Il n’y a pas que le Festival, à Avignon, lequel, du reste, est terminé. Il y a aussi de l’art contemporain. On se souvient de la magnifique exposition des Papesses, l’an dernier, dans la Fondation Lambert et au Palais des Papes. La Fondation Lambert est en travaux. Mais la direction, souhaitant continuer son travail de présentation d’œuvres majeures de l’art contemporain, a ouvert un autre espace pour sa nouvelle exposition, intitulée « La Disparition des Lucioles ». Et quel espace ! Une prison. C’est ici que le mot « ouvrir » prend tout son sens, tant l’opposition est forte entre ce terrible lieu d’enfermement et cette projection vers l’extérieur, vers « l’ouvert », en quoi peut se caractériser l’art contemporain. Un peu en contrebas du rocher des Doms, le long de la rue Banasterie, qui relie la place des Châtaigniers à une petite porte sous les remparts, dans un quartier austère donc, pas très loin non plus de cette chapelle baroque magnifique – la Chapelle des Pénitents Noirs – les hauts murs de la prison Sainte-Anne. Dès l’entrée, on a froid dans le dos… les lourdes grilles sont toujours là, et on a même installé des mannequins en forme de gardiens pour restituer l’atmosphère qui régnait jusqu’à il y a encore très peu, puisque cette prison, la plus vétuste de France à l’époque, ne fut fermée qu’en 2004, à la demande d’Elisabeth Guigou. La Fondation Lambert l’a reprise en l’état, n’y a pas fait de travaux autres que de nettoyage et de coup de peinture en passant, en prenant bien soin de garder l’essentiel des traces de la souffrance accumulée.
Appels au secours, cris de rage, messages sarcastiques ornent les murs et les portes des cellules. Impression contrastée : ces cellules sont aussi des lieux de fraîcheur, et l’on se dit qu’après tout ce pourraient être des lieux de recueillement… jusqu’à ce qu’on sente tomber sur soi l’effroi de se dire qu’en l’occurrence, ce recueillement serait un enfermement long, sans espoir, un étouffement de la pensée et de l’esprit. Qu’y aurait-il à chercher qu’y aurait-il à prendre de ces murs vides, hauts, de ces recoins sales et miséreux ? Les œuvres qu’on y expose aujourd’hui puisent pourtant de la force d’être enfermées entre ces murs, car toutes, plus ou moins, font référence aussi à la douleur, au mal, à ce que c’est pour l’âme d’être tenue recluse, avant qu’elle s’échappe par l’acte créateur de l’artiste.
On retrouve ainsi Belinde de Bruykheere et Jana Staerbak qui figuraient parmi les Papesses, mais on trouve aussi Gloria Friedmann et son « Cobaye » de terre et d’acier – conçu spécialement pour cette exposition – Roni Horn et ses photos de clowns grimaçants, l’artiste suisse Rémi Zaugg (« Quand fondra la neige, où ira le blanc ? ») ou bien l’artiste chinois Yan Pei-Ming, avec ses grandes peintures monochromes sur le thème de l’assassinat de Marat, et bien d’autres encore…
On trouve aussi des témoignages bouleversants sur la vie en prison, notamment cette vidéo sur grand écran (dont j’ai oublié le nom de l’auteur) qui montre une main décrire le plan de l’édifice avec une voix off qui commente et raconte des anecdotes, des humiliations mais aussi parfois des jeux auxquels se livraient les prisonniers, rares moments de plaisir lorsqu’ils pouvaient percevoir de loin des gens amis qui leur faisaient des signes depuis là-haut, au jardin des Doms qui domine la prison, y compris celle qui, pour un peu de plaisir gratuit, montrait ses fesses et ses seins depuis là-haut. Les lucioles, pourquoi les lucioles ? en hommage à Pier Paolo Pasolini, qui écrivit ceci (que je recopie du blog de Bridgetoun) dans une de ses lettres :
La nuit dont je te parle, nous avons dîné à Paderno, et ensuite dans le noir sans lune, nous sommes montés vers Pierre del Pino, nous avons vu une quantité énorme de lucioles, qui formait des bosquets de feu dans les bosquets de buissons, et nous les enviions parce qu’elles s’aimaient, parce qu’elles se cherchaient dans leurs envols amoureux et leurs lumières, alors que nous étions secs et rien que des mâles dans un vagabondage artificiel.
Exposition vue trop vite. Bousculés par les horaires imposés des spectacles, hélas. Revenir. Revenir. Mais on peut en voir plus sur ce beau site, ici et ici.