Semaine d’hiver dans la Drôme. Le département des Hautes-Alpes n’est pas loin… là-bas la petite Sibérie, comme me dit Marc B. , ce coin qui est pourtant encore la Drôme, mais enclavé dans le département voisin, du côté de Séderon. Alors qu’ici, on lorgne déjà sur la Provence. Une autre enclave, celle des Papes, n’est pas loin. Les amandiers sont en fleurs depuis déjà plusieurs semaines, on pourrait croire qu’ils vont le rester toute l’année tant leurs fleurs fragiles ont l’air de tenir bon malgré le mistral, il n’en sera rien, bien sûr. Pour le reste, l’herbe est encore jaune, parfois grise, les chênes ont gardé leurs vieilles feuilles rousses qui, dans le grand vent – car c’est jour de grand vent – se froissent et tremblotent. Le long du chemin qui descend vers le gros village le plus proche (celui qui a une superette, un dépôt de pain et deux restaurants) des terres labourées portent l’empreinte des sangliers qui ont dormi là, ou qui ont creusé la terre à la recherche de quelque nourriture (des truffes ?). Trop nombreux, ils encombrent la montagne. Mais s’ils sont si nombreux, c’est – à ce qu’on m’a dit – parce que les chasseurs ont voulu les croiser avec des cochons… pour qu’ils repeuplent les forêts, afin que, bien sûr, ces mêmes chasseurs puissent les chasser. Mais à force de les pousser à croître et multiplier, lesdits chasseurs sont devenus incapables d’en venir à bout, les paysans voient leurs terres dévastées. C’est ainsi que la chasse permanente est décrétée ! Gare à toi paisible promeneur qui peut te prendre une balle au détour d’une ornière. C’est état d’urgence perpétuel ici aussi… je ne vois pas sans inquiétude les gros quatre-quatre escalader le chemin qui mène au col le plus proche, ni, au loin, les silhouettes de rouge vêtues des rabatteurs. Par moment, des coups de feu claquent, des chiens surexcités hurlent au fond des vallons… Ambiance de meute et de western.
La végétation est en avance, et avec elle tout ce qui l’accompagne. P. qui est apiculteur me dit que les abeilles sont déjà à l’affût du moindre rayon de soleil. J’ai coupé trois branches d’amandier pour les mettre dans une bouteille et dans deux verres, mon but étant de les peindre. Je passe un après-midi entier à cela. Le résultat me semble encourageant. Demain, je rajouterai les détails, je ferai des glacis pour mieux faire briller l’éclat des pétales, la peau des oranges qui servent de fond, le jaune paille du pot à eau. J’irai au village à pieds, peut-être prendrai-je un taxi pour remonter, s’il en existe. A longueur de journée, j’entretiens le poêle de marque anglaise, j’y enfourne des bûches qui nous viennent de nos amis, les propriétaires précédents, A. et M. Douce chaleur, face intérieure confortable d’un univers dont l’extérieur est parcouru d’un mistral violent. Chaud froid, la maison est soudain comme une omelette norvégienne. Si demain, en plus quelques flocons de neige font leur apparition, ce sera complet…
Le lendemain, la neige n’est pas venue, au contraire, un beau soleil a chauffé tout l’après-midi la terrasse sur laquelle il faisait bon s’installer pour lire. Cette chaleur, j’en ai profité aussi pour tailler la vigne qui, cet été, nous donnera l’ombre indispensable et, cet automne, les délicieux raisins qui sont originaires du Valais (de Vétroz, même, pour tout dire, autrement dit, ils produisent de l’Amigne, cuvée peu connue en France mais dont les Suisses raffolent et qui donne en effet un vin excellent, à consommer très frais). C’était peut-être déjà tard pour cette taille : les sarments me donnaient l’air d’avoir déjà repris vie… Le mistral vient du Nord, on le sait. Ici, il tombait donc du col au-dessus de la maison par brusques rafales ressemblant à des vagues, elles s’annonçaient au loin par un grondement marin puis tout à coup se déversaient, rafraîchissant immédiatement l’atmosphère. Le Ventoux brillait comme un dôme cristallin. On aurait dit qu’il vibrait au rythme des vagues éoliennes.
Post-scriptum : est paru le numéro 54 de la revue « Voix d’Encre », dirigée par un comité qui comprend les poètes Alain Blanc, Jean-Pierre Chambon, Alain Contassot et Hervé Planquois. Pour la première fois, sont publiés quelques-uns de mes poèmes, en même temps que la réédition du numéro 2 de la revue « Le peignoir de bain » datant de 1953, avec des poèmes de René Char, Alain Borne et Lucien Becker. Belles illustrations à l’encre de Liliane-Eve Brendel.
Voici le poème de René Char (à peu près dans sa mise en forme originale):
Ne cherche pas les limites de la
mer.Tu les détiens. Elles te sont
offertes au même instant que ta
vie évaporée. Le sentiment,
comme tu sais, est enfant de la
matière, il est son regard admi-
rablement nuancé.
Un grand merci pour ce partage de mots et de photos qui me touchent et bravo pour votre parution !
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On a l’impression d’être invité dans cette maison et sur la terrasse où lire pas seulement des poèmes de Char !
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mais oui! c’est tout comme! faut venir…
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@ alainlecomte : mais tu as omis l’adresse précise… (je mettrai un gilet pare-balles) !
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Ça a l’air d’un petit coin de paradis.
Il me faudra attendre cet été pour rejoindre ma Drôme à moi, au bord de l’eau.
Que c’est décadent, les chasseurs en quatre quatre…
Bonne peinture.
Cordialement.
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