« Je me souviens quand j’étais à la maison, en rentrant le soir, parfois, je vous entendais faire l’amour, et ça me rassurait. Ça prouvait que vous vous aimiez et que nous resterions toujours ensemble ». C’est une réplique d’Isabelle Huppert dans le film de Haneke. Décidément, elle est partout en ce moment, et elle éclabousse de son talent le monde du cinéma. Il n’y a que Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva qui puissent soutenir la comparaison. Dans un registre plus âgé, bien sûr. Forcément puisque ce sont les parents. Des parents qui s’aiment, ça devrait passer pour une banalité, non ? Donc d’où vient la rumeur associée à ce film, d’être, vous vous rendez compte, un film sur les amours de personnes âgées entre elles, ce qui, en soi, constituerait une provocation, presque un scandale. On en a tant dit que je m’attendais à beaucoup plus choquant, qu’allions nous voir, deux vieillards faisant l’amour ? deux seniors se rencontrant dans le métro et fondant tout à coup dans les bras l’un de l’autre ? coup de foudre à quatre-vingts ans ? Non, la réalité est plus sage. Ils ont toujours vécu ensemble, et ils s’aiment encore à un âge avancé. Normal, non ? On a glosé sur l’introduction du sentiment dans le cinéma de Haneke : celui-ci se serait immiscé déjà dans le précédent film, « Le Ruban blanc » (offrande d’un oiseau au père, larmes furtives du père), et reviendrait en force ici. Il y a l’histoire que lui, Georges, joué par Jean-Louis, raconte à elle, Emmanuelle (Anne), tout en faisant la cuisine, de quand il était enfant et revenait d’un cinéma où il avait assisté à une histoire d’amour impossible : les deux amoureux renonçaient à leur amour car cela était plus digne dans la situation de conflit où ils étaient plongés, et lorsqu’il avait à son tour raconté cette histoire à un copain qui lui demandait d’où il revenait, en la racontant, il en avait pleuré. C’était, disait-il, la force du sentiment, qui l’avait fait pleurer. Comme c’est encore aujourd’hui, la force du sentiment qui surnage. On a l’impression en effet dans ce film que les sentiments s’élèvent, et forment comme un nuage de buée au-dessus des corps. Ça me rappelle ce roman indien (de Tarun Tejpal : « Loin de Chandigarh ») qui commence par la phrase : « ce n’est pas l’amour, c’est le sexe, qui fait le ciment entre les êtres », et qui se termine, 600 pages plus loin, après moult péripéties, par la phrase inversée : « ce n’est pas le sexe, c’est l’amour, qui fait le ciment entre les êtres ». De ce point de vue, ce ne sont pas tant les gestes, plus ou moins spectaculaires, plus ou moins impudiques (comme le transport de celle qui ne peut plus bouger son corps aux toilettes, ou bien la gymnastique imposée des membres inférieures) qui font le centre d’attraction du film, ce sont les regards, les attitudes, le peu de mots échangés. Elle lui dit : « tu ne vas pas abimer ton image dans tes vieux jours », « et qu’est-ce qu’elle a mon image ? », lui répond il, et elle lui répond qu’il est toujours impressionnant. Après tant d’années ensemble, finalement, ils continuent à se découvrir. D’ailleurs, concernant l’histoire de cinéma ci-dessus, elle s’étonne qu’il ne la lui ait jamais racontée, « mais dit-il, il y a beaucoup d’histoires que je ne t’ai jamais racontées ». Cela rappelle aussi ce beau récit de Joan Didion (« L’année de la pensée magique »), après le décès brutal de son mari, il y a quelques années. L’idée qu’en un sens, pour qui le veut bien, l’amour ne s’épuise pas, n’a pas de raison de s’épuiser, puisqu’il reste toujours des histoires à raconter, des impressions à échanger. Le reste, c’est quoi , au juste. Bien sûr les enfants, leurs conjoints, leurs histoires, mais c’est déjà justement… une autre histoire, sans beaucoup de lien avec la première. Evidemment, le film de Haneke draine d’autres choses, sur les thèmes en vigueur de nos jours… fin de vie, maladie, euthanasie… existence d’une maltraitance à l’égard des très vieilles personnes (magnifique séquence où Jean-Louis Trintignant engueule une infirmière brutale et incompétente). La fin ? On n’est pas surpris. Encore faut-il du courage. La disparition de Jean-Louis Trintignant à la toute fin ? On est davantage surpris. Le scenario ne savait peut-être plus quoi en faire. Et puis, pour le reste encore : l’éclairage indirect, la musique (Alexandre Tharaud), l’impact de la peinture (de grands paysages classiques surgissant comme un signe d’éternité silencieuse) : tout simplement magnifique.
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Comment être déçu avec Trintignant (même s’il proclame partout que le théâtre est le vrai métier du comédien) ? Même quand il récite des poèmes (vu à Uzès, présence magnétique), il sait faire passer l’au-delà de ce qui est dit.
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Pas vu encore mais lu l’interview de Trintignant ds Télérama où il dit qu’il a privilégié le cinéma parce que ça paye huit fois plus que le théâtre. Qu’il a honte mais le reconnaît. Celui d’Haneke est le dernier a-t-il affirmé.
Non, je sors là d’un film dont j’ai loupé les 30 premières minutes pour des raisons absconses (je me plaindrai ultérieurement) grand, comme seuls les américains savent les faire (c’est pas vrai, les russes, puis les italiens et les espagnols aussi, brefle). C’est une river-movie dont je vous passerai les détails, mais le lien avec votre billet est l’amour.
Je le conçois ainsi, totalitaire.
Sacré film de très haut niveau.
Sam Shepard y excelle.
Sobre, silencieux, comme j’aime les hommes.
Là quand on a besoin de lui.
Pas ailleurs.
Je suggère à votre formule » pour ceux qui osent » plutôt que « pour qui le veut bien », mais libre à vous et à chacun d’y mettre ce qu’il veut.
Je suis comblée pour ma part, comme Tom ; et comme Mud.
Pour moi qui adore les bateaux perchés dans les arbres, j’ai trouvé de quoi nourrir ma fantasia.
J’irai le voir ce film sur l’amour quand on vieillit, pour l’instant c’est Rendez-vous d’automne chez moi.
Après « L’homme qui rit » de Jean Pierre Améris (il aime laisser agoniser les filles longtemps, Christa Théret en sait quelque chose) Mud de Jeff Nichols.
cordialement à vous et à votre épouse.
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Je tourne autours de ce film comme on tourne autours d’une vieille bouteille de vin avant d’oser la boire… Peut être demain.
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