Chronique d’un été – II: Avignon (fin)

deux spectacles en plus, en ce 19 juillet, la chaleur revenue.

Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-l’Evêque envièrent à madame Aubain sa servante Félicité.

Isabelle Andréani est une extraordinaire Félicité, la servante normande chère à Flaubert. Cela se passe à Pont-l’Evêque. La langue est celle de Flaubert, autrement dit précise et n’utilisant jamais un mot pour un autre. On suit la vie de cette pauvre femme, amoureuse autrefois d’un Théodore qui avait voulu la culbuter dans un fossé, puis qui l’avait demandée en mariage, mais pour des intérêts de gros sous l’avait laissée tomber pour épouser une vieille bien plus riche. Félicité s’était mise au service de madame Aubain, veuve, mère de deux enfants, Paul (4 ans) et Virginie (8ans). On devine ce que sera l’attachement de la servante pour ces enfants et surtout pour la petite Virginie. Je ne vous raconte pas l’histoire. Vous la connaissez, on la trouve à prix modique en livre de poche. Un coeur simple (Théâtre de La Luna, mis en scène par Xavier Lemaire) est un des plus beaux « contes » de Flaubert. Il est ici mis en scène de fort belle façon, avec une actrice faisant preuve d’une énergie indomptable, ses rires fusent tout autant que ses larmes. A la fin, elle n’aura plus qu’un perroquet pour se raccrocher, le fameux « perroquet de Flaubert »… Loulou va de branche en branche jusqu’à ce qu’un malheureux coup de froid le conduise à la mort et… à l’empaillage. Félicité perd l’ouïe, a la raison qui défaille, elle croit voir son perroquet au vitrail de la cathédrale sous les traits de Jean-Baptiste. Sa maîtresse une fois morte il ne lui reste plus, elle-même qu’à mourir, ce à quoi elle s’applique, et nous versons des larmes. La mise en scène est simple : quatre estrades de tailles inégales, un coffre, un cintre et quelques vêtements. Quand elle évoque la mer, la première fois qu’elle y va, pour accompagner la petite Virginie qui souffre des poumons, on sent ses effluves entrer dans la salle, nous sommes entre Honfleur et Le Havre… et les embruns nous saisissent, comme à d’autres moments, c’est le parfum des champs, l’odeur des fromages.

Et puis Gulliver, le dernier voyage dans le cadre du Festival In au Théâtre Benoît XII… à vrai dire je ne savais pas ce que j’allais voir. J’avais pris des places pour mes petits-enfants (ils n’ont pas pu venir) en pensant que les histoires de Gulliver ne pourraient que les enchanter, d’ailleurs sur le programme, il était bien dit que c’était pour tout public. Et finalement, c’est vrai : ils auraient aimé, mais pas tout à fait de la manière que je prévoyais. Ce qui est dit discrètement dans la présentation, c’est que la compagnie (dirigée par Madeleine Louarn et Jean-François Auguste) qui joue ce spectacle (où se mêlent les mots de Swift à ceux des acteurs et actrices), atelier Catalyse, est constituée de jeunes souffrant de handicaps mentaux (autisme, trisomie…) et ce spectacle nous ouvre à leur monde, un monde à la fois féérique et tragique, fait d’illuminations (au sens de Rimbaud) et de trous noirs. C’est vertigineux et magnifique. On rit beaucoup aussi. On sait la trame : dans son dernier voyage, Gulliver atteint l’archipel de Laputa, où chaque île héberge une population ayant ses bizarreries propres. Dans l’une, le Roi domine un peuple qui se révolte, lui et sa cour ne comprennent rien à ces re-ven-di-ca-tions, Jupiter (!) finira bien par leur faire entendre raison. Dans une autre, la science en marche invente des machines qui vont permettre aux hommes de ne plus se révolter, de ne plus souffrir. Gulliver (joué par Marion Carpentier, simplement géniale) veut bien se prêter aux expériences, il s’assoit sur un trône d’aluminium et se voit prié de se vider de ses excréments. Ceux-ci sont ensuite analysés par les « scientifiques » : c’est en fonction de leur couleur que l’on devine les pensées de leur émetteur ! Un autre expérimentateur retire le cerveau d’un cobaye et montre qu’en mélangeant des hémisphères issus d’organes différents, on construit enfin des sujets bien sages… Dernier tableau : une femme gouvernante promène une file d’immortels, on les reconnaît à une tache qu’ils portent au front. Immortels ou lobotomisés ? Ils errent sans but et Gulliver n’obtient pas de réponse à sa question vitale : « êtes-vous heureux ? »…

GULLIVER, LE DERNIER VOYAGE Texte librement inspire des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift Mise en scene Madeleine Louarn et Jean François Auguste Scenographie Helene Delprat, Lumiere Mana Gauthier, Costumes Clemence Delille, Musique Alain Mahe Dramaturgie et ateliers d ecriture Pierre Chevallier, Leslie Six, Avec Pierre Chevallier et les interpretes de l Atelier Catalyse Tristan Cantin, Guillaume Drouadaine, Manon Carpentier, Emilio Le Tareau, Christelle Podeur, Jean Claude Pouliquen, Sylvain Robic.

Tous ces comédiens vivent leur rôle avec foi, comme si leur vie même était en jeu. De temps en temps, un souffleur les aide, mais cela ne les gêne pas ni ne gêne le spectateur, c’est au contraire comme s’ils vivaient dans un brouillard de mots dont ils saisiraient certains au passage.

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2 commentaires pour Chronique d’un été – II: Avignon (fin)

  1. Deux jolis spectacles, la fin du festival, Ô Py, tant pis !
    Je me souviens du livre de Julian Barnes… 🙂

    Aimé par 1 personne

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