Je pars, je vais, je viens, je me paie un tour au travers de la France, de Grenoble à la Drôme, de Montélimar à Rennes, puis de Rennes à Guingamp et à Paimpol, avant d’aller à Paris, à Nogent sur Marne et de descendre à Marseille où je dois rencontrer mes collègues pour travailler encore une fois à ce livre, et finalement remonter à Montélimar, puis la Drôme provençale, puis Grenoble et ainsi de suite, dans tous les sens, boucle heureusement jamais complètement bouclée. Ou du moins pas encore, ou qui le sera le plus tard possible.
A Montélimar, j’ai tenté un voyage vers la librairie principale, fameuse librairie Baume, dont on peut souhaiter qu’elle possède en rayon tout ce qui se fait comme poésie dans la région, mais las, ce que je cherchais n’y figurait pas, non plus d’ailleurs qu’une dame avec qui j’ai fait connaissance sur FB et qui s’avère être la fille d’une poétesse locale. J’ai laissé ma voiture au Parking du Théâtre et j’ai pris le train pour Rennes, via Paris-Montparnasse. Dans le train, rien à signaler, dans le métro non plus d’ailleurs. A Rennes j’ai dormi à l’hôtel, le lendemain j’ai parcouru le centre-ville avec un livre à la main, j’ai visité la chapelle Saint-Yves qui fut autrefois un hôpital et j’ai bu un café sur la place Sainte-Anne. Il faisait une chaleur caniculaire, alors j’ai fait la sieste sur un banc du jardin public, puis j’ai pris une voiture de location pour me rendre à Guingamp où m’attendait Jean-Marie P. Il m’avait donné rendez-vous là car il devait intervenir dans une lecture publique ayant lieu dans un centre culturel voué à la photographie et qui s’appelait Gwin Zegal, comme la presqu’île que je verrais le lendemain, pointant son nez au nord du village de Plouha, bien connu parce qu’il fut décrit par Mona Ozouf dans son magnifique livre « Composition Française » – c’est le village où elle vécut son enfance. Autour de Jean-Marie, se révéla une escouade d’amis avec lui complices dans cette affaire, menée par un certain Julien, homme qui ressemble étrangement à Jacques Villeret, historien et homme de lettres qui a fait un travail remarquable d’archivage, à la recherche de lettres et témoignages d’anciens internés à la prison de Guingamp. Cette dernière fut fermée il y a une vingtaine d’années et on tente aujourd’hui de réhabiliter le bâtiment afin, notamment, d’y faire tenir un musée où les gens pourront entendre les voix des prisonniers. Certes, l’homme qui s’occupe de cela n’a pas trouvé beaucoup de textes, de lettres conservées. Comme il l’a dit joliment, il a simplement fait un travail d’archéologue, essayant de reconstituer à partir de tessons épars le volume d’un vase entier. Ici, qu’y a-t-il ? Un soupçon, un avis, un article de journal, un constat de justice sec, un graffiti sur un mur. On apprend au détour d’un règlement qu’aux alentours de 1880, il en coûtait 9 mois de prison ferme de voler deux poules, ou bien une botte de navets, voire deux rideaux noirs de confessionnal… Les lettres reconstituées mettent en scène diverses sortes de prisonniers, appartenant à des époques différentes, fin XIXème siècle, guerre de 14, années 1920, années trente, seconde guerre mondiale. Pendant la guerre de 14 furent enfermés ici de pauvres troufions qui, pour échapper à la boucherie des tranchées, étaient prêts à s’auto-mutiler. Un médecin de l’armée évoque le cas de l’un d’eux, qui s’est semble-t-il, piqué au pétrole. Ces gens souffrent le martyre et, en plus, ils sont convoqués par le Tribunal de Guerre à Rennes et sont immédiatement fusillés. Fin du XIXème, la pauvreté : la moitié des guingampais vivaient de mendicité. L’infanticide : les femmes, déjà affublées de cohortes de marmots, tentaient désespérément d’avorter sous les doigts de ce qu’on appelait alors une faiseuse d’anges. L’une de celles-ci passe en procès : elle a fait ce qu’elle a pu « pour aider la pauvresse » mais celle-ci est morte des suites des manoeuvres abortives et la famille s’est retournée contre elle. Texte lu d’une voix fine, avec des mots de breton. Et puis revenait l’éternelle question des migrants. Ceux-ci en l’occurrence étaient des espagnols fuyant Franco. Ils s’ajoutaient aux réfugiés venus du Nord qui fuyaient l’avance des nazis. Où les mettre ? Le maire de l’époque voulait réserver