Sur les pas du Caravage – II

Etes-vous allés à Tarquinia ? Ainsi pourrait commencer un roman de Marguerite Duras. Tarquinia existe. Pas seulement ses petits chevaux, encore que lesdits petits chevaux sont ce qu’il y a de plus beau à voir à Tarquinia, et pas qu’à Tarquinia : dans le monde tout entier. Si on lit le roman évoqué ici, on ne connaîtra rien ou presque rien d’eux. On saura seulement : « parce que les guides, ils sont paresseux, et ils ne vous montreront pas les petits chevaux. Si vous ne devez pas les voir, alors ce n’est pas la peine d’y aller ». En réalité, le roman, c’est sur autre chose : « c’est ça l’amour, ça n’existe pas. L’amour, il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, il n’y a pas de vacances possibles à ça […] S’y soustraire, on ne peut pas. Comme à la vie, avec sa beauté, sa merde et son ennui ». Il sera dit donc qu’il y a toujours quelque chose de l’amour à Tarquinia.

Les chevaux ailés de Tarquinia, qui décoraient autrefois l’Ara della Regina, temple étrusque de Tarquinia du IVe siècle av. J.-C

Quant aux petits chevaux, vous les verrez sûrement. Pas besoin de guide pour ça. Même en marchant dans la rue centrale, le soir, de nuit, vous les verrez : au deuxième étage du musée, le palais Vitelleschi, ils laissent la lumière allumée pour que les passants, d’en bas, puissent les entrevoir. Après, c’est une façon d’attendre le lendemain, ça ouvre à neuf heures, on peut les voir de près avec le même billet qui a servi, la veille, à aller arpenter la nécropole, autrement dit errer parmi les tombes, à chacune d’elles, effectuer le même rite : descendre l’escalier qui va vers son intérieur, presser le bouton de la lampe et admirer un mur d’en face, une porte parfois surmontée d’un fronton orné de divers animaux (des léopards, des loups, des oiseaux), puis les murs de côté où sont représentés le plus souvent des banquets, avec des libations, des corps allongés, des serviteurs nus, une jeune fille gracile (« la pulcella »). Les tombes ont pour noms : des Taureaux, des Chasseurs, des Lionnes, de la Pucelle, de la pêche et de la chasse etc. découvertes entre la moitié du XIXème siècle et celle du XXème, datant d’environ cinq cents avant J. C., tombes étrusques donnant témoignages des mœurs de ce peuple qui s’est lentement éteint sans doute absorbé dans la masse de population qui colonisait un territoire qui va du sud de la Toscane au nord de la Campanie et qui englobait, bien sûr, Rome, dont les derniers Rois, à ce que l’on dit, furent étrusques : Tarquin l’Ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe (après lui, instauration de la République). On a parfois présenté les étrusques comme des gens « qui savaient vivre », ils aimaient festoyer, ils aimaient rire, quand on représente ainsi un couple défunt, à moitié allongé sur une couche qui tient lieu de couvercle de tombe, on les voit sourire. Ils étaient probablement persuadés qu’après la mort la vie continue, d’où toutes ces fresques et tous ces objets qu’on ne voit plus entreposés dans leurs lieux d’origine, mais au mieux dans des musées, comme celui de la Villa Giulia à Rome, d’où aussi sans doute qu’après une période initiale où les corps furent incinérés (autour du VIIème siècle avant J.C.), ceux-ci ne le furent plus mais furent embaumés comme pour être prêts à resservir.

Tombe étrusque – Nécropole de Tarquinia – Tombe des Léopards, 473 aC

Les étrusques vivaient sur des promontoires, grâce à cela, lorsque nous sommes au sommet de la métropole, nous découvrons un panorama magnifique, tout de verdure, avec un fleuve (Marta) qui semble partir droit face à nous mais en réalité nous vient du lac tout proche de Bolsena, et, au loin, les monts bleutés des Apennins. Pour aller à Tarquinia, comme pour en venir, on passe obligatoirement par la ville de Civitavecchia, qui nous rappelle quelque chose, oui bien sûr, Stendhal, qui y fut consul de France pendant une bonne dizaine d’années (ce qu’une plaque rappelle à l’angle d’un immeuble donnant sur le port, où il porte le nom d’Arrigo Beyle).

