Bouveresse, Musil et la connaissance de l’écrivain

librairiedeluniv.1207380977.jpgLe philosophe Jacques Bouveresse était hier à la librairie de l’Université pour parler de son dernier livre « la connaissance de l’écrivain » (pardonnez-moi, Chantal Serrière qui dans Ecritures du monde , nous racontez si souvent vos rencontres avec des écrivains célèbres dans une librairie de Strasbourg, la librairie Kleber… qui ne doit pas être mal, d’ailleurs, cette librairie, si un jour je vais à Strasbourg…).

bouv4-demi.1207380958.jpgJacques Bouveresse, donc, est l’un de nos meilleurs authentiques philosophes. Peu médiatisé pourtant. C’est vrai qu’il n’a pas la chevelure romantique, ni la chemise blanche ouverte sur un torse bronzé. Je ne crois pas non plus qu’il vive avec une chanteuse de variétés. Ni avec un top model. Ca se saurait. Tout se sait. Non, c’est un petit homme gris, avec les cheveux blancs, et une voix qui ne porte pas loin. Il lit les (longues) citations qu’il extrait de gros livres en plissant le nez et en relevant ses lunettes. Il est assis tout à fait dans le coin, au fond à droite, et dans la salle il y a surtout des professeurs de philosophie grenoblois (oui, cette espèce existe, « ce n’est pas qu’à Paris que le crime fleurit »). Il y a le Denis, le Philippe, le Lambert, la Sophie, bref ils y sont tous, que je vois de dos, et d’en haut, car je suis debout.

Le thème de Bouveresse est « la connaissance de l’écrivain », conformément au titre de son dernier ouvrage. Il se demande, à la suite d’autres, comme Robert Musil (dont il est un féru spécialiste) quelle est cette « connaissance » qui transparaît dans la littérature, celle à laquelle Proust fait référence quand il dit qu’un roman qui ne nous apporterait pas une « vraie » connaissance ne serait pas un bon roman.conn-de-lecriv.1207381006.jpg

J’apprécie hautement Jacques Bouveresse (lire en particulier cet interview ) parce qu’il est de ces philosophes modestes qui sont avant tout attachés à la notion de vérité, laquelle passe d’abord par l’honnêteté. Tu n’affirmeras pas ce pour quoi tu n’estimes pas avoir de preuve suffisante. Tu ne diras pas non plus en termes inutilement compliqués ce qui peut s’énoncer de manière relativement claire. On croirait les maximes de Grice. Et oui, ces maximes implicites dans la conversation normale sont prises au pied de la lettre et comme des directives intangibles par certains philosophes dont Bouveresse fait partie.

Il se défie de tous ceux, et ils sont nombreux, qui voudraient nous faire croire que la littérature nous donne une connaissance « ineffable », qui serait d’une essence supérieure à toute autre forme de connaissance, dont évidemment la science. Essayez d’apprendre auprès d’eux, avec plus de précision, de quoi il s’agit, et vous n’obtiendrez, selon le mot de Musil, que des réponses de sacristie… l’invocation de la « sacro-sainte » littérature, ce qui est, dit-il encore, une « bigoterie » de la littérature.
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Or, l’affaire est plus sérieuse que celle qui se résoudrait simplement à convoquer les valeurs du spiritualisme. Alors, que nous transmet la littérature, comme savoir, si jamais elle nous en transmet un ? Musil, encore lui, en doutait : « la littérature disait-il, utilise des connaissances, mais n’en transmet aucune », quitte à se contredire plus tard en disant : « dans la mesure où la création littéraire transmet une expérience vécue, elle transmet aussi une connaissance ». Mais il ajoutait : « cette connaissance n’est certes pas du tout la connaissance rationnelle de la vérité (même si elle est mêlée avec elle) mais toutes les deux sont le résultat de processus orientés de la même façon, étant donné qu’il n’y a justement pas un monde rationnel et en dehors de lui un monde irrationnel, mais un seul et unique monde qui contient les deux choses. »

A mon sens, Bouveresse n’a pas donné de réponse stable et définitive à la question posée… et je m’interroge encore à la suite de sa conférence pour savoir ce que moi-même j’en aurais dit si on m’avait posé la question. Ce qui apparaît en tout cas nouveau, au travers de ce genre de travail critique, c’est qu’on est sorti de l’époque de la textualité à tout prix, où il paraissait inconvenant de faire référence à un extérieur de la littérature au moment où on jugeait de l’œuvre littéraire, comme s’il n’y avait que des textes s’enlaçant et se répondant les uns les autres au sein d’un gigantesque métatexte. On parle aujourd’hui du temps qu’il fait dehors et du rapport qui existe entre ce temps qu’il fait et l’œuvre qui en parle. On (re)parle même du contenu éthique, voire moral, d’une œuvre.

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3 commentaires pour Bouveresse, Musil et la connaissance de l’écrivain

  1. Voilà en effet qui donne à penser…On (re)parle même du contenu éthique, voire moral, d’une œuvre. » Et même des correspondances entre le temps qu’il fait et l’oeuvre! On reprendrait presque espoir…Je savoure aussi l’expression « bigotterie » en littérature.

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  2. jmph dit :

    Très intéressante réflexion… même si parfois je me sens un peu dépassé. J’ai du mal à comprendre comment la littérature peut donner une connaissance qui lui soit spécifique, ineffable ou non.
    Le jugement que l’on peut avoir sur une oeuvre littéraire, l’impression qu’elle donne au lecteur, l’envoûtement que parfois elle provoque, sont le résultat d’un processus tellement personnel, avec sa propre éthique, sa propre esthétique ; celal rend parfois vain le travail de critique.
    Et le retour aux grands classiques, en laissant de côté l’écume de l’actualité littéraire, rend encore plus palpable « le temps qu’il faisait » et « le temps qu’il fait maintenant ».

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  3. Y dit :

    Dans un autre prolongement, sur l’utilité de la version littéraire de la science-fiction : http://yannickrumpala.wordpress.com/2009/02/21/la-science-fiction-comme-voie-pour-elargir-le-champ-des-experiences-de-pensee/
    La perspective apparaît développée dans les billets suivants.

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