Peut-on parler de peinture ? La peinture il faut la faire ou il faut la regarder, en parler est chose difficile. Ou bien il faut être poète, poète comme Philippe Jaccottet qui, peu de temps avant sa mort, éditait ce « Bonjour monsieur Courbet » où il réunissait quelques textes et préfaces consacrés aux peintres qu’il adorait, y incluant Piero della Francesca, Morandi, Auberjonois, Giacometti ou ses amis Hesselbarth et Lachièze-Rey.
On peut s’y risquer néanmoins.
J’ai déjà ici parlé de Giorgio Morandi.
Il me resterait à parler de bien d’autres peintres, de ceux qui m’inspirent dans mon travail d’apprenti artiste, accompli dans l’ombre des Ateliers pour Tous de l’ESAD*, ou bien dans une ou deux pièces que j’ai la chance d’avoir dans mon habitation principale ou dans ma résidence drômoise.
Au cours d’un voyage dont je n’ai pas parlé ici, qui m’a conduit il y a quelques mois à l’île de La Palma, celle-là même qui, aujourd’hui, est confrontée à une éruption volcanique épouvantable, j’ai eu le bonheur de tomber sur une galerie d’art contemporain magnifique, d’une richesse étonnante, dans la petite ville de Los Llanos de Aridane (Galeria Garcia de Diego).
C. et moi fûmes attirés en ce lieu par quelques peintures en vitrine qui explosaient de leurs couleurs et de la matière dense (déjà la lave…) dont elles étaient faites, les artistes avaient pour nom Lothar Brix et Peter Hermans. Nous enfonçant dans les couloirs, nous découvrîmes aussi l’œuvre de l’artiste espagnole Carmen Cologan, faite de rigueur et de géométrie.



Mais plus loin encore, nous entrions dans l’antre de Lucie Geffré. Une pièce remplie d’œuvres aux teintes souvent tertiaires, à moins qu’un bleu cyan ou un blanc de titane ne s’immisce, voire même un magenta un peu foncé pour donner une ambiance chaude et intime. L’intimité est le maître-mot de la peinture de Lucie Geffré, intimité des corps et des visages cadrés au plus près, corps parfois alités, saisis au matin d’une journée ou au soir d’un hiver au cours duquel on en oublie jusqu’à l’écoulement du temps ; et puis intimité des objets comme s’ils avaient une vie à eux, pétrie de silence (des vases, des bouteilles, des pots, là où l’on sent une certaine influence de Morandi).



L’objet est pris dans l’arasement d’une lumière qui le fait vibrer comme un parchemin. Dans le petit catalogue intitulé L’heure muette, quelques poètes amis d’elle ont exprimé l’essence de cette œuvre mieux que je ne saurais le faire. Ils disent par exemple :
Les vies silencieuses de Lucie Geffré s’accordent à cette lumière à peine, cette lumière de peu que nous cherchons lorsque le regard se confond avec le retrait, lorsque les formes et les couleurs semblent appeler l’humble. (Jean Gabriel Cosculluela)
ou bien :
Avec les natures mortes, on est dans le presque rien. Quelque chose est saisi avec une pudeur et une justesse totales. Le silence y est feutré mais précis. Son alphabet est poétique. Lucie Geffré possède l’élégance de la gravité. (Claire Massart)
J’aime particulièrement, dans les toiles de Lucie, les effets vaporeux : chiens, objets, silhouettes humaines tiennent en l’air au milieu d’une nuée de songes faite de beiges, de gris et de roses qui s’étalent comme des brumes qui s’illuminent, ou se mettent à couler comme des averses prises au travers de vitres.
Lucie Geffré est une peintre française née en 1976 à Bordeaux, qui désormais vit et travaille en Espagne. Elle a déjà reçu plusieurs prix et exposé dans des galeries prestigieuses (Bruxelles, Paris, Madrid, Saint-Rémy de Provence, Chambéry…).
Voyant ses œuvres et notamment ses « vies silencieuses » (traduction de still life par quoi la langue anglaise exprime ce que nous appelons tristement en français « natures mortes »), je n’eus pas le réflexe d’en acheter une (je n’ai pas la tendance spontanée à l’acquisition d’une œuvre d’art), ce que je me suis reproché par la suite, mais à quoi j’ai remédié en prenant contact avec la galerie et en me faisant envoyer par la poste une de ces œuvres. C’est le cadeau de Noël que je me suis fait en quelque sorte. Quelle émotion que d’avoir entre les mains la toile d’un(e) artiste, d’effleurer du doigt les zones où elle a promené son pinceau, touchant délicatement la surface et choisissant des nuances de brun ou de bleu, mettant un dessin à peine suggéré au moyen d’un trait de fusain. Plus j’observe ce tableau (le dernier de la série ci-dessus), plus je l’admire, plus je me dis que je n’arriverais pas à reproduire cet effet qu’il donne: les couleurs y sont sourdes et mates (d’une façon que je ne sais pas produire moi-même), on a envie de le toucher parce que la peinture étalée ressemble à une peau duveteuse. En reproduction ou en photo, cet effet n’est pas perceptible, il n’y a qu’en regardant l’original de près, en le caressant des doigts qu’on s’en rend compte. Vive Lucie Geffré! dont on peut trouver sur la Toile des videos et des interviews passionnantes. Voir aussi ici (poème pour Lucie Geffré).
(*) l’ESAD est l’Ecole Supérieure d’Art et de Design (ex-Beaux-Arts) de Grenoble-Valence qui ouvre aux amateurs des cours et ateliers dits « ateliers tout public », animés par les mêmes enseignants que ceux qui enseignent aux étudiants des Beaux-arts.
NB: les lecteurs et lectrices éventuellement intéressés par mes productions peuvent cliquer sur le lien « alain lecomte galerie » qui se trouve en haut à gauche, sous la photo d’en tête de cette page. Vous me direz si ça vous plaît!