Les deux Caravage de Santa Maria del Popolo

Le retour à Rome se fait dans de bonnes conditions si l’on prend le train omnibus qui s’arrête dans des lieux que notent les guides parlant des étrusques, comme Cerveteri, et diverses stations balnéaires. On arrive à Termini tout frais pour de nouvelles explorations sur les pas des grands peintres et sculpteurs et, comme précédemment sur ceux du Caravage. Car il nous en reste à voir, notamment ceux de la piazza del Poppolo, à l’abri qu’ils sont de Santa Maria, exaltant cette fois la conversion de Paul ou la Crucifixion de Saint Pierre. Sans compter ceux du Vatican et du Musée capitolin. Au Vatican : la mise au tombeau du Christ, au Capitole : la diseuse de bonne aventure. Des schémas différents, mais toujours des volontés de nous surprendre, nous faire tomber à la renverse comme ce pauvre Paul qui, sur le chemin de Damas, reçoit une illumination qui le fait tomber de cheval, à la renverse, le cheval lui-même est apeuré, on ne comprend pas l’enchevêtrement des pattes, entre celles du cheval pie et les jambes du palefrenier et celles de Paul, on croit que le cheval a cinq pattes, on réalise que celles de devant sont repliées à l’avant et que ce que l’on a pris pour des pattes était les jambes du palefrenier, lequel a l’air de faire son travail sans se préoccuper de ce qui se passe autour de lui, cette lumière blanche, lui, il s’en tape. Des critiques d’art sérieux ont pensé que là, Merisi s’était un peu planté. François Quiviger dit : « la confusion des pieds et des jambes au centre du tableau traduit les difficultés du peintre à composer sur grand format ». Comme il y va… moi je crois plutôt qu’une difficulté pour ces commandes résidait dans le fait que les tableaux n’étaient pas destinés à être vus de face, mais le plus souvent de côté, disposés qu’ils étaient sur le mur latéral des chapelles, d’ailleurs c’est la même chose pour la Crucifixion de Saint Pierre, la croix est disposée pour qu’on la voie de profil plus que de face, mais qu’importe. Ce tableau a ceci de formidable que la forme de la croix est reproduite dans sa composition globale : l’axe vertical, incliné, est formé par le dos d’un porteur qui tire la croix pour la mettre la tête en bas, se poursuivant dans le coin inférieur gauche par les fesses et les jambe de celui qui soulève Saint-Pierre, l’axe horizontal, oblique lui aussi, n’est autre que le corps du supplicié mais une lecture rapide peut faire croire que les fesses et les jambes prolongent le buste de Saint Pierre, en tout cas, les deux bras sont parallèles, celui de Pierre, déjà cloué sur la croix, celui du porteur qui s’arc-boute sur le sol afin de soulever l’ensemble, quel incroyable dynamisme… Ce qu’il y a de renversant chez le Caravage ce sont toujours ces corps, ici tellement puissants. Ce ne sont pas de pauvres saints malheureux que l’on martyrise mais toujours des athlètes, des hommes forts, des hommes dont la puissance nargue celle, supposée, des bourreaux. Comme si la vie c’était eux qui l’incarnaient, même dans la mort. La mise au tombeau du Christ, au Vatican, est un tableau extraordinaire surtout par sa composition : c’est le quart du cadran d’une horloge. En partant du haut, les bras de Marie de Cléophas sont levés et implorent Dieu, Marie-Madeleine a la tête dans l’ombre et se recueille et Marie, la mère du Christ, regarde ce dernier. Sous elle, Saint-Jean vêtu de rouge soutient le buste tandis que le plus visible, Nicodème, qui nous fait face et semble nous prendre à témoin, a l’air de faire le plus pénible, quant au corps du Christ, il est là encore celui d’un homme vigoureux et solide, moins livide en tout cas que ce à quoi l’on pourrait s’attendre.

deux Judith, celle du Caravage et celle d’Artemisia

La diseuse de bonne aventure, du Musée du Capitole, reprend un thème classique de l’art populaire, en cela, il s’éloigne des autres tableaux, on souffle un peu, nous ne sommes plus dans l’exaltation mystique, ni dans la force, ni dans la puissance de la foi, mais dans l’ordre du plaisir et des jeux. Elle lui lit les lignes de la main, mais en même temps, elle lui pique sa bague, à ce benet joufflu. On va trouver la même chose à Barberini, mais dans un style un peu différent bien qu’inspiré par Caravage, de Simon Vouet : le jeune homme n’est plus joufflu et les femmes se mettent à deux pour le gruger, pendant que l’une lit les lignes de chance, l’autre soutire la bourse. A Barberini, Caravage est représenté par l’un de ses tableaux les plus célèbres, Judith et Holopherne, n’y revenons pas, c’est sans doute le tableau le plus terrifiant, le plus expressif, Merisi n’y va pas par quatre chemins, la tête que Judith coupe, on la voit hurler, le sang gicle, Judith a l’air un peu dégoûté tandis que la servante tremble d’horreur. Si nous cherchons un peu dans les livres, nous trouverons une autre Judith tranchant la tête d’Holopherne, plus lourde de sens encore puisqu’il sera, cette fois, l’oeuvre d’une femme, peut-être la seule peintre femme de la Renaissance dont nous ayons gardé la trace, la fameuse Artemisia Gentileschi, fille d’Orazio dont nous parlions la semaine dernière, inscrite dans la lignée de son père et donc du Caravage, et elle, la force de son geste pictural était portée au paroxysme par le fait qu’elle-même avait été victime de viol : le mouvement #metoo déjà perçait en ces années 1600, et peut-être nous le devons en partie au génie du Caravage. Au Campo Marzio, nous nous apaiserons en regardant la Madone aux pélerins dont nous admirerons la blancheur du cou et de la clavicule, tenant dans ses bras l’adorable bébé présenté au regard attendri de deux paysans aux pieds calleux.

deux diseuses de bonne aventure, celle du Caravage et celle de Vouet

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Un commentaire pour Sur les pas du Caravage – II

  1. TOURSEILLER Suzanne dit :

    Merci , et encore Merci Alain A bientôt

    Suzanne

    J’aime

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