Vous me connaissez bien sûr : vous tous allez me dire que je suis Lucrezia Penciatichi, l’épouse de Bartolomeo, la mère du futur chambellan de François 1er de Médicis.
Eh bien non, vous vous trompez, en réalité je suis son modèle. Je m’appelle Angellina Ferrarini. Et j’ai posé bien des fois pour mon maître unique et préféré, je veux parler d’Agnollo, celui qu’on a surnommé Il Bronzino, allez savoir pourquoi : on a dit qu’on l’avait appelé comme ça à cause de la coloration de sa peau, on a même dit qu’il devait son bronzage à une maladie d’Adyson, mais s’il avait eu cette maladie il n’aurait pas eu cette sombre énergie qu’il a déployée toute sa vie, en faveur du développement de ses idées sur la peinture, c’est-à-dire du maniérisme.
Je sais ce que vous pensez : maniériste, c’est décadent, voire minaudant, eh bien détrompez-vous, mon maître a quand même commis quelques unes des œuvres les plus fortes de la Renaissance. Je ne vous parle pas seulement de son allégorie avec Vénus et Cupidon, présentant à notre vue l’un des nus les plus charmants de tous les temps, mais je vous parle aussi de ses fresques, comme cette descente de la Croix, aujourd’hui au musée de l’œuvre de Santa Croce, à Florence, si bien restaurée.
Regardez d’ailleurs cette fresque : parmi les corps nus qui s’emmêlent les uns aux autres, vous percevez encore le visage d’une femme : c’est moi.
Je ne vous dis pas le nombre de séances de poses qu’il m’a fallu endurer.
Agnollo peignait sur motif, comme son père adoptif, le non moins célèbre Pontormo, lui avait appris à le faire. Heureusement lui ne procédait quand même pas comme son maître, qui collectionnait les cadavres et les entassait derrière de hautes vitres pour mieux peindre le réalisme des chairs blafardes et des membres tordus.
Nous restions entre vivants et personnes de bonne famille. Enfin, quand je dis ça… Souvent les séances collectives de pose tournaient à l’orgie. Un jour une bagarre éclata sous l’emprise de l’alcool et Matteo, que je connaissais très bien, s’en prit à Arnolfo Verano pour une histoire de fille, et il le tua d’un coup de couteau. Chose relativement fréquente à notre époque, sous Cosme 1er de Médicis et qui en principe eût du passer inaperçue, seulement voilà, cet Arnolfo était le mignon d’un des princes bien en vue à la cour et Cosme dut dépêcher sa police sur les lieux du crime. Son inspecteur, Beltramo, vint m’interroger et j’osai déclarer que je ne connaissais pas ces messieurs, puis m’encourut chez Matteo pour le prévenir qu’on le soupçonnait. Pas de chance, dans l’escalier, toute essouflée, je tombais sur l’inspecteur qui, narquoisement me demanda ce que je faisais ainsi en la demeure d’un homme que j’étais supposée ne pas connaître. Ceci me valut quelques jours d’arrêt, mais heureusement mon maître sut intervenir, et par la suite, plus que jamais, je lui demeurai attachée. Jusqu’à sa mort, en 1572.
bonjour ,
excellent cet histoire !!
quelles sont vois sources ?
je recherche, en vain, de la doc sur la vie de Bronzino.
Merci
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