Ce jeudi, le matin à Nyons puis le soir aux Pilles (petit village de la Drôme), Pinar Selek, écrivain, militante des droits des minorités, sociologue, conteuse, condamnée par le régime turc d’Erdogan, ouvrait les bras avec générosité à tous ses fans, et ils étaient nombreux, ceux et celles qui avaient lu le petit conte vert édité par les Lisières ou qui faisaient partie de son comité de défense ou bien encore qui la connaissaient tout simplement, car c’est une femme qui a voyagé dans toute la France, une femme nomade en quelque sorte (à défaut d’être une femme monade, puisque si multiple et si ouverte). Le matin, je l’avais vue et lui avais parlé à la librairie de Nyons, au milieu de ses livres. A côté du conte cité plus haut (Verte et les oiseaux, une jolie histoire où une grand mère apprend le langage des oiseaux avant de le transmettre à sa petite fille et que celle-ci puisse ainsi profiter de ses accointances avec l’espèce à plumes pour combattre les hommes qui veulent la réduire en esclavage, histoire pour les enfants et surtout les petites filles, qui apprennent ainsi qu’il est une autre vie qu’une vie de soumission), figuraient aussi un roman, paru chez Liana Levi, La maison du Bosphore, une fresque historique des années 1980 à nos jours, vue du point de vue de plusieurs personnages, livre qui, dit-elle, lui a redonné goût à la vie après une période de souffrance, d’internement et de tortures dans les geôles turcs (souffrances et tortures qui, donc, ne datent pas d’Erdogan puisque les séjours en prison de Pinar ont eu lieu avant son arrivée au pouvoir), ainsi qu’un petit ouvrage en hommage aux populations arméniennes.
Le soir, aux Pilles, elle donnait plus d’informations sur sa trajectoire. Deux ans de prison à la fin des années quatre-vingt-dix, accusée de dépôt de bombes (à l’instar de nombre d’opposants à la doctrine nationaliste anti-arménienne et anti-kurde qui prévaut depuis longtemps en Turquie), puis innocentée, mais re-poursuivie après appel du parquet, quatre recours en cassassion pour être à chaque fois innocentée jusqu’à l’ultime recours, mais formulé cette fois auprès du procureur de la Cour Suprême, un dur, qui, lui, vient de la déclarer définitivement une criminelle, passible de la prison à vie.
Pinar Selek est en quelque sorte la petite soeur de cet immense écrivain qu’est Asli Erdogan. Elle vit à Nice pour des raisons amoureuses (c’était d’ailleurs jouissif de l’entendre parler de ses amours en pleine librairie de Nyons, et de l’exaltation de son amant envers elle, qui lui redonna goût à la vie), après avoir vécu à Strasbourg, après être passée par l’Allemagne où elle rencontra beaucoup de ses compatriotes exilés, ce qui lui donna du recul sur la notion d’exil, refusant de vivre dans le repli, le regret et la nostalgie, pour continuer à lutter, participer aux luttes d’émancipation des femmes (et des LGBT, dit-elle), rencontrer le maximum d’amis dans sa nouvelle terre d’accueil.
Femme entreprenante, réfugiée politique vite active au sein de la Ligue des Droits de l’Homme (peu de temps après avoir adhéré, la voici déjà membre du bureau national!), elle compte faire entendre sa voix partout où elle le peut. Elle raconte son séjour en prison, comment elle apprend des plus anciens que la recette pour survivre c’est de ne jamais penser à son procès (sauf à l’ultime moment), de se concentrer chaque jour sur ce qui peut être fait et vécu auprès des autres détenus (jusqu’à ce qu’une fâcheuse influence européenne conduise à la mise en place de prisons aux cellules individuelles…). Elle raconte comment elle sortit ses premiers manuscrits en les cachant dans son (ample) soutien-gorge, comment elle sort d’ailleurs… sans encombre, tellement il y a de monde et de pagaille, trop de gens emprisonnés, ce qui doit être encore plus le cas aujourd’hui, obligeant le régime à en libérer, mais en même temps dans cette cohue et ce désordre, combien de disparus, de gens qui sont morts on ne sait trop comment.
