore des amants. Comme ce Boris (Boris Yankel), homme doux et idéaliste qui s’engage aussi (justement !) dans la cause des sans papier. C’est un homme étrange, Boris, quoiqu’un homme dans lequel je me reconnaîtrais volontiers, un de ces hommes qui n’a pas perdu son enfance, qui trouve que, souvent, la conversation entre adultes ne vaut pas les mots que l’on peut échanger avec un enfant. Amateur de poésie. Issu d’Arménie. Fou des poètes de la Bucovine et de Cernowitz (là, Geneviève Brisac nous apprend beaucoup) comme cette Rose Ausländer. Mais que va-t-il faire en manifestant autant d’attention aux enfants des sans papier qu’il en vient à les re-baptiser du nom de ces poètes (Ilana Shmueli, Immanuel Weissglas, Heinz Kehlmann… )(*)? (n’est-ce pas un peu invraisemblable, aussi ?). Actions et attitudes qui ne seront pas comprises, et vont lui coûter cher d’ailleurs. Mais pourquoi ? Est-il nécessaire de camper des personnages qui vont si loin dans l’excès ? Liberté du romancier, de la romancière en l’occurrence, dira-t-on, prétexte aussi à toujours faire entrer davantage de littérature dans la littérature même. Tout comme Lorette N. baptisait tous ses personnages avec les prénoms de ses écrivains de prédilection (Alejandra, Virginia, Roberto…). Encore une marque de ce que la littérature, pour mieux nous parler du monde qui nous entoure, doit d’abord renvoyer à elle-même.

roseRose Ausländer

Post-scriptum : Boris leur a enseigné (aux enfants) des poèmes de cette Rose Ausländer :
Nous sommes devenus des épines dans les yeux des autres.
« Les enfants comprenaient parfaitement le sens de ce vers. Il était devenu un Opinel pour dépiauter la réalité. Un couteau à mille lames pour ouvrir, effiler, râper, creuser, sculpter la réalité ». On ne saurait mieux dire le rôle attendu des œuvres littéraires qui, loin d’être des « études de cas » relevant d’observations d’une réalité statique, sont des armes, des instruments pour faire apparaître une réalité qui nous échappe.

(*) Il va sans dire que, jusqu’ici, je n’avais jamais lu ces noms. De rapides recherches sur Internet m’ont révélé un pan entier de la poésie contemporaine que j’ignorais totalement. Celles et ceux qu’on appelle « les poètes juifs de Czernowitz » ont tous été en relation avec le grand poète allemand Paul Celan. Rose Ausländer lui est souvent comparée, mais on ajoute aussitôt en général que sa poésie est moins impénétrable, plus fluide, translucide en quelque sorte. « Rose elle fut et tenta d’être dans ce monde où « l’on avait mis les morts à table », et elle frêle femme, portera le MOT au plus haut » est-il écrit sur ce site dans un beau texte sur elle d’un certain Gil Pressnitzer.

Merci à Geneviève Brisac d’attirer notre attention vers ces poètes et de combler ainsi le trou béant de notre inculture.

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10 commentaires pour Geneviève Brisac : la littérature et la vie

  1. Merci pour ce bel article : je crois n’avoir jamais rien lu de Geneviève Brisac.

    Par contre, en regardant Wikipédia, je me suis rappelé que le scénario du film de Christophe Honoré, « Non ma fille tu n’iras pas danser », avait été co-écrit par elle : puissante poésie sur image.

    Et impressionnante photo de Rose Ausländer !

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    • alainlecomte dit :

      Merci! oui, en effet, elle a collaboré avec Christophe Honoré. Rose Ausländer est très impressionnante, elle a vécu grabataire dans une maison de retraite ouverte par son amie Nelly Sachs pendant une quinzaine d’années, tout en continuant d’écrire des poèmes jusqu’à sa mort en 1988.

