De jour et de nuit, entre l’aube et minuit, de longues limousines blanches parcourent les rues de Paris pour y mettre des rencontres inattendues entre laideur et beauté. C’est à cela qu’on pourrait résumer le film de Leos Carax, un chef d’œuvre. Denis Lavant, habitué des réalisations du metteur en scène, se fait tour à tour banquier, mendiante (curieusement copiée sur celle qui existe vraiment et que j’ai pu voir presque chaque semaine de l’an dernier sur le Pont en Change), assassin, danseur d’un monde futuriste (séquence d’une beauté stupéfiante), père un peu trop possessif, amant séparé, clochard céleste… au cours de neuf missions à accomplir, sous le regard vigilant de celle qui le conduit, Edith Scob. Il ne faudrait peut-être rien dire de ce film, en tout cas ne rien dire de son scénario pour que tout spectateur le voie d’un œil vierge : il n’en aurait que plus de surprise à chaque instant. On saura simplement que les critiques en général y ont vu surtout à la fois un hommage et un requiem pour le cinéma. Requiem ? Rien n’interdit d’imaginer pourtant d’autres films, ou alors on veut sans doute dire par là qu’un certain cinéma est mort, celui des caméras pesantes qui imposaient leur présence dans des studios bien localisées, ou celui « de la pellicule », qui exigeait des projecteurs « 24 images par seconde ». Le numérique a tué ce cinéma-là, à n’en pas douter… et « Holy Motors » veut sûrement dire cela (séquences muettes de chronographies reconstituées de Marey, début du film, où Carax lui même nous présente le lieu du spectacle, une salle de ciné à l’ancienne, spectateurs silencieux pendant qu’un redoutable molosse parcourt les travées), et qu’avec cette disparition, toute démarcation nette entre fiction cinématographique et réalité s’est estompée : nous sommes maintenant sur l’écran, à moins que ce ne soit l’écran qui nous ait rejoint. D’autres films ont fait l’allusion (je pense à « La rose pourpre du Caire ») à cette osmose entre l’écran et nous, mais de manière tellement plus « sage », convenue. « Holy Motors » est une mise en abîme perpétuelle, sauf que bien malin qui saurait à chaque instant indiquer le niveau précis où l’histoire se déroule. Il culmine sur la magnifique séquence du toit de la « Samaritaine », déjà souvent
commentée, celle où Kylie Minogue fait son apparition et chante une superbe chanson (« Where are we ») écrite pour l’occasion. Puisqu’au cinéma, on laisse libre cours à son imagination et à ses souvenirs, j’ai pensé à cet instant (rapprochement incongru ?) à Corinne Marchand chantant « toutes portes ouvertes » dans « Cléo de cinq à sept » (sauf que Carax n’a pas pensé à elle mais plutôt à Jean Seberg)… Bref, humour, amour du cinéma, cinéma d’horreur, relents de vampyres (avec Monsieur Merde sortant des égoûts, kidnappant le top model
(Eva Mendes) au Père Lachaise, et refusant de répondre à l’assistante du photographe en lui bouffant les doigts…), et sur la fin, deux séquences, deux séquences encore, inoubliables, que je ne décrirai pas pour qu’encore une fois l’effet de surprise soit complet, mais où, là, le film nous projette vers le futur, un futur où la différence entre humains et non humains n’existerait plus. Dans le film « 2001, l’Odyssée de l’espace » (autre film génial), un bloc noir apparaissait soudain par moment pour marquer des mutations : l’espèce humaine surgissait ainsi, et à la toute fin, dans une chambre ultra-moderne habitée par un jeune couple heureux, le parallélépipède brusquement encore se montrait, mais le film s’arrêtait, nous laissant avec notre interrogation sur de quoi demain sera fait. La dernière mission de monsieur Oscar est du même esprit.
A Locarno, où il recevait un Léopard d’or pour son œuvre, Carax répondait aux questions d’Olivier Père (le directeur du Festival). Celui-ci lui demandait quels étaient ses rapports avec la beauté et il répondait : « Excellents ». On ne saurait mieux dire.
