Est-ce Richard III version rock ou bien Richard III façon « Star Wars » ? Sur la scène de l’Odéon, cela commence bien : un être maigre et difforme, maquillé tel un vampire démarre sa harangue d’une voix métallique, il se sait laid, donc peu doué pour la séduction, les femmes le fuient, que faire d’autre alors pour connaître le plaisir qu’atteindre le pouvoir ? Cela l’occupera désormais jusqu’à ce qu’il ait le front ceint de la couronne d’Angleterre, et pour cela il faudra qu’il combatte sa propre famille, son frère, devenu roi Edouard IV après la mort d’Henri VI, la femme de celui-ci, Elisabeth, et ses enfants, tout cela en jouant des oppositions et méfiances entre quelques chevaliers et chamballan de la cour…. On connaît l’histoire. Thomas Jolly dans le rôle titre est fascinant en Iznogoud qui veut être vizir à la place du vizir. Les acteurs et actrices qui l’entourent, membres de La Piccola Familia, sont également excellents : les reines entre autres, Elisabeth,
mais aussi la mère et la princesse Ann. Le spectacle met en avant la manipulation des foules : avant l’entracte, Richard qui voit le pouvoir lui tomber dans la main, feint de ne pas en vouloir et cherche à ce que le peuple lui-même le réclame et là, astuce de la mise en scène, ce sont les spectateurs, nous, qui sommes assignés au rôle du peuple et ça marche… il s’en faut de peu que les spectateurs eux-mêmes ne se lèvent et ne réclament Richard au pouvoir ! Récompense : une fois la royauté atteinte, Richard se mue en bête de scène, rock sauvage, éclairs, rayons lumineux, Richard se saisit du micro et hurle : « I am a dog ! » et il fait reprendre par le public : « I am a dog », « I am a toad ». Après l’entracte, la dégringolade, la bataille dans la pénombre, l’éclat des armes et le fameux : « mon royaume pour un cheval ! ». Encore un homme providentiel qui s’effondre dans les ruines de l’Etat. Auparavant il aura usé tous ses amis, ses alliés, fait tuer ses jeunes neveux et désiré épouser sa nièce. Les spectateurs eux, qui sont toujours fidèles non pas à sa personne mais à son interprète se lèvent et ovationnent la troupe. D’où me vient que je n’ai pas très envie d’applaudir ? D’où me vient ma réserve ? D’où me vient que je n’ai pas eu envie de rire à cette tragédie qui prend les allures d’une farce ? que je suis resté de marbre face à la danse sauvage d’un acteur habillé de peau et d’un masque de sanglier qui montre son cul au public ? Trop facile ? Sentiment que trop vite sont expédiées les profondeurs d’une tragédie qui mérite mieux que ça ? J’aurais sans doute aimé voir autre chose, une mise en scène non pas avec des trouvailles formelles dont toutes ne se justifient pas (comme des robots articulés qui descendent du plafond et rappellent un peu trop Star Wars) mais avec une idée, la possibilité au moins d’une idée de fond, une seule… A Avignon, la mise en scène d’Olivier Py pour Le Roi Lear avait été très critiquée, mais on y trouvait au moins une nouvelle lecture de la pièce, à partir du fil fourni par le thème du langage. Il y a quelques
jours, j’avais assisté à la MC2 de Grenoble à « L’Orestie » de Romeo Castellucci, elle aussi critiquée pour ses audaces : des femmes obèses et nues pour jouer Clytemnestre et Cassandre, un homme affecté de trisomie pour jouer Agamemnon, un homme amputé pour Apollon, émettant souvent des râles au sein d’une pénombre glauque, mais la plasticité effrayante de la mise en scène avait un but, celle de nous interroger sur notre capacité à supporter des scènes d’horreur (et en termes de massacres et d’assassinat, Shakespeare et Eschyle se valent bien) et même, et même, à leur trouver une certaine beauté, alors que c’est là où probablement réside tout le mal car si nous n’avions pas plaisir à l’horreur sûrement celle-ci n’aurait plus lieu d’être. Or, cela n’existe pas dans la mise en scène de Thomas Jolly où, si l’horreur existe, elle n’est vue que sous l’angle de la dérision. Pour rappel, dans la présentation de son spectacle, Castellucci dit ceci:
Ce théâtre [celui d’Eschyle] embrasse le mythe comme une attitude qui doit être portée jusqu’à son accomplissement; ses images sont inacceptables à moins de douter d’elles, mais il est également impossible de les ignorer ou de les oublier. Et si tout cela est vrai, en soutenir la représentation sera comme ne pas pouvoir détourner son regard de celui de Méduse.
C’est à cela que nous convie en effet le metteur en scène italien: soutenir la représentation, comme si cela était possible, et voir jusqu’où on peut la soutenir, ce que ne fait en aucune manière Thomas Jolly qui, comme dans les émissions de télé ou de radio, atténue cet impossible en feignant l’humour et la dérision.
Oh dis donc, ça fait un bail que je ne suis pas allé à l’Odéon (c’était Isabelle Huppert).
Mais, là, oui, autant réécouter « Heartbreak Hotel »…
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J’avoue ne pas trop comprendre la très grande fascination de la culture française pour « Richard III », une pièce bien inférieure à mes yeux à « Richard II », que j’ai vu il y a des années mise en scène par Mnouchkine à Avignon.
Et je ne suis pas une grande fan de l’hystérie, collective ou non, bien qu’elle ait ses attraits, certes, et évidemment… ses adeptes. (Un peu, certes, donne du piment à la vie, mais point trop n’en faut.)
En parlant avec un membre atypique de l’élite française dernièrement (sorti de la rue d’Ulm il y a très très longtemps), je lui ai confié que mes dents grincent à la pensée qu’il faudra attendre des années avant de pouvoir revoir une mise en scène… intelligente de William.
Même en Angleterre, à Stratford, il y a cinq ans, je n’ai pas eu ce plaisir.
Si vous voulez y voir une preuve de « fraîcheur » de « spontanéité », d' »innovation », qui suis-je pour vous en empêcher ?, mais pour moi, il s’agit la plupart du temps d’une bêtise vulgaire et ignorante.
Tenez, l’autre soir à A Vence Scène, (Saint Egrève) nous avons vu « Au bonheur des vivants », du Schlemil Théâtre, ceux qui ont fait « Les Ames Nocturnes » à Avignon.
Formés par Marceau, doués comme acrobates, clowns, ce duo bat les mégaproductions hystériques (et coûteuses, pendant qu’on y est…) à plates coutures (orthographe ?).
Mais ne me croyez pas sur parole…
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Mea magna culpa, mon ami, je vous avais mal lu lors de mon dernier passage, chose trop courante à une époque qui pousse à la lecture rapide de tout.
En vieillissant, je trouve les grandes tragédies de Shakespeare encore plus insupportables que quand j’étais jeune, et ce n’est pas totalement par haut le coeur prude et gnangnan d’une génération née dans le confort et la facilité, comme je le fus.
Non, ce n’est que la poésie de William, et des Grecques bien traduits qui sauve ces sujets insupportables. Sans la poésie, les pièces sont simplement sordides.
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