Le comédien Serge Pauthe lit quelques-uns de ses contes et récits, notamment celui (dont je n’ai pas retenu le titre) qui commence comme un conte : « il était une fois… » où il est question d’un jeune enfant atteint d’un mal étrange : il ne peut se nourrir que de pots de miel. Son père désespéré fait appel à tous les médecins, psychologues, nutritionnistes des environs sans que rien ne s’améliore dans l’état du jeune mielivore, jusqu’à ce qu’il aille voir un vieux sage, qui lui demande douze jours de délai. Le vieux sage dit à l’enfant qu’il est d’autres choses à manger que le miel, que par exemple, s’il prend un bout de pain et que, délicatement, il le mâche et l’avale, il verra que c’est bon, aussi. Et l’enfant de suivre le conseil et d’être convaincu. Le père se dit que déjà d’autres ont dit cela à son fils, alors qu’y a apporté particulièrement ce vieux sage ? La réponse, on s’en doute, est que celui-ci souffrait du même mal et que les douze jours de délai demandés furent mis à profit pour s’habituer à manger autre chose, ce qui le rendait apte ensuite à dire à l’enfant ce qu’il convenait de faire. « Les mots qui sortent de la bouche entrent par une oreille et sortent par l’autre. Ceux qui sortent du coeur vont directement au coeur » dit le conte. C’est bien là une leçon, et qui s’impose dans nombre de situations. En particulier quand on se lance dans un combat, quand on a à faire connaitre aux autres les conditions de ce combat. En politique. Quand on veut prouver la sincérité d’un engagement. Quand on veut faire autre chose que se garantir une sinécure… Lecture puissante et émouvante de Serge Pauthe, qui se termine par une longue embrassade de la voluptueuse Pinar, l’homme, qui n’est pourtant pas mince, quasi englouti par les bras de la femme… belle image de générosité et de volupté. Pinar Selek est toute en mouvements, ceux des bras qui tournoient autour d’elle, ceux de son visage qui traduisent toutes les émotions de la joie, du dégoût, de la peur et de la gravité.
Dans la nuit qui tombe sur les Pilles, le violon et la flûte turques ennivrent les participants à cette rencontre pendant que les ballons de rouge se remplissent gaiement au comptoir du café associatif. Pinar Selek aura incarné pendant deux heures la vitalité, l’espoir, l’énergie et la joie. Une force qui pourrait venir à bout, à elle seule, de toutes les déprimes…
Bon. Elle est belle, Pinar. Très séduisante. C’est déjà beaucoup, par les temps qui courent.
Les cellules individuelles dans les prisons, ça vient plutôt des U.S. que de l’Europe. Il s’agit d’un phénomène de la colonisation à l’envers, par laquelle le Vieux Monde se trouve une satellite du Nouveau. Un peu comme la Grèce fut happée dans le sillage de Rome, si j’ai bien compris.
Pour la situation du conte… je me souviens d’avoir amené mon fiston chéri, à 5 ans, chez un psychanalyste parce qu’il suçait encore la sucette. Moins vital, certes que le miel comme Unique nourriture, mais, avec mon mari, nous demandions conseil à un.. sage ? un expert ? sur ce qu’il convenait de faire avec/pour notre fils.
Il nous a répondu que c’était nous, les parents de notre fils, et qu’il nous incombait à mettre des limites structurantes à ce qui était permis ou pas, afin que notre fils puisse croître, et prendre de la graine.
Cette consultation fut… magique, tout comme la rencontre avec le vieux sage.
Mais, à mes yeux, il ne s’agit pas QUE de choses romantiques sur le « parler du coeur », etc, qui sont souvent mises en avant en ce moment. Il s’agit de cette chose mystérieuse qui fait que des fois, on accepte l’autorité de certains, ce qui donne du poids à leurs propos, et on refuse l’autorité à d’autres, non pas parce qu’ils sont superficiels, fourbes, ou que leurs propos soient faux, mais parce qu’ils ne détiennent pas l’autorité nécessaire pour qu’on les croie. Et quoiqu’on pense, croire quelqu’un, c’est reconnaître son autorité pour dire ce qu’il dit en même temps qu’on reconnaît, qu’on fait sienne la… vérité de ce qui est dit. Cela va ensemble.
La preuve ? Elle est visible sur ce blog.
Et enfin, pour Pinar… si elle posait des bombes, on pourrait dire que ce n’est pas une activité très… féminine…aux yeux de beaucoup de monde, d’ailleurs.
Il ne faut pas revendiquer le beurre et l’argent du beurre en même temps. Il est paradoxal que la position de victime est une position d’une force extraordinaire, mais occulte. Pour une époque qui met autant de foi dans… les images visibles, c’est dur à comprendre.
…
Bientôt je vais retrouver mon cher Aubres, pas loin du tout de Nyons…oui, c’est un paradis, surtout les bords de l’Eygues…
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