Dernier jour ou plutôt demi-jour, après avoir trempé nos corps pleins de chaleur un matin vers 9h (il n’y a personne) aux Saintes-Maries-de-la-Mer.
L’abbaye de Montmajour est une majesté de pierres que nous reviendrons visiter dès que possible. Elle abrite deux expositions relevant des rencontres photographiques, l’une consacrée à l’Inde et l’autre à la Chine.
Wang Yimo est revenue sur le lieu d’une centrale électrique désormais abandonnée où travaillait sa mère. Elle y réalise des photos d’ensemble où les anciens ouvriers posent devant des turbines, des machines et des câbles, elle prend plaisir à juxtaposer les schémas présentant les modèles de machines à l’état neuf avec ce qu’elles sont devenues, rouillées et abandonnées. Elle mêle ses photos avec des aquarelles fantastiques où le motif industriel est repris et développé, et elle expose aussi des vidéos de chorégraphie au milieu des déchets de goudron et de câbles électriques. Un monde industriel disparaît, une époque aussi où l’on devine qu’un certain idéal animait une génération.


Mitch Epstein a beaucoup voyagé en Inde entre 1978 et 1989, il dit que cela lui a permis d’avoir une vision du monde apaisée. Je le crois volontiers, plusieurs voyages dans ce pays (une bonne dizaine) nous ayant permis de réfléchir un peu plus que ce que nous aurions pu le faire sans eux sur la destinée humaine, la vraie misère et la relativité des situations que nous rencontrons au cours d’une vie. Lorsque je rentrais de ces voyages et que je me voyais faire face à des situations parfois délicates à gérer dans mon univers de travail, je trouvais tout à coup le fardeau léger. L’Inde n’est pas seulement le folklore des mille et une nuits, des rois moghols et des princesses embaumées dans des Taj Mahal dorés. La première fois que j’en pris conscience c’était à la lecture du Dernier soupir du Maure, roman dont on parle peu d’un auteur immensément célèbre et loué à juste titre pour son courage, je veux parler de Salman Rushdie bien sûr. C’est ce roman qui me décida à partir. Autre vision de l’Inde que j’ai trouvée d’un grand réalisme : le beau film d’Alain Corneau, Nocture indien, d’après les nouvelles de Tabucchi, avec Jean-Hugues Anglade dans le rôle du fascinant personnage parti à la poursuite d’un Mr Nightingale qui n’est autre que lui-même. L’Inde est propice à ces rêves, à ces errances car évidemment on peut s’y perdre. C’est pour cela qu’on a parfois peur (qui n’a pas peur de se perdre?) mais qu’on ressent aussi souvent l’ivresse d’une liberté. Probablement est-ce cela que devait ressentir Mitch Epstein car il l’a traduit dans ses photos en couleur de grand format. On y voit la colline de Shravanabelagola, où nous avons vu une statue jaïn de dix-sept mètres de hauteur à laquelle on accède pieds nus au prix de la montée d’un long escalier, mais ce n’est pas cette statue qu’il montre, non, seulement une famille, un père et trois enfants dans une voiture, qui attendent peut-être l’heure du lassi. Epstein a travaillé avec Mira Nair, il en a même été le compagnon dans la vie et c’est à lui qu’on doit la production de ce film magnifique ici projeté en boucle : Salaam Bombay, qui raconte tout de la vie des enfants des rues de Bombay (ou de Mumbai si l’on tient aux appellations récentes). Il sait aussi jeter un regard sarcastique. Qui n’a jamais vu en Inde ces groupes d’hommes agglutinés en silence qui regardent de tous leurs yeux, sans rien dire, au bord d’une plage ou d’une piscine… des femmes (souvent des occidentales) en maillot de bain. Image d’un rêve inaccessible pour les uns, obligation d’avoir à supporter la lourdeur de regards insidieux pour les autres…



