Un grand photographe sur la Sorgue

Je n’en ai pas fini avec ce dimanche passé à « Lire sur la Sorgue ». L’an prochain peut-être il faudrait envisager de rester plusieurs jours et de visiter L’Isle, riche de beautés architecturales et de galeries au coin des rues, tout en acceptant de ne plus y rencontrer René Char puisque, comme je l’ai dit la semaine dernière, il a disparu de ces lieux, les collections du musée, à lui autrefois dédié, ayant été enlevées à cause d’un différend entre la veuve et le maire…

Je l’ai dit aussi : la publicité bienveillante que nous fit René lors de son intervention fut pour nous un vrai Sésame car elle nous permit de rencontrer plus facilement des gens intéressés par ce que nous faisions dans notre petit village de la Drôme. C’est ainsi que nous rencontrâmes Hans Silvester.

René Frégni avait éveillé notre curiosité. Il disait avoir pris son petit déjeuner auprès d’une grande photo en noir et blanc qui, à ses yeux, symbolisait tout Marseille. On y voyait des pétanqueurs. Chose banale certes, mais ce qui l’est moins, banal, c’est que sur cette photo, c’est une fille qui lance la boule, fille aux longues jambes nues, au corps fin moulé dans une petite robe et au geste plein d’envol, on aurait dit, selon René, une vraie danseuse, et pourtant non, elle n’était qu’une joueuse tirant sa boule vers une destination hors-champ. Elle était entourée d’une bonne douzaine de bonshommes, tous à l’air rude et dont l’aspect physique montrait qu’ils n’étaient pas nés d’hier, douze hommes avec la casquette et les bras croisés qui ne regardaient pas la fille, contrairement à ce qu’on aurait pu croire (sauf un, le plus à gauche et peut-être le plus jeune qui a un regard en dessous un peu équivoque) mais la trajectoire de la boule. Tout Marseille parce que dans la ville phocéenne, tout est suspendu quand un point est disputé, même l’admiration des jolies filles. Cette photo était de Hans Silvester, et si René l’avait vue, c’était parce qu’il logeait dans une maison qui hébergeait des livres et des œuvres de ce grand photographe. Or, était prévue dans l’après-midi une rencontre avec le photographe dans la galerie Retour de Voyage.

« Ah, c’est vous qui…. », Hans Silvester est un géant aux cheveux bouclés blancs, au visage épanoui. Nous parlons des lieux improbables où se tiennent les festivals littéraires… comme dans ce petit coin d’Ardèche où se tient chaque année une rencontre « sous l’arbre », il y a, me dit-il, exposé ses « épouvantails »… mais j’ignore ses épouvantails… alors il me les montre, tous photographiés dans un livre superbe qu’il a fabriqué lui-même, juste avec l’aide d’un habile relieur, épouvantails qu’il a recueillis dans le monde entier. Mais ce n’est que le début de ma découverte du personnage. Ensuite, il présente à la petite foule qui s’est rassemblée devant de grandes photos collées sur une balustrade le long de la galerie, les voyages qui, depuis vingt ans, lui ont permis de les réaliser. Trente-neuf voyages depuis 2002, avec des séjours dont le plus court durait un mois et le plus long trois, dans ce coin le plus reculé de l’Ethiopie, de la vallée du Rift, où vivait encore il n’y a pas si longtemps un peuple, les Suris, en osmose avec le milieu naturel, vivant nu mais considérant leur corps comme un support de décorations inouïes, changeant chaque jour, au gré de l’humeur et des végétaux de rencontre. Les Suris qui se rasent aussi intégralement le crâne, mettent à la place de leurs cheveux des parures végétales, branches, feuilles, fleurs blanches ou couleur de feu. Comme ils vivaient encore il y a peu totalement à l’écart du monde bruyant et marchand qui est le notre (pour cesser de dire « du monde civilisé »), ils ignoraient un grand nombre de nos inventions, ils ignoraient jusqu’au miroir… ainsi n’avaient-ils de reflet que le véritable miroir que constitue l’autre… celui qui s’étonne, celui qui admire ou celui qui s’esclaffe. En tout cas, ils n’avaient pas la possibilité d’être précis ni symétrique, d’où le côté complètement aventureux et toujours changeant de leurs œuvres picturales corporelles. Un beau jour, hélas, comme il advient toujours, le miroir fut introduit, des pacotilles chinoises se mettant à circuler parmi les villages, alors les tableaux perdirent de leur spontanéité et de leur charme. Si notre ami vint si souvent dans ces villages du Rift c’était afin de se faire accepter des populations, chose pas facile on s’en doute mais à quoi il parvint grâce à son énorme capacité de patience. Un jour il montra ses photos, l’accueil fut mitigé. Voyant que cela faisait rire les uns des autres, le chef en prit ombrage et ne vit pas d’un très bon œil tout cela. Probablement Hans réussit-il cependant à convaincre que ce n’était pas maléfice. Son interférence avec ce peuple n’était pas bien grave, comparée à ce qu’il advint par la suite : l’intrusion des hommes armées, l’apparition de la kalachnikov qui fut donnée aux hommes des villages et dont ils trouvèrent vite hélas façon de se servir, au détriment des grands animaux sauvages dont il ne reste presque plus rien aujourd’hui.

Hans Silvester retournera-t-il en ces lieux ? C’est la question que je lui pose lorsqu’il me dédicace son livre. Probablement plus jamais car, entre temps, les gangs de la contrebande armée sont arrivés dans le coin. Aujourd’hui des caravanes lourdement dotées d’armes puissantes quadrillent la forêt, apportant d’un côté tous ces objets que le monde marchand envoie pour corrompre les populations africaines et ramenant de l’autre les terres rares du Congo qu’attendent fébrilement nos commerciaux et industriels avides de les mettre dans nos téléphones et nos batteries (et nos éoliennes?). Ainsi en sera-t-il bientôt fini de tous ces grands peuples, constitués d’hommes et de femmes aux corps purs et fins comme des lianes qui se fondaient dans la nature…

Au cours de sa vie, Hans Silvester a surtout travaillé pour le compte d’ONG environnementales qui lui ont demandé des reportages aux quatre coins du monde afin de montrer l’état de dévastation où nous, humains, laissons ce monde. Il confesse avoir été souvent tellement horrifié par ce qu’il était amené à photographier qu’il frôlait la dépression. Il ne pouvait s’en remettre que par quelques voyages plus gais, comme celui qu’il fit en Grèce en … dont il ramena une superbe collection de photos… de chats. Ombres de chats sur les murs en crépi blanc de la mer Egée…

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