[Adam Elsheimer, Aurora, 1606-1607, peinture sur cuivre, 17 x 22.5 cm, Herzog Anton Ulrich-Museum, Braunschweig]
Au début du 17ème siècle, Rome devient la ville où les énergies picturales se concentrent. On accourt de tous côtés, de Flandre, d’Allemagne, de France et même d’Espagne (Velasquez). On y rencontre les peintres venus de Bologne comme Annibal Carrache, et on s’émerveille des paysages que Raphaël a peints en arrière-fonds de ses sujets religieux. Le paysage s’érige peu à peu en thème à part entière de la peinture. Les styles se mélangent, ceux rugueux et austères du Nord, et ceux, plus suaves, du Sud. Les gens qui se rencontrent dès 1600 ne vont pas sur le motif, ne plantent pas encore leur chevalet au coin des bois, ils travaillent sur esquisses et surtout, ils se sentent libres d’inventer les paysages de leurs vœux. Ainsi trouvera-t-on une tour de Bologne en un bien curieux emplacement, avant que le grand Claude le Lorrain lui-même n’installe les bâtiments du Capitole… en bord de mer. Autrement dit, le paysage est un type idéal, d’où le titre de cette magnifique exposition qui a lieu en ce moment au Grand Palais : « Nature et Idéal ».
D’Annibal Carrache, justement, on retient cette huile sur toile grand format prêtée par la National Gallery of Art de Washington : paysage fluvial, daté de 1599. Au loin, les monts bleutés, avec une ville blanche qui pourrait être une ville latine autant que byzantine, précédée d’un grand lac de montagne, lui-même bordé d’herbes sauvages. Les arbres ont le feuillage qui tremblote dans une lumière légèrement mordorée. Les personnages sont réduits à leur juste place face à la nature, ce sont des hommes et des femmes des champs, aux gestes paisibles. Ceci pourrait être assez morne comme vision, mais le peintre a ce coup de génie de barrer tout ça d’un tronc en gros plan, bien noir, qui coupe la toile obliquement. Présence de l’arbre qui nous catapulte dans la représentation d’un bonheur idyllique.
Parmi les artistes flamands, citons Paul Bril, spécialiste des ports et des grandes nefs commerciales, qui est venu à Rome, lui aussi, et a peint cet autre magnifique paysage qui, lui, se distingue par ses masses équilibrées, la plaine et les monts bleutés du lointain n’étant perceptibles que dans la mince échappée entre arbre touffu et rocher imposant, surmonté (comme c’est souvent le cas) d’une fortification. Bizarrement, Rubens est passé par là et y a ajouté sa patte, sous la forme du motif mythologique et des surprenants deux arcs en ciels jaillis du brouillard des gouttes de la cascade.
Mais le temps fort de l’expo, enfin ce vers quoi tous les trajets suggérés orientent, c’est bien sûr l’apport définitif à l’art du paysage de Nicolas Poussin et de Claude Lorrain. Jeux de lumière, travail sur la couleur, jeux avec le motif du tableau : on trouve tout cela dans la célèbre toile « Port avec Ulysse remettant Chryséis à son père ». Cela date de 1644. Ulysse et Chryséis… vous pouvez les chercher longtemps. Ils sont tout petits et perdus dans la foule sur le grand escalier de marbre qui conduit à l’entrée du monument, à gauche du tableau. Mais surtout, là, le truc, c’est d’avoir mis la nef juste dans l’axe du soleil, donnant effet de contre-jour. Nous ne sommes pas éblouis mais nous pouvons profiter de tout ce que l’éclairage solaire fait du clapotis des vagues et des vêtements des marchands sur le quai, au premier plan.
[Goffredo Wals, (1595 (?) – 1638 (?)), Route de campagne, avec une maison, vers 1619‑1620, Huile sur cuivre, D. 24,5 cm, Cambridge, The Fitzwilliam Museum]
Très belle exposition, qui rassemble des écoles, des peintres de toute l’Europe sur une tranche d’histoire pendant laquelle Rome s’est mise de nouveau à resplendir. Comme dit Jean-Marie dans un commentaire récent, c’est plus intéressant que ces « hagiographies de monstres sacrés » où l’on apprend finalement peu de choses…
et c’est aussi une programmation courageuse, une chance à savourer
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oui, et cette semaine, je vais y retourner pour encore mieux savourer, après un peu de recul!
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