Nous avons atteint l’au-delà… non, je ne parle pas de l’Au-Delà, mais d’un au-delà, celui de l’humanité et qui, pour le coup, se confond avec son en-deça, mais peut-être valait-il mieux rester dans l’en-deça, plutôt qu’en venir à cet au-delà. En deça règne une certaine innocence : on ne connaît pas encore l’humanité, donc comment pourrait-on juger en son nom ? Alors qu’au-delà, on l’a connue, on s’en est fait une image au travers, notamment, de la littérature : Balzac, Victor Hugo bien sûr, mais aussi Dostoïevski, Tolstoï, ou bien Faulkner, Steinbeck et même encore des écrivains modernes comme Philip Roth, Jean-Marie Le Clézio ou Kenzaburo Oé. Tous nous ont dépeint des individus, des sociétés qui, pour n’en avoir parfois pas moins leurs défauts, cultivaient des aspirations, des rêves d’humains, se débattaient dans des drames existentiels, faisaient du monde autre chose qu’une marchandise, mais un lieu de perpétuel enchantement. Bien sûr, il y eut la question : « comment écrire après Auschwitz ? » mais il y eut aussi la réponse que, justement, on se devait d’écrire après Auschwitz. Du reste, en nommant Auschwitz, on savait donner un nom à l’horreur, elle demeurait circonstanciée, elle était l’œuvre d’une idéologie que l’on pouvait honnir, on pouvait raconter que cette horreur avait pris fin avec la chute d’un régime. En ce temps là, pas si lointain mais quand même, les guerres avaient une fin. Les dictateurs étaient tués ou bien se suicidaient dans un bunker. Et on pouvait repartir comme avant, comme si de rien n’était, construire une culture nouvelle, miser sur des espérances sociales, mettre nos espoirs dans des hommes et des femmes que nous estimions de valeur. Mais les temps ont changé, y a-t-il, de nos jours, une fin au malheur ? L’horreur inhumaine n’est plus du seul ressort d’une idéologie mortelle, elle s’est répandue comme une pandémie, elle est diffuse, hydre qui voit repousser ses tentacules dès qu’on a cru avoir raison de la bête. Les victimes ne sont plus parquées dans un lieu défini et ne peuvent plus compter sur une libération, qui viendrait avec une armée, et les rendrait à la vie, même dans un piteux état car ayant dû subir le viol et l’humiliation, la faim et les violences. Les victimes sont à travers le monde, elles cherchent un ailleurs pour recommencer leur vie mais finissent noyées au fond des mers, « disparues ». Les Etats doubleront les bateaux patrouilleurs mais ce ne sera que pour mieux dissuader les migrants de partir, et pas pour les sauver. Huit cents naufragés dans un chalutier où les passagers sont enfermés à double tour, des passeurs qui marchandent leurs vies, des vies qui ne sont plus que des marchandises. Une marchandisation qui gangrène la population de la planète Terre. Et face à cela, le politique qui ne dit plus rien, dit qu’il ne peut rien faire, dit que s’il prend position dans le sens de l’humanité, il perdra la partie, contribuant à donner le pouvoir à encore pire dans l’odieux de l’inhumain. Nous sommes dans l’au-delà, aussi, du politique, quand il se nie lui-même n’ayant plus rien à dire de la vie de la cité que des avertissements et des annonces de terreur, quand il sait que rien ne passera si ce n’est estampillé « opération rentable » ou lucrative. Le monde, pour tourner, n’a besoin que de ses sinistres rotatives : les machines qui gèrent les marchés financiers, ou bien le Big Data, et de leurs consommateurs, qui vivent de ce côté-ci de l’hémisphère, le reste doit disparaître, a déjà en partie disparu, disparaîtra, et si possible, c’est-à-dire si les politiques font bien leur boulot, dans la discrétion, le silence, pour que lesdits consommateurs n’en aient même pas de remords, même pas la honte.
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Le tableau est sombre mais dans le style réaliste.
Goya, reviens !
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C’est si vrai que les mots nous manquent pour un commentaire…
Encore que, c’est vrai aussi. Goya comme dit D Hasselmann. Le passé parfois est éclairant qui n’a pas fait mieux. Se remémorer Luther condamnant la révolte paysanne. Entre autres. Combien de milliers, de centaines de milliers de morts, et au nom de quelle foi aveuglée? Combien de fois l’avons-nous franchi cette frontière de l’inhumanité,hier, aujourd’hui, demain ?
Mais comme il est salutaire ce billet!
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Chère Chantal, merci d’être revenue. A toute époque il y a eu en effet de terribles violences, massacres etc. mais je crois que c’est notre époque qui a inventé la marchandisation totale de nos vies (après celle des corps etc.), ce qui constitue une violence ultime, une mise à l’écart de l’humanité de toujours plus d’humains et finalement à terme de tous les humains.
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Tu appelles à la rescousse les grands auteurs, des images familières pour s’accrocher et c’est bien dit. En te lisant je vois bien à propos des bateaux, et je suis dans le même désarroi en ce moment à essayer de mettre des mots sur la Villeneuve et le VO qui ont vu théâtre et locaux du foot partir en fumée, et j’ai l’impression que « la cabane est tombée sur le chien » comme disaient les commentateurs du rugby quand ils avaient de la verve au moment où le match était plié.
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oui, du fond de la Drôme où je suis en ce moment, j’ai ouï dire qu’à Grenoble, le théâtre Prémol avait encore été incendié (je me souviens de la première fois, j’habitais juste à côté) quel désastre! mais là encore, je crois que ce n’est rien à côté de ce qui se trame en Méditerranée.
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Je ne suis pas d’accord.
