Echenoz : de la Creuse à la Corée

envoyee-speciale,M289853Le dernier roman de Jean Echenoz a été fort bien reçu par la critique. Jean Echenoz renoue avec une veine picaresque et plutôt humoristique. Comme Cervantes parodiait les romans de chevalerie, Echenoz parodie les romans d’espionnage. Tout y est, le rapt, le bout de doigt enlevé et expédié, la mise en condition, les agents secrets, les missions en pays exotique. Seulement voilà, les éoliennes ont remplacé les moulins à vent. Constance, la belle Constance qui chantait Excessif, le tube créé par son ami Louis Tausk – drôle de nom, mais c’est pas son vrai nom, qui est Louis-Charles Coste, Coste, Tausk… juste une inversion de consonnes – est mise à l’abri dans une nacelle au sommet d’un de ces aérogénérateurs (comme les appelle l’auteur, histoire d’éviter les répétitions). Un faux mouvement de sa part aboutit à faire tourner les pales dans le mauvais sens (par rapport aux autres), c’est comme ça qu’on la remarque. Les personnages secondaires – enfin, secondaires c’est vous qui le dites ! – sont drôles comme les seconds rôles des polars des années cinquante avec Jean Gabin, Touchez pas au grisbi par exemple, propos sexistes inclus, pour faire bonne mesure (notez que personne n’a bronché, pourtant les remarques que Tausk se fait à lui-même quand il suit une assistante de son avocat valent bien celles de Jean Gabin quand il emboite le pas de l’hôtesse de boîte de nuit en lorgnant ses seins généreux, lui demandant « si c’est pas trop lourd, si elle a pas besoin d’aide pour les porter », mais tous les lecteurs de Jean Echenoz l’ont excusé car ils se sont tous dits : « c’est du second degré », alors que c’était pas du second degré quand est sorti le film, peut-être qu’on parlait comme ça aux femmes au début des années soixante… j’étais trop jeune pour savoir. Allez savoir… ).

touchez-pas-au-grisbi-53-09-gLino Ventura, Jean Gabin et Jeanne Moreau dans Touchez pas au grisbi

Evidemment, on a beaucoup signalé, dans la critique, les nombreux clins d’œil au lecteur. Bien sûr c’est amusant quand l’auteur intervient (p. 87) pour dire qu’on ne va pas passer trois plombes à décrire l’intérieur d’un appartement, car on a bien d’autres choses  à faire… de même que, pourrait-il dire sans doute, on ne s’éternisera pas dans les scènes d’adieu. Echenoz a son chic pour expédier ad patres les personnages devenus encombrants, le sont-ils pour d’autres protagonistes ou pour lui-même, ça on ne le sait pas bien, les deux encombrements se confondent sans doute. « C’est ainsi que n’ayant rien prémédité, n’y pensant à vrai dire pas vraiment, Clément Pognel a extrait son Astra Cub de sa poche et, sans viser spécialement quoi que ce soit, il a juste tiré sur ce qui se trouvait en face de lui : cette fois le projectile 25ACP s’étant introduit par l’œil droit dans la boîte crânienne de Marie-Odile Zwang, celle-ci est morte sur le coup, sous le regard placide de l’animal Biscuit qui n’a même pas sursauté sous l’effet de la détonation ». Adieu Marie-Odile, adieu coiffeuse pleine de piercings…

Et puis, on aborde un autre sujet, ouf enfin on cesse de tourner en rond entre le département de la Creuse qui nous laissait sur notre faim (car la Creuse, ça creuse) et quelques rues parisiennes de bon goût. Constance est sortie de son enfermement, l’action rebondit et ça devient franchement drôle : Echenoz nous expédie en Corée du Nord ! J’ai toujours trouvé que c’était bien dommage que derrière ces gesticulations de Kim et de Sung, voire de Jong et de Un se cachait à peine une réalité des plus tragiques, hélas, car sans cela, je crois qu’ils nous amuseraient bien, les Coréens du Nord, avec leurs ballets de masse, les faces triomphantes de leurs leaders, leurs petites fusées qui explosent un peu partout, plouf, plouf. Bon, je rigole, je rigole… On sait bien que comme les grognards de Bonaparte ne jetaient pas leur poudre aux moineaux… les petits Kim ne jouent pas de leurs fusées comme de feux d’artifice qui feraient la joie des petits et grands… Ceci dit, avouez quand même : cette présentatrice télé de rose vêtue qui, récemment, vociférait pour annoncer la mise en orbite de Kwangmyongsong-4 avait de quoi figurer dans un bon film comique…

55cfb0c0-4414-11e2-a9e2-2627e13fdcaa-493x328mais revenons à notre roman. « Je vous demande pardon, s’est impatientée Constance page 192, mais vous parlez de quelle affaire ? C’est très simple, a répondu le général, vous allez déstabiliser la Corée du Nord ». On attaque alors la partie III, chapitre 26 : « Vous vous foutez de moi, a supposé Constance ». Eh bien non, a répondu le général… et la voilà, la pauvre Constance, à servir d’appât pour un dignitaire du régime qui sera vite mis en disgrâce. Je ne raconte pas la suite. Ça se termine bien pour les uns (pour Constance je vous rassure tout de suite), moins bien pour d’autres… on a droit à un passage par la DMZ (la fameuse zone démilitarisée entre les deux Corée). Rien d’inattendu en somme. Et finalement pas si drôle, hein ? (comme disait le personnage de Cidrolin dans « Les Fleurs bleues » de Raymond Queneau, qui reste quand même le roman qui m’a fait le plus rire jusqu’à maintenant…)

Raymond_Queneau-6cfe6Raymond Queneau

Extrait :

Il y a quelquefois des pianos là où on les attend le moins : celui-ci, droit, vermoulu, déverni, sans marque de fabrique à l’entrée de la grange, tenait d’abord lieu d’étagère où s’entassaient des contenants vides de produits agricoles. Constance, ayant soulevé son abattant dans un bruit chuintant de bouche pâteuse, découvrit un clavier auquel restaient presque toutes ses dents, quoique fort jaunes et cariées par leurs dièses et bémols. (p. 109)

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5 commentaires pour Echenoz : de la Creuse à la Corée

  1. Faut-il s’échiner à lire encore Echenoz ? Le compte rendu si précis que tu fais de son livre me donnerait plutôt envie de l’écheniller : après tout, je préfère en rester à la musique si pure de son « Ravel » (peu me chaut la Corée du Nord !).

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  2. Debra dit :

    Bon, ça a l’air bien, je l’inscris sur la liste d’achats à venir de la bibliothèque où je travaille.
    L’autre soir on était à A Vence Scène pour le film de Bollywood, « Bajirao Mastani », fresque historique où on voyait un guerrier héros très mec avec une guerrière héroïne très féminine, c’était le pied… J’ai dit à mon mari à un tiers du film que je pressentais que nos deux héros auraient une vie plus courte que la norme de 90 ans que nous avons à l’heure actuelle ; les scènes d’action abondaient dans ce sens, mais leur fin en apothéose tragique faisait bien plus rêver que la perspective de l’intraveineuse dans la maison de retraite.. et on s’est esclaffé de rire…

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