Les beaux films nous viennent souvent du Soleil Levant et ont pour auteurs Naomi Kawaze, Hirokazu Kore-Eda, Kiyoshi Kurozawa ou Takeshi Kitano. Le dernier (« Vers l’autre rive ») est celui de Kurozawa et il ose nous parler de l’au-delà et de la mort. Rien de rationnel dans ce film où les revenants soldent leurs amours avec les vivants. Et pourtant cela pourrait être un monde où nous pourrions vivre. Le disparu aimé reviendrait un jour après trois ans d’absence auprès de son épouse et celle-ci lui dirait d’abord : « tes chaussures ! » puisqu’il les a gardées aux pieds, le plus bel affront que l’on puisse faire à une maîtresse de maison japonaise. Revenue de sa réprimande, la jeune femme trouverait presque ordinaire qu’il revienne, celui qu’elle a cherché partout et pour qui elle a écrit des rouleaux et des rouleaux de prières shintoïstes, d’une écriture que lui déclare bien mauvaise, « ta sale petite écriture », mais cela n’a guère d’importance : les prières vont devenir un viatique pour traverser l’espace du Japon et il est convenu que Mazuki les détruira par le feu quand elle voudra rentrer à la maison. D’ici là, le couple ira de ville en ville retrouver les traces d’un voyage que l’homme revenant à déjà fait, au cours de ces trois années de disparition où il a travaillé tantôt chez l’un tantôt chez l’autre. Mais ces hommes et ces femmes de rencontre, qui sont-ils ? Certains sont morts. Cela se voit sans doute à ce qu’ils disparaissent un jour pour de bon, avec les objets matériels qui avaient l’air de faire leur vie. Un plat à fondue qui absorbait trop la graisse par exemple, et dont on devine qu’il joua un rôle dans la mort d’une femme. C’est ainsi dans les récits du lointain Japon : les objets ont une vie. Ne parlons pas du piano : celui-là n’est à jamais fait que pour un seul joueur ou une seule joueuse, le son qui sort de lui n’est rien d’autre que la voix de l’exécutant et lorsque vous êtes mort, il doit rester muet pour toujours, à moins qu’un miracle ne le fasse rechanter, ici une petite fille de dix ans qui renaît, elle aussi. Ce film lent qui alterne des scènes de stupeur prises au travers de vitres (on pense aux fameuses scènes de « Psychose » où les évènements cruciaux ne sont vus que sous la forme d’ombres au travers de vitres ou d’un rideau de douche !) et des scènes extrêmement bucoliques où l’on retrouve le Japon des forêts, des champs et des bords d’océan, saisit avec douceur les transitions entre la vie et la mort. Il s’essaie même à suggérer un fondement métaphysique à toutes ces histoires de revenant. Le dernier village où va le couple est un village où l’homme s’est fait aimer par les cours qu’il donnait aux paysans, des cours de physique, allant jusqu’à la cosmologie contemporaine. Le premier cours qu’il donne à son retour porte sur la double nature de la lumière montrant que la particule (le photon) est nécessairement de masse nulle puisqu’il voyage à la vitesse de la lumière et qu’il aurait sinon une masse infinie. Ainsi nous reposons sur du vide – voilà bien de quoi s’harmoniser avec la pensée extrême-orientale. Et au deuxième cours, nous voici replongés dans ces spéculations dont il était question il y a quelques temps sur ce blog : la nécessité de penser que la vitesse d’expansion de notre univers ne ralentit jamais, mais au contraire croît exponentiellement (la fameuse « inflation »), d’où il résulte que ce n’est pas UN univers qui existe mais dix puissance cinq cents – je ne sais pas d’où il sort ce chiffre ! – , que le nôtre, d’univers, n’a que treize milliards et sept cent millions d’années et que cela est bien peu au regard de nombres si énormes. Nous ne sommes donc, dit-il, qu’au COMMENCEMENT de notre univers et nous avons une chance immense d’être nés à ce tout début. Je souriais beaucoup ici parce que je songeais à ce que j’avais lu dans « Le Monde » juste avant d’entrer dans la salle : tous ces débats rances auxquels nous invitent ceux qui sont intronisés les intellectuels du moment, qui s’entendent tous sur l’idée d’une FIN, fin d’une époque, fin de l’histoire même… Mais, me dira-t-on, ces raisonnements n’ont rien à voir avec la possibilité des revenants… d’autant que, nous le savons, il n’y a pas de communication possible entre les univers multiples (on pourrait imaginer en effet que de temps en temps une de nos répliques vienne nous rendre visite !). Cela sans doute est un enchaînement de rêves, d’ailleurs les disparitions (de revenants ou d’objets qui leur sont liés) se font principalement après un réveil en sursaut de la jeune femme (Mazuki). Mais les mondes de nos rêves, n’existent-ils pas aussi, dans une certaine mesure ? Ce film donne un joli fondement à l’idée que l’amour est plus fort que la mort (belle scène vers la fin où les deux corps s’unissent)… il nous convie à faire de nos rêves les continuations des vies dans lesquelles nous avons connu et aimé des êtres disparus. Et puis, penser des univers physiques parallèles ou bien penser nos rêves comme des mondes possibles où se poursuivent ces vies, n’y a-t-il pas là quelque chose de semblable ? Sauf à savoir que, dans le réel, hélas, la séparation est toujours là, béante, telle qu’elle nous est montrée à la toute fin du film.
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Pas encore vu ce film, sûrement excellent d’après ce que tu en dis…
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Des fois, je m’amuse à penser : si j’étais Dieu, je reviendrais donner un grand coup dans les dictionnaires, dans les têtes, j’exciserais le mot « réel », et on verrait ce qu’on verrait.
Ça pourrait être amusant.
Pour la fin… j’aime la fin. J’aime le début, j’aime le milieu, et j’apprécie particulièrement la fin.
J’aime bien les histoires où il y a un début, un milieu, une fin.
J’aime les gens… qui finissent leur tube de dentifrice aussi. Leur flacon de shampooing.
Même.. leurs phrases…
La fin peut être très belle. Quand la fin est exquise, et me fait pleurer, je l’adore encore plus.
La fin du « Roi Lear » quand on ne transforme pas Lear en un personnage de masse grouillante moderne, une petite particule insignifiante, inodore, incolore, grise.
Comme.. notre physique d’ailleurs.
Comme nos chiffres (toujours astronomiquement grands ou petits, nos chiffres/nombres.. C’est DIABLEMENT LOUCHE TOUT ÇA, je dis…).
Assez râlé contre la cosmogonie moderne.
Elle manque de poésie, de musique, d’harmonie, et de beauté.
Et elle nous use. Moi, en tout cas.
Merci pour la référence du film.
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