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  2. Bel article, c’est vrai : tu vas provoquer un rush sur les livres de Geneviève Brisac, au moins Dominique et moi…
    Tu sais bien que je ne souscris pas à tout ce que tu écris, notamment ton mépris pour la culture de divertissement. Vivant maintenant dans un coin paumé de Bretagne, étant bénévole dans une bibliothèque d’un bourg de 1500 habitants, je vois les livres qui sortent le plus souvent : outre les policiers (parfois excellents comme ceux de Henning Mankel ou de Arnaldur Indriðason), on trouve bien sûr les Katherine Pancol et les Marc Levy, sans compter la « littérature de terroir », souvent affligeante. Je pense à une de mes collègues bénévoles que j’aime beaucoup, militante inconditionnelle au Parti de gauche et fan de Marc Levy, à moins que les deux n’aillent indissolublement ensemble… Et le cinéma de Paimpol était plein samedi soir pour « Samba » et aux trois-quarts vide hier soir pour « Mommy ». En condamnant, d’un bloc, cette culture de divertissement, ne risque-t-on pas d’approfondir encore davantage le fossé entre « dominants » et « dominés » que tu connais parfaitement ? N’y a-t-il pas parfois, dans cette culture de divertissement, des projecteurs sur des questions importantes pouvant, pourquoi pas, stimuler un début de réflexion ? Ou suis-je indécrotablement naïf ?
    A propose des livres écrits par des femmes, j’ai lu récemment deux livres écrits par des femmes noires, « Les douze tribus d’Hattie » de Ayana Mathis (Gallmeister) lu au début de l’année et « Le ravissement des innocents » de Taiyes Selasi (Gallimard) que je viens de finir et dont je vais très bientôt parler sur mon blog : je ne saurais trop les conseiller…

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    • alainlecomte dit :

      Cher J-M, je ne mets pas systématiquement le polar dans la « littérature de divertissement » puisqu’il y a de très bons polars (James Ellroy…), il y a juste à ce niveau une distinction entre « littérature blanche » et « littérature noire ». Mais Marc Lévy, Katherine Pancol… (et d’autres aussi, Foenkinos etc.). Ce n’est pas du « mépris », en tout cas pas du mépris pour les les lecteurs et lectrices: après tout, chacun a ses « distractions », j’aime faire les mots croisés du Monde, je ne rate jamais une étape du Tour de France et j’aime bien aussi regarder des séries à la télé (« Les hommes de l’ombre » par exemple, et aussi « Profilage »)… mais ce que je veux dire c’est que d’abord, on ne saurait juger d’une oeuvre de la culture à partir du nombre d’entrées, et ensuite que les exigences vis-à-vis de la littérature doivent être maintenues. En tout cas, ceux qui ont la chance d’avoir un accès plus facile à ces oeuvres ne doivent pas baisser les bras et doivent encourager les autres à y avoir accès, qui d’autre qu’eux pourraient le faire d’ailleurs? Je crois que toute personne qui aime lire finira par percevoir qu’il y a plus de plaisir à trouver à lire Mauvignier, Brisac ou Duras (au hasard) qu’à lire Marc Lévy, même si au début, cela ne lui est pas évident. C’est comme avec la peinture, beaucoup de gens peuvent se contenter des tableaux exposés dans les salons d’ameublement, mais s’ils aiment la peinture, on n’aura pas de mal à les convaincre que, quand même, il y a mieux, et qu’on peut trouver davantage de motif à du plaisir devant un Picasso authentique (pas une reproduction) que devant une toile en vitrine juste « jolie ». Quant aux films, ne pas perdre de vue que des films comme « Samba » sont avant tout des biens économiques, des produits commerciaux, pas des oeuvres « militantes » ni des entreprises philanthropiques. Alors si parfois elles empruntent à l’actualité dans ce qu’elle a de plus terrible, cela peut avoir certains avantages, certes, mais c’est surtout parce que ça fait vendre de la pellicule.

