Le Sir Sir la est le dernier grand obstacle sur le chemin de Wanla. La dernière pente est raide. Je me hisse au sommet avec énergie. Souvent en ces moments d’effort, je pense à des exploits sportifs, ça m’aide. C’est à ça de positif, je crois, que peuvent servir les spectacles sportifs, l’image d’un athlète ou d’un joueur qui se transcende devient le symbole de l’effort dont on est toujours capable s’il nous reste un peu de détermination, de courage, d’envie de vaincre. Mais aussitôt suis-je arrivé, déception : ce que nous trouvons au col, c’est tout bonnement une route !
« La » route, celle que l’on construit au Zanskar depuis des années, et qui devrait servir comme moyen de communication directe avec Leh, la capitale. A quatre mille cinq cent mètres d’altitude, voire plus, d’énorme engins ultra-modernes creusent le rocher et nivellent le sol pour ouvrir la voie à ce qui sera bientôt un troisième accès routier à Leh, le seul passant par le Zanskar. On peut être surpris d’autant de moyens dépensés, surtout si l’on croit naïvement que c’est juste pour désenclaver les quelques milliers d’habitants qui vivent dans ces villages reculés et isolés du reste du monde neuf mois sur douze. En réalité, il y a aussi un intérêt stratégique à la construction de ces routes. Celle qui va de Manali à Leh passe trop près de la frontière chinoise… et celle qui vient de Srinagar passe trop près de la frontière pakistanaise. Pour des raisons de défense, il est donc important qu’il y en ait une qui passe loin des deux frontières, donc soit médiane. Et évidemment, la population voit là un moyen de se relier à la capitale sans avoir à passer par les régions musulmanes toujours redoutées et objectivement peu sûres. Les routes sont financées par la Banque Mondiale, le contrat stipule que les fonds ne seront accordés que durant une période de trois ans ( !), pas question donc de tergiverser et de mollir : les travaux doivent être faits. Ceci contraste avec la fameuse route que nous avons prise pour arriver à Padum, venant de Kargil, toujours dans un aussi mauvais état depuis cinquante ans malgré, nous dit monsieur Dorjay, les millions de roupies (pardons, les « lakhs ») attribués par le gouvernement central afin de l’améliorer… évidemment millions de roupies détournés, remplissant les poches des dirigeants politiques de Kargil.
A terme donc, Padum, mais aussi Lingshed et Photoksar devraient sortir de leur isolement. Mais nous a dit M. Sonam Dorjee, à la Lamdon School de Padum, il ne faut pas rêver : de telles routes vont nécessiter un entretien énorme et pendant l’hiver, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles soient, par enchantement, libres de neige. A moins que l’armée, comme toujours, y mette les moyens… Où que nous allions, nous retrouvons finalement cette même présence de l’armée indienne désormais enracinée au sein de la vie des ladakhis. L’armée qui protège des invasions, l’armée qui sauve des inondations, l’armée qui construit et entretient les routes.
Rien sans l’armée, donc ? mais rien non plus sans l’apport des travailleurs venus en général du Bihar (l’Etat le plus pauvre de la fédération indienne) qu’on croise comme des fantômes au bord des routes goudronnées et qui sont là justement pour étaler l’asphalte, dégager les éboulis, combler les trous. Travailleurs en famille. Les femmes trimballant des pierres plus lourdes qu’elles. Parfois suivies de leurs enfants emmitouflés dans des chiffons de fortune, les pieds eux-mêmes dans des chiffons, suant et toussant sous la surveillance de soldats.
Hanupatta
La rumeur de la construction de ces routes n’est pas tombée dans l’oreille de sourds. Lorsqu’après Hanupatta (charmant village, où l’on passerait bien ses vacances…), nous nous arrêtons en bordure de la fin de portion de route achevée, à une « tea shop » installée sous un vieux parachute, nous sommes rejoints par un luxueux 4×4, avec à son bord un lama et une dame en habits de ville, agitant ses bagues et allumant sa cigarette, qui ne nous salue pas particulièrement mais qui, au bout d’un moment où elle s’est rongée les ongles, anxieuse, vient brutalement à nous et nous demande en parfait français, accent parisien en sus, si nous n’avons pas une carte de la région ( !), « afin, nous dit-elle, de voir où en est la construction de la route. Car elle aimerait savoir, elle, représentante d’une grande agence de voyage franco-indienne, si elle peut dès l’an prochain amener des touristes en voiture au moins jusqu’à Photoksar…
Ce qui me plaît aussi, c’est ce nom : Photoksar.
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eh bé, c’est sinistre, c’est donc fini ; ce que vous avez vécu est une dernière. Être baigné par le Zanskar grâce à votre épouse, croiser des moines et des enfants facétieux, marcher au sein de paysages incroyables.
J’ai trouvé dans Giono, pour vous, in Le bonheur fou, vers la fin,p. 527, un autre moyen, que les noyaux de pruneaux pour lutter contre la soif en activant les glandes salivaires, c’est prendre un bout de cigare et le chiquer.
Non, dit Angelo, je ne suis pas de Castelnuovo, et je fais une petite promenade de santé parce qu’il fait beau et que le pays me plaît. Je n’ai pas un sou mais je vais te donner des débris de cigare : chique-les, ça enlève la soif. C’est ce que je fais.
Ici, chez moi, mais les gens sont équipés de tracteurs, dans une vallée reculée (rien à voir avec ce que vous nous montrez), il n’y a pas de service de la D.D.E etc.pour déneiger. Alors ce sont les autochtones ( je ne sais pas comment les qualifier, un peu doués, ou dévoués, ou autonomes ou responsables, je ne sais pas) qui prennent en charge les autres en déneigeant les chemins communaux, parfois en prenant des risques. Et ils savent par cœur : où il y a une femme seule, ou une autre enceinte, ou un très âgé ; ils sauvent même les vaches abandonnées dans les pâtures sous la neige, c’est vous dire. Un* l’a bien raconté cette histoire que je sais vraie.
* http://calounet.pagesperso-orange.fr/resumes_livres/bucher_resume/bucher_ciel.htm
J’aime à imaginer que là-bas, lorsqu’ils seront pourvus de véhicules adéquats, ils n’auront plus besoin de l’armée mais se dépatouilleront seuls.
Autarcie.
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