Moines et militaires

 

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Dominique Hasselmann avait raison , « Des hommes et des dieux », le film de Xavier Beauvois, est un très grand film, sur lequel passe un souffle d’humanité immense, un film que tout le monde devrait voir. Le réalisateur a tourné au Maroc mais les paysages sont sensiblement les mêmes que ceux d’Algérie. Je connais un peu ce pays pour y avoir été coopérant civil à la fin des années soixante-dix (pendant deux ans). Je me souviens des routes sur les haut-plateaux, du côté de Tiaret, semblables à celle où l’on voit, dans le film, des files de voitures arrêtées par le dernier attentat sanglant : les corps égorgés s’échelonnent sur les bas-côtés pendant que les militaires kakis indiquent, d’un geste du canon de leur mitraillette, aux conducteurs venus en sens inverse de circuler. La petite église, les locaux pauvres qui renferment les quelques chambres des moines respirent le recueillement et l’humilité. Je lis sur un blog fort intéressant que les deux survivants ont élu domicile dans un monastère semblable, au Maroc, à Midelt. La photo montre exactement le même genre d’église.
Je ne suis pas croyant, mais j’ai été ému quand, survolés par un puissant hélicoptère venu les intimider, les moines se regroupent pour un cantique en tentant de chanter plus fort encore que le bruit des pales. Qui de l’esprit ou de la force brutale gagnera ? on sait hélas que dans l’histoire, c’est la force brutale qui gagne. Mais à long terme ? On peut prendre des paris… on ne le saura jamais. La foi, c’est peut-être justement ça : être quand même prêt à parier pour l’esprit. Xavier Beauvois met en place les images, aménage le récit avec grand art : à la fin tout culmine vers un dernier moment de joie intense avant l’apocalypse. Cette fois, ce n’est plus un cantique qui fait monter les larmes aux yeux : c’est le Lac des Cygnes, mais peu importe que la musique soit sacrée ou profane, on comprend que la dignité humaine dépasse les oppositions factices.
En plus d’être si plein d’humanité, le film est habile (dans une bonne acception du mot) car il nous laisse sur nos questions, reste seulement suggestif quant aux responsabilités. Bien sûr, le wali insiste pour qu’ils partent, mais le GIA est une menace réelle. Bien sûr, les islamistes sont d’odieux assassins (on les voit égorger les travailleurs croates d’un chantier), mais les militaires n’inspirent guère confiance.
C’est si l’on cherche un peu sur « la toile » qu’on va rencontrer des témoignages, des reportages qui vont nous permettre de nous faire une idée plus précise. Le film ne montre pas (il n’en a pas le temps) qui sont vraiment ces religieux. Qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? pourquoi ont-ils choisi de venir ici ? Il existe un document où l’on peut voir parler le vrai « frère Christian » (admirablement joué dans le film par Lambert Wilson). Il s’y montre non seulement homme de foi mais aussi analyste politique. Du reste il fait partie de ceux qui ont soutenu l’initiative de la communauté de San Egidio, qui réussit, en plein dans les années les plus sombres, à réunir toute l’opposition algérienne, du vieux FLN au FIS, sur une plateforme commune qui aurait pu parvenir à une cessation des hostilités bien plus tôt qu’il n’en a été. Cela n’était pas du goût du régime en place. Le film ne raconte pas tout cela parce qu’il a un autre but, on ne saurait le reprocher à Xavier Beauvois.

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8 commentaires pour Moines et militaires

  1. Gnouros dit :

    J’ai également vu ce film hier (j’en attendais beaucoup), mais j’en ai été plutôt déçu.

    Premièrement, d’un point de vue narratif, j’ai trouvé l’action très lente, trop lente. Le film ne se contente que de délayer quelques faits pour tenir la longueur, à les étaler comme on tartine de la confiture lorsqu’on en a peu, au point qu’au final, il n’y a plus qu’une soupe sans rien de consistant que l’on hésite à boire.

    Deuxièmement, ce qui m’a gêné est justement ce que vous avez apprécié : le point de vue qui ne tranche pas, que tout n’est pas noir ou blanc, que les choses sont toujours plus complexes qu’elles en ont l’air. À l’évidence, ceci est vrai : mais dans le cas de ce film, on y aboutit non pas par surcroit d’information, mais par défaut ; le jugement n’est pas suspendu a posteriori, après analyse fine de la réalité, mais presque a priori, dans un œcuménisme bon ton. La dimension politique ne fut pas suffisamment traitée à mon goût.