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      • Cher Alain, je suis d’accord, cette fois-ci, à 99% sur ton commentaire. J’ai réagi un peu vivement ce matin parce que c’est une problématique qui me préoccupe beaucoup depuis que je suis en Bretagne.
        Pour la bibliothèque dont je suis un des bénévoles, quand l’attribution du Prix Nobel pour Modiano a été annoncée, j’ai tout de suite fait l’inventaire de ses livres disponibles pour les mettre en exergue et en faire l’annonce sur le site internet de la bibliothèque. Toujours sur ce site, je « recopie » quasiment tout ce que j’écris à propos de mes lectures sur mon blog « Des petits riens ». Je sais pertinemment que mes analyses sont assez superficielles mais elles sont appréciées par mes lecteurs locaux qui, parfois, ont la curiosité de prendre un des livres dont je parle… quand il est à la bibliothèque.
        « Samba » est une machine commerciale pour engranger 10 millions d’entrées au minimum. On peut trouver un certain opportunisme de la part des réalisateurs d’effleurer des sujets « sociétaux ». Mais cela fera 10 millions de personnes qui auront un aperçu, de façon édulcorée bien sûr, de la façon sont traités les « sans papiers » en France.
        A celles et ceux qui sont allés voir « Samba », je leur parle de « Mommy ». (pas de « Léviathan », décidément trop noir et trop dur)
        Ceci étant, je suis toujours surpris de la vivacité de l’activité culturelle dans la région, le plus souvent, sans approche mercantile. Je fais partie d’une association pour la promotion de la musique, plus particulièrement du jazz, en milieu rural. Ce n’est pas facile mais on y arrive… en regrettant parfois la concurrence des nombreuses autres offres de qualité dans la région (surtout en été) !
        PS : j’ai beaucoup aimé la série « Les hommes de l’ombre » !

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  3. Le sentimentalisme se répand d’autant plus facilement dans une société que les êtres qui la composent sont en manque de sentiments. La littérature n’est belle que lorsque son auteur laisse son âme d’exprimer, sous n’importe quelle forme, poésie évidemment, mais aussi essai, roman, policier ou non. La forme importe peu, et l’époque non plus, seul compte l’engagement humain personnel de l’auteur, peu importe son sexe.
    Chaque livre laisse une trace dans l’esprit du lecteur, qui se construit sur ses mots, sur ses témoignages ou sur ses espoirs.
    C’est dans la diversité qu’il forgera son opinion.
    « Nous sommes devenus des épines dans les yeux des autres. »
    Merci à ceux qui nous ont fait découvrir les épines.
    Le fait d’avoir mis le doigt sur les épines nous aide à apprécier la beauté de la rose qui les porte.
    Il n’y a pas d’inculture, mais seulement une approche diverse des idées et des humains qui les transmettent. Il ne s’agit pas de distraction, il s’agit d’échanges et d’humanité.
    Cette distinction faite entre ce qu’il faut « avoir lu » ou « avoir vu » avec le « reste », à la limite du mépris, me gêne profondément. C’est là précisément ce qui empêche certaines personnes d’entrer dans une bibliothèque, en pensant au regard que d’autres porteront sur leur choix, ce qui ne leur permettra pas de découvrir un jour « tout le reste »… comme la poésie de Rose Ausländer.

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    • alainlecomte dit :

      Merci de ce commentaire. Mais si, il y a « de l’inculture », sans que je veuille attribuer une marque méprisante à ce mot, car je dis bien dans mon billet qu’il s’agit de « notre inculture », donc aussi et surtout de la MIENNE. C’est de l’inculture d’ignorer les voix d’êtres humains, des écrivains, des artistes qui ont constitué une oeuvre ayant des choses importantes à dire, et c’est de l’inculture que de leur avoir parfois préféré des voix moindres, des oeuvres n’ayant pour qualité que la facilité d’y accéder.

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  4. Debbie dit :