« Holy Motors », un film que je rangerai désormais dans la liste de mes plus beaux chef d’œuvres… dont je tente, allez, de faire la liste (on aime les listes):
- « Pierrot le fou » (Godard),
- « Paris Texas »,
- « Les Ailes du Désir »,
- « Par-delà les nuages » (Wenders),
- « Jonas qui aura vingt-cinq ans en l’an 2000 » (Tanner)
- « Nocturne indien » (Corneau)
- « Short Cuts » (Altman),
- « Apocalypse Now » (Coppola)
- « Mulholland Drive » (Lynch),
- « Eyes Wide Shut » (Kubrick)
- « In the Mood for Love » (Wong Kar-wai)
- « Dolls » (Takeshi Kitano)
- « Copie conforme » (Kiarostami)
plus récemment :
- « Incendies » (D. Villeneuve)
- « Une séparation » (Farhadi)
- « Le Havre » (Kaurismaki)
Remarque : film vu dans la salle du nouveau cinéma « le Mélies », à Grenoble, cinéma d’art et d’essai géré par la Fédération des Oeuvres Laïques…. Merci, la FOL ! puisque, visiblement aucune salle du circuit commercial n’aurait projeté ce film… Curieusement, cette salle faisait partie du spectacle, puisque celle qui est dans le film, au début, lui faisait écho, et puisqu’elle-même était visiblement équipée de tous les moyens modernes de projection numérique, ce qui montrait paradoxalement que bon ménage peut être fait entre cinéma d’antan (grand écran, fauteuils confortables…) et cinéma miniaturisé.
Pour le moins un sacré cinéaste ne sacralisant en rien les 25 images/seconde, Carax est actuellement à l’écran d’une centaine de salles obscures. Le festival de Cannes avait, paraît-il, été sérieusement secoué par Holy Motors. Il est temps que le public, celui qui « fait » aussi le cinéma, puisse croire ses propres yeux en se plongeant dans ce labyrinthe…
(P. 162 de mon blog, le 9 juillet dernier).
J’aimeJ’aime
oui, Cannes a « raté » Holy Motors, la palme est allé au film de Haneke, qui, à ma connaissance, n’est pas encore sorti en salle, il a intérêt à être bon, sinon…
PS: je vais aller tout de suite à votre article!
J’aimeJ’aime
Pas encore vu, mais je me souviens des Amants du Pont-neuf… Carax est un « vrai » cinéaste.
J’aimeJ’aime
bonjour,
Je n’ai pas encore vu ce film. Il était dans ma liste « à voir » …
Votre liste de chefs d’œuvre me donne envie de faire la mienne
– Nosferatu (Murnau)
– Le Plaisir (Max Ophuls)
– La règle du jeu (Renoir)
– Le jour où la terre s’arrêta (Robert Wise)
– Hush… Hush, sweet Charlotte (Robert Aldrich)
– Persona (Bergman)
– Casino (Scorsese)
– Une femme sous influence (Cassavetes)
– Le Sacrifice (Tarkovski)
– Crash (Cronenberg)
– Invasion Los Angeles (Carpenter)
plus récemment :
– Shutter Island (Scorsese)
– Another Year (Mike Leigh)
– Mélancholia (Lars von Trier)
🙂 on n’a pas les mêmes goûts !!! mais j’aime bien Godard et Kubrick aussi…
J’aimeJ’aime
bonjour k.role… j’ai fait ma liste en cinq minutes, elle n’est pas très réfléchie. J’ai oublié plein de films italiens, que j’ai adorés (Fellini, notamment Roma et Amarcord). Dans votre liste, j’avoue humblement qu’il y a certains films que je ne connais pas (Wise, Aldrich, Carpenter…). Mais je prends sans hésiter:
Tarkovsky, Mike Leigh et Lars von Trier (je n’ai pas encore vu Melancholia, toutefois).
Les derniers Bergman aussi étaient très fort (Sarabande)…
J’aimeJ’aime
Ah ! oui évidemment, les italiens… je les ai laissés de côté aussi…. mince… et pourtant quand j’ai découvert le cinéma de Rosselini ou celui de Pasolini : quel choc .. Fellini aussi mais moins percutant pour moi… mais bon .. une liste faite en cinq minutes c’est intéressant et révélateur… c’est comme ça que j’ai joué aussi 🙂 juste pour voir ce qui reste quand on a tout oublié 🙂
J’aimeJ’aime
eh oui, bien sûr! quand je pense que j’ai oublié « Théorème » dans ma liste…
J’aimeJ’aime
Je hais Lars Von Trier
l’ai rayé de mon visionnage à très long terme ; quand je serai très vieille, et presqu’aveugle, tant je consentirai (pas sûr) à aller voir de haut et avec des boules quies un de ces remugles, mais avec mon amoureux qui sera mon amant, après, on ira manger des mets délicats dans un japonais, des beignets tempura et des brochettes à la citronnelle. S’il préfère un libanais on ira au libanais ; s’il veut rentrer à la maison parce qu’il sera vieux et fatigué, on rentrera à la maison, c’est lui l’homme il décide, je le suis. Parfois, je lui ferai quelques caprices pour ne pas qu’il s’ennuie, à cent sous l’heure.
n’ai pas encore vu HM de Carax, peut rien dire, suis réduite au silence.
ai pas mal de trains de retard
suis incapable de faire une liste en cinq minutes
m’en fiche royalement, suis pas traumatisée.
se pose un autre problème dans les salles obscures : le numérique coûte moins cher que les bobines. Alors, ils renâclent à commander des bobines qui coûtent un bras, alors qu’un cd c’est pipeau.
