Jour de tristesse et d’accablement

On a beau vouloir s’en détourner, l’actualité toujours nous rattrape. Je ne me sentirais pas de disserter sur un quelconque sujet intellectuel (littéraire ou scientifique) le jour où le plus abominable des crimes a été commis. Je sais bien que cela ne semble pas beaucoup déranger les chroniqueurs, qui parlent allègrement au début de leur journal du « meurtre d’un professeur de collège dans la ville de Conflans-Ste-Honorine » presque comme d’une banalité. Et pourtant, ne conviendrait-il pas d’user de mots plus forts ?

Ce qui vient d’arriver outrepasse ce à quoi nous étions habitués jusqu’ici. Homme décapité. Photo du crime diffusée sur les réseaux sociaux. Revendication haute et forte. Traces évidentes sur le Net d’appels au meurtre (il y eut divulgation de l’adresse, dévoilement de l’emploi du temps de la victime pour qu’on puisse l’atteindre plus facilement). La guerre sur notre sol, après qu’elle ait eu lieu en Syrie, au Maghreb, en Afghanistan. Prémisse de guerre civile.

Doit-on être en colère ? Les mots d’une dame rencontrée en ville l’autre jour me font sourire, elle voulait savoir si j’étais en colère… mais tout ce qui nous arrive dépasse la notion de colère. Comme si la colère allait nous ouvrir les portes de la consolation là où il n’y a pas de consolation possible. C’est d’ailleurs ce que disait la romancière Sarah Chiche ce mercredi à la librairie « Le Square » lorsqu’elle se défendait bien de chercher la consolation, voire de faire son deuil (à propos de son père décédé quand elle avait quinze mois ou de sa grand-mère, morte elle aussi, mais bien plus tard). On ne fait pas son deuil, les morts continuent d’exister en nous, on ne se console pas des tueries et des massacres qui sont tous, quoiqu’il advienne, tueries et massacres. J’entends par là qu’il est inutile d’ajouter des adjectifs à l’abjection, massacres anti-sémites, massacres colonialistes, massacres islamistes, tous dans le même sac : des massacres. Il se trouve qu’aujourd’hui l’horreur s’écrit avec le mot « islam », nous n’allons pas nous laisser tuer pour autant. Bien sûr les musulmans ne sont pas fautifs, en tant que personnes, qu’humains, pas plus que n’est responsable de la Shoah le premier Allemand que je rencontre dans Berlin… (même si son père ou son grand-père… peut-être). Mais le fait est là : une force de haine et de volonté totalitaire se répand dans le monde et notablement en France et bien sûr, nous devons nous y opposer de toutes nos forces à nous, ne pas nous laisser influencer par une rhétorique de l’excuse (« il faut les comprendre ») parce que même si l’histoire apporte des causes, elle n’apporte jamais des excuses.

Cette force n’est pas la simple violence qu’exprime une religion (sans doute le sont-elles toutes), elle est, comme le rappelle Jean-Louis Vuillerme, l’émanation de groupes ayant l’appui de pays étrangers qui déclarent la guerre à la France par l’intermédiaire d’individus identifiables qui savent très bien manipuler la « masse des croyants » (tout comme d’ailleurs dans un autre domaine, certains groupes inféodés à l’extrême-droite savent très bien manipuler la masse des incrédules face à la science et à la connaissance en général). Les manipulés sont-ils responsables au même titre que les manipulateurs ? Dans une première approche, on pourra dire que non, que les manipulateurs ont un rôle actif, que c’est d’eux que vient l’initiative, le départ de l’action, ce sont eux qui ont la stratégie d’ensemble, mais en allant un peu plus loin, on se rend compte que rien de leur action n’aurait le moindre impact si les manipulés n’avaient pas consenti à un certain moment à leurs manœuvres. Car enfin, nul ne peut être absout de sa bêtise.

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Un commentaire pour Jour de tristesse et d’accablement

  1. Le mot final de « bêtise » est sans doute un léger euphémisme. Le massacre délibéré (« pensé » ?) est hors normes.
    Le couteau a remplacé le glaive de la Justice immanente.

    J’aime

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