    J’avoue que j’ai eu du mal à finir votre commentaire.
    J’ai eu envie de zapper, un peu comme j’ai eu envie de zapper Geneviève Brisac, lors de son entretien sur la matinale de France Musiques pour parler de son livre. (Mais je crois que Mme Brisac est, comme vous, comme moi, comme d’autres, prise dans la tourmente révolutionnaire en ce moment, un peu à son insu, d’ailleurs, et je concède que son livre pourrait mériter que je m’y intéresse en dehors de ses prises de positions… sexistes, si je puis dire.)
    Je ne suis plus militante (je l’ai été pendant une vingtaine d’années), et si je suis engagée, je peux dire, avec fierté, que je suis engagée depuis plus de trente ans à côté de mon mari, avec qui je vis.
    A mes yeux, ça fait déjà un sacré engagement… suffisant pour moi, en tout cas, en ce moment.
    J’ai des réactions de plus en plus épidermiques devant la dernière poussée fiévreuse pour la « libération » des femmes, et ne peux que me demander ce qui se cache derrière tant d’acharnement dans la civilisation occidentale, à l’heure actuelle.
    Je dois dire que je ne crois pas que les femmes sont/ont été écrasées…ni qu’elles sont à libérer. (Si vous y réfléchissez bien, vous vous apercevrez à quel point notre compréhension collective du mot « libre » est tombée dans un état de puérilité qui ferait rougir des enfants, même.)
    Certes, beaucoup de personnes semblent croire qu’elles ont été écrasées, mais ce sont surtout… nos croyances, si je puis dire, et il n’est pas du tout certain que nos croyances résistent à un examen attentif, lucide, et historique de notre passé, au delà des mythes, des préjugés que nous ressuscitons régulièrement en période révolutionnaire pour brasser de l’air.
    Je vous invite sereinement à vous procurer le livre de Régine Pernoud (une femme…), « Pour en finir avec le Moyen Age », où Mme Pernoud, avec beaucoup de patience, démonte magistralement beaucoup de nos préjugés encore actuels sur notre passé, et où elle finit en s’interrogeant sur la fâcheuse et fatale.. ambition de trop de femmes à faire concurrence avec leurs partenaires/compagnons masculins pour s’emparer d’un pouvoir public, RECONNU, tout en se délestant de l’immense pouvoir.. PRIVE, et.. occulte (oui, j’ose le mot) qui était le leur par le passé.
    Un tel aveuglement dans la compréhension du pouvoir, qui aplatit la distinction entre pouvoir public/privé, est lourd de conséquences pour femmes et hommes à l’heure actuelle.
    La concurrence exacerbée entre les sexes fait trop de dégâts à mes yeux pour permettre qu’on continue à brasser de l’air encore et toujours. (Lire et méditer Konrad Lorenz pour s’interroger sur les effets de la concurrence intra-espèce, à différencier de la concurrence inter-espèce.)
    Puisque vous semblez prôner… la mesure, et bien, il faudra revenir en arrière pour la trouver. Le balancier est allé trop loin dans l’autre sens pour le confort de tous et de toutes…
    Mais… je brasse de l’air.
    Le balancier reviendra (est en train de revenir) en dehors de notre ambition de contrôle social, volontaire ET VOLONTARISTE.
    Le balancier… se fiche de notre illusoire volontarisme.
    Nous contrôlons beaucoup moins que nous aimerions le croire, de toute façon.

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    • alainlecomte dit :

      je vois assez bien ce que vous voulez dire. D’un certain point de vue, on peut dire G. Brisac « sexiste » puisqu’elle s’identifie au combat d’un sexe et qu’on aimerait évidemment qu’il n’y ait pas de « combat ». J’ai lu aussi Pernoud, autrefois, et je me souviens de ce qu’elle disait sur le Moyen-Âge, qui est loin d’avoir été cette période d’obscurantisme qu’on nous a dépeinte. Mais justement, me semble-t-il, le M-A a été une période où des femmes ont eu des pouvoirs immenses (à l’université et même dans l’eglise, voir cette fameuse Hildegarde de Bingen), donc leur pouvoir n’était pas si « privé ». En notre époque, je pense que lorsque des chroniqueurs comme Zemmour parlent de « féminisation » de la société ou que des types se réunissent en association des « 343 salauds » afin de défendre leur droit à « aller aux putes » en toute impunité, on n’a guère de choix autre qu’approuver la cause des femmes. Balancier… quel balancier? Si on regarde la société d’un peu haut, je crois qu’on ne voit pas tellement de « volontarisme », les désirs des uns et des autres vont parfois dans le même sens, d’autres fois ils s’annihilent, ils donnent lieu à des bouffées d’espoir ou… de désespoir. Je crois à cette image des « affects » (Spinoza) qui se fédèrent ou se désagrègent selon l’époque.