les meilleures places aux Français, monsieur, les Espagnols pouvant bien se contenter de la prison… de plus, en prison, la population ne les verrait pas, n’en saurait rien. Que sont-ils devenus depuis ? L’histoire le sait-elle, seulement ? D’autres, pendant cette même période de la seconde guerre, on sait bien ce qu’ils sont devenus : un juif de Roumanie qui croyait trouver là un refuge tranquille se fit dénoncer et arrêter, il écrit à sa femme restée au pays, il espère bien revenir, mais c’est Auschwitz et la mort qui lui sont promis. Plus légers sont les témoignages de femmes de petite vertu. La taulière s’est fait serrer, elle n’était pas en règle, ce qui lui donne l’occasion d’énumérer les faveurs dont, selon elle, jouissent les pensionnaires. Histoires parfois cocasses, comme celle du marin letton arrivé ici à l’issue d’une rixe et qui tenta par trois fois de s’évader pour toujours se faire reprendre, mais le plus souvent tragiques, très sombres, qui montrent l’éternelle arrogance des gens de pouvoir et leur hypocrisie : l’essentiel est que l’on n’ait pas d’ennuis, que le moins possible se sache et qu’on détourne les yeux de la misère. A l’issue de ce magnifique cours d’histoire, quelques libations dans une petite ville bien tranquille, pour ne pas dire bien morte sur le coup de huit heures du soir…
Et le lendemain, c’est là que je vis Gwen Zegal (descente du haut de la falaise vers la mer, à marée montante, îlot séparé de la plage par des courants qui contournaient l’île et faisaient en se rencontrant, jaillir des aigrettes), la chapelle de Kermaria, malheureusement fermée mais offrant quand même au regard ses statuettes, debout et raides comme des soldats, saints barbus gardant la porte, clés et bibles en main, puis le fameux temple de Lanleff, auréolé de mystère, double enceinte percée de vastes baies de style roman, sans toit ni chapiteaux, perdus au cours des guerres, et dont on situe la construction aux alentours de 1148, sous les auspices d’un quelconque seigneur qui revenait des croisades avec, dans les yeux, le souvenir de la rotonde du Saint-Sépulcre, qu’il avait vue à Jerusalem.
Tout cela avant d’assister à un concert de latin-jazz, le soir venu, dans l’ex-créperie qu’occupe J.M. trio exceptionnel avec deux bretons et un argentin de la région de Missiones, qui joue du piano et du pianonica à merveille. Gens actifs, solidaires, joyeux, pleins de musique en tête et de littérature. Le lendemain, j’ai mangé une crêpe en compagnie de J.M. sur la place du Martray à Paimpol. L’air était limpide et le soleil vibrait sur les pierres blanches et grises des maisons serrées les unes contre les autres qui avaient été construites au temps des armateurs. Puis plus tard, retour sur Rennes et sur Paris, boulevards lourds de chaleurs et dîner en bord de Marne en compagnie de gens bien sympathiques, dont un couple qui se mit à danser sur les rythmes cap-verdiens diffusés par la guinguette. Le soir au bord de la rivière, au-dessus des bateaux de plaisance et marchant sur une promenade illustrée par les portraits des chanteurs et chanteuses des années trente, on se croirait loin de Paris. Une mini-Croisette. Mes amis habitent une maison en pierres meulière à l’angle de deux rues, le lierre envahit les murs, je dormais dans la chambre du haut à laquelle on accède par un escalier bordé de tableaux montrant les ancêtres. Dans l’amoncellement de livres, je tirai au hasard « la promesse de l’aube » de Romain Gary et trouvai cela terriblement désuet et grandiloquent. Puis je retrouvai d’anciens collègues de l’université, dans le jardin, à l’ombre des cerisiers, partageant les mets que chacun avait apportés ainsi que les délicieux plats nord-africains et orientaux préparés par le maître de maison. L’harmonie régnait, l’insouciance aussi, c’était jour d’élection, pour beaucoup sans doute jour d’abstention (j’avais donné procuration!).
De belles photos… un beau voyage. Merci d’avoir partagé.
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Il est bien d’avoir « procuré » pour ou contre les oblats du « jupitérien » (en toute modestie soit dite) placé à la tête de l’Etat !
L’art, espérons-le fortement, ne sera jamais soumis aux apprentis-politiciens.
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