Les femmes et les maths

Samedi matin, Stanislas Dehaene était interviewé sur France-Inter dans le cadre d’une série d’émissions matinales sur l’intelligence. Dans le peu de temps qui lui était consacré, il a soulevé deux ou trois points à mon avis très importants et qui dépassaient ce que les autres intervenants ont pu dire pendant la matinée. Il a fait référence à sa théorie du recyclage neuronal bien entendu (exposée dans Les neurones de la lecture ), théorie selon laquelle au cours de l’évolution, certains circuits neuronaux auparavant dédiés à certaines tâches en ont été détournées et attelés à d’autres, comme par exemple la lecture (l’espèce humaine n’a pas eu le temps de muter pour faire apparaître un circuit neuronal spécifique à celle-ci).

Mais il a aussi mentionné deux types de résultats récents en sciences cognitives : d’une part l’identification du rôle de l’école dans le développement de certaines capacités, et d’autre part, en réponse aux questions inévitables sur la différenciation des cerveaux selon le sexe, il a cité une étude récente qui fait le point sur les rapports entre les femmes et les mathématiques. Il se trouve que les travaux traitant de ces deux sujets ont été publiés dans un numéro récent de la revue « Science » (le numéro du 30 mai 2008 ).

Le premier point ressort d’un article de Dehaene lui-même en collaboration avec Pica, Spelke et Izard prenant prétexte d’études anthropologiques dont j’ai déjà parlé dans ce blog , menées au contact d’une tribu amazonienne, les Mundurucus qui ne disposent pas de noms de nombres au-delà des petits nombres de 1 à 4 et sont pourtant en mesure de faire des calculs approximatifs. Dehaene trouve là le moyen d’étayer des hypothèses qu’il a déjà formulées dans son premier livre à succès : « La bosse des maths », selon lesquelles les humains (et aussi semble-t-il beaucoup d’autres espèces animales) possèdent des intuitions du nombre (ce qu’il appelle « le sens des nombres ») très corrélées à celles de l’espace. Pour le prouver, les chercheurs ont demandé à des indiens Mundurucus n’ayant reçu aucune éducation (de la part des missionnaires brésiliens) de disposer des nombres sur une échelle dont l’extrémité gauche est marquée par un cercle contenant un point et la droite par un cercle contenant dix points. « deux » par exemple est mis du côté de « un », « trois » entre « deux » et « dix » plus proche de « deux » que de « dix » etc. La particularité est que les segments séparant deux nombres consécutifs se rétrécissent en allant vers « dix », au lieu d’être de longueur constante. On peut même exactement dire que l’échelle obtenue est logarithmique : le nombre « n » est placé à une position de l’ordre de son logarithme. Faites la même expérience avec des individus de la même culture mais qui sont passées par l’école : ils vous donneront une échelle où les segments sont de longueur quasi-constante (donc une échelle « linéaire »). L’éducation a donc un rôle. Mais ce rôle n’est pas de faire apparaître de toutes pièces des notions comme celle de nombre, il est de transformer ces notions, donnant ainsi naissance aux possibilités du calcul exact (et à une certaine séparation des entités numériques par rapport aux entités spatiales).

Le deuxième point est développé dans un article de Guiso, Monte, Sapienza et Zingales , de l’Institut Universitaire Européen de Florence, qui ont étudié les différences dues au genre (en fait, on dit « genre » maintenant, dans les études sérieuses, et plus « sexe » !) dans les résultats à certains tests dans différents pays. Il s’agissait de tests de mathématiques et de lecture. La conclusion est la suivante : « dans les cultures qui tendent le plus à traiter hommes et femmes sur un pied d’égalité, le fossé qui sépare leurs aptitudes en mathématiques disparaît, alors que le fossé qui sépare leurs aptitudes en lecture s’accroît (à l’avantage des filles) ». Le fossé mathématique est corrélé avec le statut accordé au genre, mesuré selon une échelle dite GGI. (Gender Gap Index). Ainsi, en Turquie, la réussite en mathématiques des filles est-elle significativement inférieure à celle des garçons, alors qu’en Islande, c’est l’inverse !

La vieille théorie des filles nulles en maths en prend un sacré coup, de même que celle d’un cerveau différent pour les hommes et pour les femmes.

 

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(Cecylia Rauszer, brillante mathématicienne polonaise décédée en 1994)

Reste malheureusement que trop souvent encore, beaucoup de femmes préfèrent sans doute masquer leurs aptitudes (ce qui expliquerait qu’on ne les retrouve pas encore en grand nombre au sommet des hiérarchies) au prétexte que les révéler risquerait de nuire à leur image féminine ou leur attirerait les foudres de la gent masculine…

 

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2 commentaires pour Les femmes et les maths

  1. Posuto dit :

    Je veux des foudres !!! Je veux être bonne en maths !!! Je veux vivre en Islande !!!
    (non, en fait, je prendrais bien un croissant ou un pain au chocolat, mais ce sont là des objectifs bassement terriens)
    Donc, intelligence et culture diablement liées, is not it ?
    Kiki 🙂

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  2. Alain dit :

    oui, c’est lié! mais il ne faut pas aller trop vite en besogne tout de même. Est-ce que l’égalité homme-femme est seulement un problème de « culture »? n’est-ce pas plutôt une question d’ordre sociale, voire un acquis social? Bref, il faut que les femmes luttent et il y a encore du chemin à faire, y compris chez nous… quand je vois toutes ces brillantes étudiantes qui limitent volontairement leurs ambitions à une carrière de professeur des écoles alors qu’elles pourraient aller bien plus loin dans leur vie professionnelle, et quand je sais que souvent, elles limitent ainsi leur ambition parce qu’elles souhaitent avoir des enfants et qu’elles se disent que la probabilité n’est pas faible pour qu’elles soient vouées à les élever seules…..

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