Les lectures du Jardin du Luxembourg

Contrairement à ce qui est dit dans l’avant dernier billet, sur ma chaise du Jardin du Luxembourg, même si j’ai un peu dormi, je le concède, je n’ai pas rêvé de faits divers politiques. Je lisais. Un livre pour lequel je m’y suis remis à deux fois, afin de le savourer, bien entendu, de n’en pas perdre une miette, mais aussi parce que je l’avais lu trop vite en première lecture. L’envie de lire ce roman – car c’est un roman – m’est venu de voir en vitrine de librairie le dernier ouvrage de Nicole Krauss, romancière américaine, un livre attirant mais, me suis-je dit, tu ne vas quand même pas l’acheter alors que tu n’as même pas lu le premier, maintenant en collection de poche.

Le premier roman de Nicole Krauss s’intitule « Histoire de l’amour ». (Une fois où j’avais pris de grandes résolutions : lire les romans anglophones dans la langue où ils ont été écrits, je me suis même procuré la version anglaise. « The History of Love ». Mais j’ai lu la traduction – shame ! -) .

 « Histoire de l’amour », voilà bien un drôle de titre me direz-vous. De quoi intriguer. Surtout que la façon dont ça commence – un vieillard toussoteux qui ne bouge qu’à l’intérieur de sa minuscule chambre d’un immeuble New-Yorkais – ne respire pas d’emblée les belles histoires d’amour. Et pourtant c’en est une. C’en est deux, c’en est dix, c’en est de multiples. Comme si ce livre s’appropriait cette pensée d’Eluard selon laquelle probablement sans la poésie, et par extension sans la littérature, il n’y aurait tout simplement pas d’amour (« Tant de poèmes d’amour sans objet réuniront, un beau jour, des amants« ). Car le héros de ce livre est un livre.
Et qui justement s’appelle… « Histoire de l’amour ». Il fut écrit, ce livre, par le petit vieux crachotant, Polonais et Juif d’origine, qui quitta par chance son village de Slonim quand les nazis déjà étaient à sa porte. Léopold Gursky, puisque tel est son nom, traversa ainsi l’Atlantique, fermement décidé à rejoindre celle qui l’avait devancé dans ce voyage plusieurs années auparavant et qu’il aimait depuis l’âge de dix ans. Alma. Voilà le nom de l’héroïne. Un nom qui flotte au gré des pages et finalement se pose sur une autre fille, une contemporaine, celle-là, qui doit avoir une quinzaine d’années.

La seconde Alma est la fille de Charlotte Singers, veuve d’un monsieur qui jadis lui offrit… « l’Histoire de l’amour », qu’il avait vu à la vitrine d’une librairie de Valparaiso (les livres, les traductions, les vitrines, les librairies, on n’en sort jamais), et ainsi de suite… Un jour, Charlotte reçoit une lettre d’un certain Jacob Marcus qui lui dit qu’après avoir lu dans une introduction qu’elle a écrite, une allusion à ce roman unique (unique autant par l’exemplaire que par le contenu), il souhaiterait qu’elle le lui traduise.

Elle lui traduit donc ce livre, qui a en réalité pour auteur Léopold Gursky, bien qu’il ait été réécrit par un compatriote émigré au Chili. Et au fur et à mesure qu’un livre se détricote, un autre surgit, système de vases communicants qui aboutit, à la fin, à ce que le temps s’anéantisse et que les époques et les Alma se télescopent.

Un livre loin des  turpitudes du temps.

Oui, je lisais ça un jour, entre midi et deux heures, sur une chaise du Jardin du Luxembourg.

Bien plus tard, ce même jour, je me décidai d’aller au cinéma afin d’y voir « La solitude des nombres premiers », film de Saverio Costenzo d’après le roman de Paolo Giordano. Encore une curieuse histoire d’amour, entre deux êtres traumatisés chacun par un accident tragique. Le titre est expliqué : les nombres premiers, qui ne sont divisibles par aucun nombre hormis eux-mêmes et l’unité, sont des singularités. Mais parmi toutes ces singularités, il en est d’encore plus singulières : celles qui sont fournies par les « nombres premiers jumeaux », comme 11 et 13, ou bien 17 et 19, ce sont des nombres premiers qui, en même temps sont consécutifs, au sens où seul un nombre pair les sépare. Ainsi sont-ils jumeaux et pourtant ne peuvent jamais se toucher. C’est le thème du film. Merveilleusement joué (Alba Rohrwacher fait penser à Isabelle Huppert au mieux de sa forme, comme dans « La Pianiste »). Un seul regret : le son trop fort, les effets trop violents, trop spectaculaires. On rêve de ce qu’un Bresson, il y a quarante ans, aurait pu faire d’un tel scénario.

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2 commentaires pour Les lectures du Jardin du Luxembourg

  1. Lali dit :

    Alain,

    J’ai tout aimé dans ce billet, surtout votre façon de raconter.
    Mais je retiendrai surtout ceci : le bonheur de lire au Luxembourg… Chose que je n’ai pas faite depuis juin 2005!

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  2. michèle dit :

    et les bateaux du jardin du Luxembourg ?

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