Dans la rue Guozijian, se tient le temple en l’honneur de Confucius, qui date des années mille trois cent. Maître Kong (kong fuzhi en mandarin, que les Jésuites ont traduit en « Confucius » au XVIIIème siècle) nous accueille à l’entrée, il a toujours son sourire épanoui et sa barbe en pointe. Il semble souhaiter bonne chance à ses futurs élèves qui vont pénétrer ici, lieux consacrés à l’étude : le temple est mitoyen du Collège où venaient se former les futurs mandarins du régime impérial et qui recèle d’ailleurs l’un des ensembles de stèles les plus étendus au monde, où sont gravés, en plus de 600 000 caractères, treize livres-canons du Maître. Un autre ensemble de stèles immortalise la liste des étudiants ayant réussi à leur concours. Un musée résume le rayonnement de Confucius dans le monde entier, on y trouvera entre autres l’effigie de Robespierre pour ce que celui-ci aurait tiré de l’oeuvre confucéenne la fameuse maxime : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fît ».
A quinze ans, je résolus d’apprendre. A trente ans, j’étais debout dans la Voie. A quarante ans, je n’éprouvais plus aucun doute. A cinquante ans, je connaissais le décret du Ciel. A soixante ans, j’avais une oreille parfaitement accordée. A soixante-dix ans, j’agissais selon les désirs de mon coeur, sans pour autant transgresser aucune règle.
Voilà ce que dit le Maître dans ses Entretiens (traduits par Anne Cheng qui met en note que cette phrase trouve un écho dans les propos de Henri Matisse qui, à l’âge de soixante-dix ans écrivait : « j’ai travaillé quarante ans sans interruptions, j’ai fait des études et des expériences. Ce que je fais maintenant est issu du coeur. » Et Deleuze de commenter : « il y a des cas où la vieillesse donne non pas une éternelle jeunesse, mais au contraire une souveraine liberté, une nécessité pure. » Voilà ce qu’il faut méditer !). Sa pensée s’articule autour de quelques notions : le ren (prononcer gène), le li et le zhi (prononcer djeu). Le ren s’écrit avec le fameux caractère qui sert à désigner les gens, mais avec en plus, deux petits traits horizontaux et parallèles qui partent vers la droite pour signifier l’ouverture à l’autre. Le li désigne l’esprit rituel, et le zhi désignerait un organisme malade qu’il faudrait remettre sur le bon chemin en y rétablissant un équilibre. Le ren et le li sont inséparables : contrairement peut-être à ce que nous avons pu croire dans notre jeunesse, la meilleure manière d’honorer le sens de l’humain est de l’entourer de rituels (l’existence de rites étant ce qui distingue l’homme de l’animal). On ne respectera pas alors les rites par conformisme ou de manière formelle, mais en se pénétrant bien de leur importance et de leur signification. Quant au zhi, on le trouve dans l’art de gouverner, dont on sait que, pour Confucius, il était central puisque sa pensée était en grande partie destinée à former les princes. L’art de gouverner ne tient ni dans des techniques ni dans des ruses, mais dans un ensemble de qualités personnelles qu’il s’agit de conserver et de faire fructifier… Nos dirigeants actuels devraient en prendre de la graine.
Après cette leçon de vertu et de modestie, je remonte la rue pour prendre le hutong de Yonghegong. En traversant l’avenue, voici un autre complexe très étendu : le temple des lamas, aménagé en temple tibétain par l’empereur Qianlong, avant de tomber en ruines et d’être restauré… dans les années quatre-vingt. Certes, on n’éprouve pas l’émotion des grands temples de Lhassa et les moines ressemblent plus à de tranquilles gardiens de musée qu’à des religieux fervents, mais on s’étonne quand même, dans la cinquième cour, du grand Maitreya haut de vingt-six mètres et fabriqué dans un seul tronc de bois de santal, et de l’alignement de trois bouddhas (bouddhas de la médecine, de l’illumination et bouddha historique) rayonnants au milieu d’une salle de la troisième cour. Les vasques se remplissent de cendres où les adorateurs viennent piquer leurs bâtons d’encens et toutes ces fumées vous montent à la tête, des hommes et des femmes plutôt jeunes se prosternent devant Bouddha et portent leurs offrandes au grand Réformateur Tsong-kha-pa (le maître de la lignée des Gelugpas, autrement dit de la secte à laquelle appartient le Dalaï-Lama, dont il ne faut sans doute pas trop parler ici), comme signes possibles d’un regain du bouddhisme dans la Chine d’aujourd’hui.
Continuant de longer Yonghegong puis Guozijian Jie, je vais finir par me perdre dans les hutongs, ces ruelles enchevêtrées où vivait toute la population pékinoise autrefois (je me souviens de Lao She et de son gros roman Quatre générations sous un même toit, qui se déroule durant l’occupation japonaise entre 1937 et 1945, dans le hutong du Petit Bercail). Certains de ces hutongs continuent aujourd’hui d’abriter une vie populaire agréable et d’autres, rénovés, sont devenus des rues branchées où se succèdent les bars à la mode pour toute une jeunesse dorée et pour… les touristes comme moi qui n’hésite pas un seul instant à entrer pour boire un thé et manger un petit déjeuner (à deux heures de l’après-midi) tout ce qu’il y a de plus occidental… ou bien, plus original, un de ces yoghourts crémeux peut-être descendus du Xinjiang… Quartier gentryfié, donc, mais pas seulement, il me suffit de faire un écart de trajectoire pour que je tombe sur deux vieilles sans âge assises sur leurs pliants en train de se comparer ce qui leur reste de cheveux, un brave homme qui me sourit en partant travailler, ou bien encore, vers 16h, des ribambelles d’enfants qui sortent des écoles, emmenés par leurs parents sur des porte-bagages de vélos ou les banquettes en moleskine de quelques rickshaws encore en service.
Je note aussi l’abondance de ces petits véhicules électriques, mi-voiture, mi-vélo : une carrosserie avec une ou deux chaises à l’intérieur englobant un chassis, trois roues et un guidon de vélo. Certains sont profilés et raffinés, d’autres sont de pures caisses de métal blanc et n’hésitent pas pourtant à affronter la circulation et ses grosses limousines noires aux vitres teintées..
C’est toujours si enrichissant de frotter sa cervelle à celle de cet autre, dans un ailleurs. lointain..Passionnant.
Juste une réflexion: peut-on vraiment dire que la pratique de rituels sépare l’homme de l’animal? Pas si sûr…Peut-être la conscience de ces pratiques…?
J’aimeJ’aime
Bonjour Chantal, merci de votre passage. Je n’ai fait que reprendre ce que dit Confucius sur cette afire de rite. Maintenant, évidemment, nos connaissances se sont enrichies et l’on sait que la barrière qu’on est tenté d’téblir entre l’homme et l’animal n’est plus aussi nette que ce qu’elle paraissait autrefois, toutefois il semble que le rite au sens où l’entendait Confucius (une activité dont on prend pleinement conscience) soit quand même propre à l’humain (comme le langage).
J’aimeJ’aime
On reste confus… devant la beauté du récit et des photos !
J’aimeJ’aime
L’inspiration, c’est à Anne Cheng que je la dois, quel beau livre que son « Histoire de la Pensée chinoise »!
J’aimeJ’aime