C’est… séduisant, ce que vous dites, (à sa manière…) mais si vous vous efforcez de voir autre chose que ce que vous croyez voir, là, vous le verrez. (La preuve… je le vois, et si JE peux le voir, c’est que c’est visible. Plus grande mélancolique que moi, on ne trouve pas, je crois.)
Alors que je n’écoute pas les infos, tout de même, ce matin, nous avons eu droit à UN INDIVIDU, là bas, dans un lointain pays qui fournit des candidats à l’immigration, qui a dit, LUI, qu’il fallait lutter pour donner espoir, et envie aux gens de RESTER LA OU ILS SONT, et lutter sur place.
J’avertis que ce n’est pas moi, petite nantie avec une cuillère en argent dans la bouche qui dit ça, c’est quelqu’un là bas, où c’est chaud. (Si, là bas, c’est chaud, des fois, j’ai l’impression que c’est diablement FROID ici, et je ne sais pas ce qui est pire, dans le fond.)
Pour la marchandisation… l’argent devient une valeur refuge quand on n’en trouve pas d’autres, des valeurs.
Curieusement, c’est une bien fâcheuse tendance de la culture française de tomber vite dans la marchandisation par dérive/manque de valeurs.
Je vois partout autour de moi dans mon quotidien des indications que M et Mme Tout le Monde ont d’autres valeurs que l’argent (mais il faudrait savoir ce qu’on fait quand on fait un sport de « faire une affaire » ou trouver le prix le plus bas pour tout, en se disant… « quonnapaslechoix »).
La grande question, c’est pourquoi nous remplissons notre espace PUBLIC à en vomir de ces mensonges que nous voulons ? croire sur nous-mêmes ?
Cela ne vous interroge pas combien VOUS pouvez vous sentir vertueux, et combien vous trouvez que LE PAYS est corrompu ? Vous ne croyez pas que bon nombre de nos concitoyens ont exactement la même impression ?
C’est étrange, tout ça, non ?
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La marchandisation d’une chose ou d’un être n’est pas simplement reliée à la question de savoir si on a ou non l’argent comme valeur ou à la question du « combien ça coute », c’est le processus, analysé par Marx, par lequel cette chose ou cet être n’existe plus comme valeur intrinsèque mais uniquement comme valeur d’échange, il ou elle ne fait plus que représenter une somme d’argent, son être, dirait Marx, est aliéné. Ce processus est social, il n’est pas individuel, ce n’est pas tel ou tel individu qui décide. Ce que je pointe dans ce billet, c’est le fait que ce processus s’est emparé des vies, de la vie, qui se trouve ainsi gangrenée, et il l’a fait, évidemment, avec l’aide du politique. Est-ce que « le PAYS » est corrompu? je n’ai pas dit cela car je ne sais pas ce que signifie cette affirmation. Je ne sais pas non plus si je suis vertueux… je sais seulement que j’ai le droit d’essayer de porter une appréciation sur le système global qui régit nos vies, nos affects etc. lequel ne se ramène pas aux pensées ou états d’âme des individus, ni donc, à la « psychologie ».
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Derrière ce que vous pointez comme étant le pointage de Marx, il y a un formidable sac de noeuds. Je vais essayer de le dégager un peu.
« L’être qui existe comme valeur intrinsèque » est grosso modo, ce que le Tétragramme garantit, dans la mesure où UN des aspects du Dieu juif (le Dieu de Marx, en l’occurrence, même si c’est à son corps défendant…), est inséparable de ce même statut (l’UNique) pour l’Homme. C’est assez simple, dans le fond. Il s’agit de dire que vous, moi, lui, elle, nous sommes tous des êtres uniques, NON REPRODUCTIBLES en identique. Personne avant nous, personne après nous ne sera identique. (En passant, je tiens à ce statut pour tout le vivant, en dépit de notre très grande incapacité humaine à percevoir cette qualité intrinsèque « unique » du vivant.)
Et ce statut est intimement lié à notre être.. corporel et matériel.
Mais, bon, comme le monde est compliqué, LA SOCIETE ou les êtres ensembles ne pourraient jamais marcher sans qu’on puisse remplacer Monsieur Un tel par Monsieur Deux tel, à un moment donné. La société ne pourrait pas garantir sa transmission sans qu’il y ait des… FONCTIONS et des représentations.
Donc, il y a deux plans là, (au moins) dans l’existence humaine, et ces deux plans sont intriqués, dans une espèce de dialectique, qui, si je comprends bien, n’est pas une opposition binaire, n’est pas un « ou » EXCLUSIF, mais une intrication, qui est la nature même (comme par hasard..) d’un vivre.. ENSEMBLE.
Oui, car il s’agit de METTRE ENSEMBLE.
A un certain niveau on peut se demander pourquoi Marx a vu ce qu’il a vu.., même.. CE QU’il a vu.
(psychologie ? je n’aime pas trop la psychologie… mais il y a bel et bien une RELATION entre l’individu, le membre de la société, et cette société, et si il y a des idées qui circulent dans l’espace public, il y a bel et bien une relation entre ces idées ET LES INDIVIDUS que nous sommes, et forcément DANS cette société. On n’a pas le.. DROIT de couper la société des individus qui la composent à mon avis, même si on a séparé psychologie sociale et psychologie clinique, par exemple… Perso, je n’épouse pas les théories psychologiques, mais j’ai eu l’occasion de vérifier l’ a propos des théories freudiennes pour rendre compte de certains phénomènes… sociaux.)
Un des inconvénients majeurs de la pensée analytique est sa tendance à l’atomisation.. On peut aller très loin dans l’atomisation, mais vient le moment où il faut faire retour sur, reboucler la boucle, comme on dit…pour pouvoir continuer à penser.
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