L’Europe est un continent magique. On roule sur un axe (disons le long du Rhône encore naissant, entre Martigny et Brigue), on se décale d’un cran (disons qu’on bifurque vers un col, ce pourrait être celui du Nufenen) et on découvre un nouvel axe, parallèle au précédent, mais traversant un pays chamboulé, qui n’a plus rien à voir avec l’autre. Les horizons enneigés, les vergers lourds de leurs fruits (ces mêmes vergers qui inspirèrent à Rilke un volume de poèmes), les châteaux forts germaniques (Valère et Tourbillon) ont été remplacés par des clochers romans, des champs d’oliviers, des collines ondoyantes qui partent vers le Nord de l’Italie. On file d’Airolo à Biasca sur une autoroute qu’on dirait italienne. A Biasca, on sort pour monter dans le val Blenio. On voit que la route moderne s’est substituée aux chemins tortueux d’antan en ce qu’elle passe à l’écart des villages, mais on peut entrer dans ceux-ci et on découvre alors, à deux pas de l’agitation automobile, des ruelles musicales et des maisons aux murs épais au bas desquels somnolent des chats angora.
Malvaglia est le premier de ces villages… un peu mort hélas en ce premier août (nous sommes encore en Suisse, et c’est jour de fête nationale), un café cependant ouvert, où une famille du coin s’est réunie pour l’apéritif. Shorts, décolletés, chemises béantes nous rappellent que nous sommes dans le Sud. Une rue centrale, pavée, fait le lien entre une petite place entourée de commerces et l’église Saint-Martin, du XIIIème siècle, la première de toute une série qui jalonne les sentiers de cette vallée, ornée de fresques gigantesques (représentant Saint-Christophe, du XVIème siècle).
Au-delà, à gauche, à droite, des petites routes grimpent vers d’autres villages aux noms chantants, Semione, Dangio, Acquarossa et, beaucoup plus haut, Olivone, centre de randonnées montagnardes, petite ville accueillante où se restaurer – à l’Osteria Centrale – avant l’attaque du col de Lucomagne (ou Lukmanier, ou Locomagno, selon la langue préférée en ce pays multilingue…), frontière avec le canton des Grisons (ou Graubunden). Camping à Acquarossa, lieudit Lottigna, au bord du torrent, le Brenno, qui va, plus bas, rejoindre le Ticino. Rejoindre le village en longeant la rivière, ce qui évite la route, par un sentier bordé de noisetiers, foulant l’herbe toute fraîche de rosée matinale avant, dès le centre de l’agglomération, de grimper à pieds sur les sentiers qui coupent à travers bois et collines en direction de la plus belle église romane de la vallée : San Carlo de Negrentino, « la » Negrentino, autrefois consacrée à Saint Ambroise – comme la basilique de Milan – du XIème siècle, agrandie au XIIème, à propos de laquelle on a parlé de « révélation » tellement elle s’avérait importante pour la connaissance de l’art roman.
« la fresque la plus intéressante, l’Ascension du Christ au milieu des apôtres, sujet plutôt rare dans la peinture de l’Europe occidentale, remonte probablement à la première moitié du XIème siècle (1050). On la considère comme l’un des plus anciens et illustres exemplaires de la peinture romane dans les régions au Sud des Alpes. Certains détails de style et d’exécution la rapprochent des fresques tout aussi précieuses de Saint Vincent à Galliano et de Saint Pierre de Civate en Lombardie et même des peintures carolingiennes de Munstair et des fresques romanes de Poitiers. L’influence orientale, si répandue en Occident à cette époque, apparaît dans un certain degré de « byzantinité » des personnages, dans la frise et dans les figures d’animaux ».
Ne pas oublier de demander la clé avant d’arriver sur place !
De la Negrentino, à pieds toujours, on rejoint le centre du bourg de Leontica, avec sa propre église – évidemment moins intéressante. Puis on descend en longeant la route vers Corzoneso, nouvelle église romane etc. etc. Les framboisiers accompagnent la descente jusqu’au bas de la vallée, avant que d’autres chemins, sous les arbres, nous fassent remonter, qui longent des ruisseaux malins, des oratoires au milieu des vignes et des châteaux en ruines (Serravalle) à proximité de bassins d’eau limpide d’où l’on verrait volontiers émerger des nymphes…
Sous l’empereur – qui – voulait – mettre – toute – l’Europe – à – sa – merci, et qui n’a pas laissé que de bons souvenirs là où il est passé, le Tessin devait donner 16000 soldats à l’armée et le val Blenio à lui tout seul dut en donner plusieurs centaines, lesquels… les malheureux, durent faire de force la campagne de Russie et lorsque ce fut la Bérésina, certains d’entre eux jurèrent que, s’ils s’en sortaient, ils organiseraient chaque année en leur village une procession commémorative. Cette dernière existe toujours, prix désormais à payer au floklore, certes, mais dont de géantes photographies anciennes nous rappellent l’existence.
Le Tessin est également connu pour ses architectes contemporains (dont Mario Botta…)
photos: de haut en bas:
- – San Martino di Tours, église de Malvaglia,
- – San Carlo di Negrentino, Progiasco
- – Intérieur de S. Carlo di Negrentino
- – Extérieur d’une des absides
- – toit à Progiasco
- – San Giovianni Battista, Leontica
- – San Pietro, Ludiano
- – San Remigio, sur la commune de Corzoneso
- – ruines du château de Serravalle
- – photo de milice historique à Corzoneso
- – maison moderne à Corzoneso
Une sorte de cinéma « Paradisio »… Le chalet moderne (dernière photo) est très beau.
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oui, on aimerait y habiter. Chose surprenante: le nombre de chalets et maisons à vendre dans cette vallée, qui, par instant, donne l’impression d’un certain abandon.
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