En films contemporains, j’adore Louise Wimmer de Cyril Mennegun et j’adore un max Ne le dis à personne de Guillaume Canet. Comme ça, sans réfléchir. Et j’vais aller voir Laurence Anyways de Xavier Dolan, à ce qu’il paraît, un petit génie, traumatisé par sa mère, comme Almodovar ; cela aide au génie, semble-t-il.
Par le père, moins, cela rend aigri et caractériel, hystérique aussi, névrosé, psychorigide, & au pire, pervers : alors qu’un bon trauma par la mère et yop, vl’à l’génie qui transparaît illico.
Bonsoir Alain L. : pas de nouvelles, bonnes nouvelles !
Mon bonjour à votre épouse.
J’aimeJ’aime
à ce qu’il paraît, un petit génie, traumatisée par sa mère, comme ? ; cela aide au génie, semble-t-il.
Par le père, moins, cela rend aigrie et caractérielle, hystérique aussi, névrosée, psychorigide, & au pire, perverse : alors qu’un bon trauma par la mère et yop, vl’à l’génie qui transparaît illico.
J’l’ai passé, mon vent volcanique, au féminin, parité oblige (j’ai pas d’exemple, Carole peut-être, en aura ?)
J’aimeJ’aime
Bien, je ne tiens plus, cela m’obsède, virevolte, hante mes soirées, occupe mes nuits jusqu’à ce que la fatigue m’assomme bloum…
En un : Roublov, moine de son état, Andréi de son prénom. Je vivrai avec. Le film, pas le moine.
En deux : le festin de Babette. Elle c’est moi. Exilée, recluse, cuisinière. Son mec dans la cuisine ? En son absence. Ou bien, elle se perche sur le plan de travail, elle le regarde faire, ils mangent, rien d’érotique, du religieux : elle l’admire immensément quand il met des pommes avec les truites. Elle se dit in petto mais pourquoi, pourquoi pourquoi fait-il ça. Et puis, d’abord, pas de mec. Exil.
En trois : Fitzcarraldo. Depuis des années, de l’adolescence me semble-t-il, admiratrice impétueuse de Klaus Kinski et dingue absolue de Werner Herzog ou le contraire. Voudrai les deux comme maris. Comme ce n’est pas envisageable, a choisi la chasteté, par prudence, pour conserver sur le croupion quelques plumes.
En quatre, là c’est de la torture : je voudrai en quatre mettre tout le cinéma italien et en un du quatre vient Le christ s’est arrêté à Eboli mais j’ai hésité avec Parfum de femme et avec Mariage à l’italienne et je rajoute Les nuits de Cabiria de Fellini sinon Fellini viendra me tirer les pieds la nuit et je n’y tiens pas trop. Enfin, disons les trois ex aequo en quatre, et merdre, je ne peux pas les départager, plus le quatrième en joker.
En cinq juste après le cinéma italien, tout le cinéma espagnol et là je place d’abord Almodovar avec Volver, talonné par Luis Bunuel, un chien andalou.
En six je place tout le cinéma américain : je sélectionne au top ten, les Moissons du ciel de Terrence Malick, puis Le Bon, la Brute et le Truand, puis, Il était une fois dans l’Ouest, puis, j’en mets cinquante autres, des comédies des comédies musicales, des claquettes, des danses de groupe, des danseuses qui sortent du gâteau d’anniversaire.
Chez les anglais, en un Hitchcock en deux Monty python sacré graal. Là c’est le septième.
En huit, je redeviens raisonnable, je range L’étrange histoire de Benjamin Button.
En neuf Stanley Kubrick Barry Lindon.
En dix deux peplums avec Kirk Douglas Spartacus et Ulysse de Mario Camerini.
Ce jeu est cruel, mais je m’y suis soumise.
Carole et Alain L. Je ne vous ressemble pas (Carole je ne connais que votre premier film et l’aime +++ mais j’ai dû choisir -comme c’est KK j’adopte si vous n’y voyez pas d’inconvénient)(Alain L. j’en connais plus de chez vous, j’aime aussi +++ In the mood for love et d’autres aussi de votre liste, et du coup, je réalise que j’ai laissé de coté le cinéma japonais qui comporte pas mal de perles).
J’aimeJ’aime
oui! j’avais oublié Andreï Roublev dans ma liste de chef d’oeuvres, et puis « le premier maître » (Anton Mikhailov Khontchalonski), et puis, de Clint Eastwood: Million Dollar Baby.
J’aimeJ’aime