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      • Debbie dit :

        Je crois maintenant que s’il y a un grand enjeu pour la société et les individus qui la composent, c’est de pouvoir avoir le discernement de faire la différence entre les sexes. Je crois ça… après avoir lu pas mal de Freud, et assez de Lacan pour me satisfaire. Je trouve que malheureusement, à notre époque, comme au Moyen Age, d’ailleurs, et peut-être au moment de la première église, il y a beaucoup de.. confusion dans les esprits sur comment faire la différence.
        Le problème je vois, comme j’ai déjà du le dire ailleurs ici (je me répète beaucoup…), c’est que l’idéal, le projet Paulinien, qui est le moteur de l’Occident dit ceci : « Dans le Christ il n’y a ni Est, ni Ouest, ni Nord, ni Sud, mais une grande communauté d’amour à travers la terre toute entière ».
        Le projet Paulinien nous a donné le grand « D » mot, et je ne veux pas dire « Dieu », je veux dire.. « démocratie », qui est mis à toutes les sauces, et seriné au point de perdre toute consistance (c’est à dire, devenir un slogan publicitaire).
        Le projet Paulinien est un grand monstre d’inclusion, et abolition des différences.. toutes les différences, on pourrait dire.
        Freud appelait ça un sentiment océanique.
        Moi, j’appelle ça… le banc de poissons.
        Alors, dire que cela nous mène à la féminisation de la société, je dirais non.
        Je dirais que ça nous mène à l’abolition carrément d’une sexualité différenciée.
        Pour qu’il y ait une sexualité, avec une reproduction sexuée, il faut de la différence entre les sexes.
        Pas de reproduction sexuée, et c’est l’a-sexualité.
        Mais si vous y réfléchissez, il y a des forces remontant carrément à l’Antiquité, que je vois à l’oeuvre dans les religions monothéistes, dans certains courants de la philosophie grecque, et la gnose, qui sont hostiles à la sexualité humaine, et la reproduction sexuée.
        Des forces qui voudraient que nous soyons tout esprit, sans corps, le corps étant un truc sale, et surtout… mortel.
        Je les vois encore à l’oeuvre dans notre monde occidental que je charge d’une haine du corps (plutôt une grande ambivalence), en dépit de ce qu’on nous fait miroiter comme « narcissisme ». (un vaste débat, le narcissisme, qui, pour Freud, n’était pas un concept péjoratif…)
        Pour la féminisation… je crois qu’un certain nombre d’hommes (et de femmes, dont je fais partie) ont constaté une pression faussement et apparemment douce, mais diablement tyrannique pour abolir toute forme d’agressivité, de négativité dans les rapports humains.
        J’appelle ça la Disneylandification d’un monde qui nous fait miroiter que nos vies se déroulent, et DEVRAIENT se dérouler dans un grand parc d’attraction où tout le monde est souriant et gentil 24h/24. (Le dernier avatar du projet Paulinien, réduit à un slogan publicitaire gnagnan indigne d’un enfant de 5 ans. Mon fils, à 5 ans, après une visite à la tombe de son grand père s’est roulé par terre dans la chambre d’hôtel en apostrophant ses parents pour nous dire « Pourquoi m’avez-vous fait puisque je dois mourir ? » Tout enfant qu’on n’a pas.. infantilisé afin de se convaincre, soi, qu’on est..PUERil, innocent et BON (à croquer…) est capable de sortir une réflexion comme cela qui témoigne que, enfants, et adultes, nous sommes… égaux devant la condition humaine qui est conditionné à partir de la mort. Et… qu’il y a des questions qui n’ont pas de réponses.)
        Personnellement, je ne crois pas que ce monde soit possible, mais surtout, je ne crois pas qu’il soit.. souhaitable.
        Vous avez raison pour le pouvoir des femmes au Moyen Age mais… ne trouvez-vous pas étrange combien nous persistons à trouver que la période était.. arriérée ?
        Ça ne vous étonne pas ?…

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