***
Au cours de cette semaine, j’ai eu la chance de voir deux expositions dans des lieux superbes, petite chapelle isolée dans les vignes pour l’une, vieille église abandonnée dépourvue de toiture pour l’autre. Deux villages pas très éloignés l’un de l’autre (du côté de Buis-les-Baronnies et de Vaison-la-Romaine) l’un s’appelle Villedieu et l’autre Sahune.
Une petite chapelle toute discrète isolée entre les vignes du côté de Villedieu, donc non loin de Mirabel en Baronnies… et là se trouve exposée une partie de l’œuvre de Maguy Gaudefroy. Un joyau dans un joyau. Les toiles de Maguy sont souvent de format carré, mais quelquefois aussi rectangulaires en hauteur. Dans ces toiles, les couleurs s’étalent en pâte souvent fluide devenant soudain opaque, on croit voir un mur de pluie ou bien des étangs rougeoyants au loin entre deux rangées de cils, des pieux sont plantés dans la tourbe et des barrières apparaissent comme seuls graphismes. En s’approchant, on sent la vie de la peinture qui s’exprime par des coulures, des empâtements, des rayures, eau et matière, eau et lumière. Maguy raconte comment elle procède : par larges bandes étalées au moyen de raclettes, puis par des retraits, des grattages, et, par-dessus, de nouvelles couches jusqu’à ce qu’elle obtienne l’effet désiré. J’aime ce genre de peinture parce qu’il n’y a pas d’a priori, de souci de représenter. On se laisse aller au hasard des coulures et des mélanges et là apparaît la vraie peinture : c’est-à-dire sa réalité matérielle.





Du côté de Sahune, ensuite, nous avons visité une exposition qui se situe dans le même esprit, celui d’une peinture aux prises avec la matière, le temps et la beauté des ciels : celle que propose Jean-François Jeannet en plein cœur du vieux village, dans l’église en ruine qui n’a plus de toit. Là c’est un peu différent quand même, le peintre ajoute à sa palette des noirs profonds, des noirs qui brillent parce qu’ils sont faits de goudron, et des bleus intenses. Il nous explique que ce sont des monotypes, autrement dit des travaux qui tiennent de la gravure, étant obtenus en enduisant une plaque (toile cirée ou vitre) de peinture puis en en recouvrant le résultat d’un papier de soie qui va ensuite être marouflé sur la toile. Le résultat est souvent inattendu. Il présente lui aussi des rayures, des stries, des effets de moiré. Il est parfois retouché et ce bleu intense vient alors en achèvement du processus. Ces toiles posées à même la roche, sous un ciel qui est presque du même bleu que celui du peintre, donnent l’impression d’une communion avec le lieu.




Curieux hasard des rencontres, ces deux expositions (qui sont terminées maintenant) se parlaient à distance, se questionnant et se répondant, les deux artistes étant du même calibre, modestes et en même temps tout dévoués à leur art.
Aussi: point commun entre ces trois expositions: le type d’édifice où elles sont organisées, d’anciennes églises ou lieux de culte, comme si ces endroits étaient prédisposés à accueillir l’art sous toutes ses formes, non pas pour quelque accointance religieuse, bien entendu, (entre l’art et la religion) mais seulement parce que ceux qui les construisirent y mirent autrefois d’emblée une certaine conception de l’art qui trouve aujourd’hui à se perpétuer. Gage que l’art contemporain rivalise avec l’architecture romane ou gothique.
Magnifique récit très émouvant
Les peintures sont très belles bien que totalement différentes au niveau créatif
Bravo à vous et merci de nous faire partager ces trésors de beauté…
J’aimeAimé par 1 personne
merci Muriel, je fais de mon mieux et je continuerai!
J’aimeJ’aime
Merci, Alain, pour ces échos de visites — j’ai ouvert les 3 recensions. Les contrastes sont saisissants et votre regard en vos mots font la part belle à ce dernier: par l’art, s’ouvrir au monde!
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Alain
C’est toujours un ravisseme de te lire.
Si Jean François Jeanet avait la bonne idée de vouloir exposer au Préau l’an prochain,
Cela me plairait.
Le cadre est totalement différent bien sûr,
…mais des possibilités 😉😉😉
Dis moi si tu peux lire mon commentaire
A bientôt Suzanne
J’aimeJ’aime