Montagne – II

Le val d’Hérens serait, paraît-il, la plus belle vallée des Alpes. Je parierais volontiers que c’est vrai. Elle s’ouvre à Evolène pour se refermer à peine plus loin après Les Haudères. villages élégants aux murs baroques et aux chalets noircis par le temps, où l’on imagine un couple de jeunes mariés sur un char décoré de fleurs peintes. Vieux hôtels portant pour noms ceux des sommets environnants, qui nous ramènent au temps des Anglais découvrant l’hygiène du sport en montagne. Les Haudères, doté, de plus, d’une magnifique chapelle qui renferme des peintures de François de Ribeaupierre (le père du dessinateur de BD Derib). La vallée se ferme au-delà du hameau de Ferpècle en un cirque glaciaire sublime dominé par la Dent Blanche, le Mont Collon et le Pigne d’Arolla. S’y bousculent les peut-être derniers chaos de glace (du mont Miné ou d’Arolla). Nos amis nous avaient invité en leur petit chalet autrefois d’alpage au lieu-dit Ouartzé (qui vient probablement de « Schwartzsee », lac noir), au quart du chemin entre une gouille (petite mare en bordure de la route) et un splendide et pur lac bleu, dominé par les Aiguilles rouges. De leur galerie, on voit en face de soi les dents de Vesivi, maillons d’une dentelle rocheuse dont le point le plus aigu est l’aiguille de la Tsa, paroi lisse et sommet effectivement pointu comme une aiguille à coudre.

aiguille de la Tsa
maison en bois d’Evolène

A cinq kilomètres de là : Arolla, village auquel aucune route ne menait avant les années cinquante, devenu depuis centre de villégiature pour ceux et celles qui aiment la marche et se préparent à escalader des pics comme le fameux Pigne déjà signalé ou bien le mont Blanc de Chaillon. Une épicerie, tenue par un homme qui écrit (des ouvrages d’histoire ou bien ses récits de voyage dans le Grand Nord), une auberge avec terrasse et parasols et un magasin de sport dont la gérante qui sort à l’instant est une jolie jeune femme blonde qui n’est pas n’importe qui… ex-championne du monde de combiné, lauréate de la coupe du monde de descente en 1991, en qui les fanas de ski des nineties auront reconnu Chantal Bournissen.

Et un peu au-dessus, la Remointse de Pra Gra (2479 mètres) que l’on atteint par un sentier qui, au début, est celui de la Marmotte, puis s’élève un peu raide dans les près d’alpage, jusqu’à ce qu’on atteigne un point d’observation extraordinaire sur toute cette chaîne qui ferme la vallée.

La remointse de Pra-Gra au dessus d’Arolla (Valais)
le glacier d’Arolla

J’aurai donc marché environ deux jours, tâchant de ne pas trop m’essouffler, allant à un rythme lent, pendant qu’à chaque souffle entrait en moi un peu de cette lumière réverbérée par les glaciers. Mes oreilles se remplissaient de cris de marmottes et mes yeux se perdaient dans les aspérités et les crevasses de terrifiantes mers de glace. Jours où l’effroi se mêle à la beauté. Sûrement ce qu’éprouvaient lesdits anglais dont je parlais tout à l’heure qui se demandaient d’où pouvait provenir le charme qu’on trouve à la montagne. John Ruskin voyait dans les sommets des Alpes des ruines d’anciennes cathédrales – c’est dire à quel point nous sommes toujours tentés « d’humaniser » les « merveilles de la nature » – moi, j’y vois des vagues gigantesques, des déferlantes, des tempêtes océaniques qui se sont figées à jamais, mais qui finiront un jour par nous emporter.

John Ruskin, Aiguilles Charmoz, 1849, aquarelle, 30 x 40 cm, Lancaster University, The Ruskin Library

Pour en revenir à Ruskin, l’un de ceux qui ont le plus faits pour que la montagne intègre l’art, il voit, lui, dans les montagnes par rapport au reste de la terre « ce qu’une violente action de ses muscles est au corps de l’homme ». mais il ajoute : « il y a une différence entre l’action de la terre et celle d’une créature vivante : c’est que, tandis que les membres en plein effort laissent deviner les os et les tendons sous la chair, la terre en pleine activité écarte entièrement la chair, et ses os ressortent de dessous ». Voilà ce qu’il y a lourdement à méditer, surtout pour tous les théoriciens de Gaïa, qui voient en la terre une sorte d’être vivant.

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Un commentaire pour Montagne – II

  1. Vittoz dit :

    Merci Alain pour cette magnifique et émouvante description du paradis d’O. et E. Nous y retournons ces jours et tes mots résonnent encore plus pour moi. Le souffle est parfois un peu court mais le cœur et l’âme se régénèrent dans tant de beauté.
    Amitiés à toi et à C.
    Tsésal

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