    Cependant, reste finalement quelque chose d’intéressant sur le plan quasi-ethnologique sur ce que pouvait être la vie de ces moines, de ces hommes ayant décidé à la fin du siècle dernier de continuer à se conformer à la règle de St Benoît.

    Je suis insatisfait, mais sans doute le suis-je avant tout parce que j’attendais autre chose du film.

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  2. alainlecomte dit :

    @Gnouros : évidemment je ne suis pas d’accord avec vous. On ne eput attendre d’un tel film qu’il soit un « film d’action » au sens classique du terme. Pourtant de l’action violente, il y en a, elle nous saute au visage d’autant plus qu’elle se détache sur un fond de calme et d’attente (les tâches de sang sont toujours plus visibles dans la neige que sur la terre mouillée). Et puis, il n’y a pas que l’action, au cinéma, il peut y avoir aussi un cinéma de réflexion. De ce point de vue, le film de Beauvois est très dense. Je n’en ai pas parlé dans mon billet, j’aurais du. Car les moments forts du film sont les nombreux dialogues entre les moines sur le thème « faut-il rester » ou « faut-ile ne pas rester ». A ce niveau d’intensité, la pensée se fait action.
    Maintenant, sur les responsabilités du massacre… il est heureux que le film ne se mue pas en une mise en accusation d’un camp ou de l’autre: il perdrait singulièrement de sa hauteur.
    ce film montre ce que c’est que la foi, je peux d’autant mieux le dire que je ne suis pas croyant, mais je crois que chacun de nous, même non croyant, a une certaine idée de la foi, au sens où j’ai essayé de la définir dans ce billet.
    Essayez de voir ce film sous cet angle.

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  3. carole dit :

    c’est curieux car on croirait que Alain et Gnouros ont rêvé le même film, que l’un a vu son rêve se réaliser sous ses yeux, et l’autre pas.

    Je ne sais pas comment j’ai vu ce film. il ne m’a pas beaucoup parlé, il était là-bas dans un monde qui ne me touche pas (non pas le maroc) mais la construction du film. Un monde cinématographique. je veux dire…. j’aime la manière document même si c’est de la fiction. je suis déçu du côté très convenu du traitement… ça reste anecdotique, et « jouer »… trop ou pas assez de distance par rapport à son sujet.. bof, quand je sais plus quoi dire, je dis : « je n’étais pas dedans »… bah ! c’est pas toujours la faute du film…

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  4. jmph dit :

    D’accord avec toi, Alain : « Des hommes et des dieux » est un très grand film. Je suis allé le voir un peu méfiant, du fait de l’adulation quasi-générale dont il a fait l’objet. Cette méfiance s’est évanouie dès les premières minutes du film. Sur le fond, j’ai beaucoup apprècié l’absence de prise de position tranchée puisque rien n’est avéré. Sur le fond aussi, la présence des moines au sein de la population est montrée avec infiniment de délicatesse, sans tomber dans les excès du cliché des « pauvre gens aidés par des saints ». Encore sur le fond, les discussions au sein de la communauté, les oppositions, même largement tempérées par le respect mutuel, sont montrées sans fard. Tout lieu où plusieurs êtres humains sont rassemblés est un lieu où le pouvoir est en jeu. J’arrête de faire la liste de tout ce que j’ai aimé, ce serait trop long.
    Juste deux dernières choses :
    – je n’ai pas aimé la choix du Lac des cygnes, non parce que c’est une musique profane mais parce que cette musique très (trop, à mon goût) démonstrative donne un côté quasi-hollywoodien à cette scène qui pouvait se passer d’un tel excès et pour être honnête, je n’aime pas beaucoup la musique russe)
    – la dernière image des moines s’enfonçant dans la forêt sous la neige dans le silence de leurs pas assourdis est une des images les plus fortes que j’ai jamais vues au cinéma.

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  5. alainlecomte dit :

    Le Lac des Cygnes nous surprend d’autant plus que la bande annonce, passée régulièrement à la radio et dans les cinés depuis plusieurs semaines, nous laissait attendre et entendre… la septième de Beethoven!

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  6. @ alainlecomte : merci de m’avoir cité, mais je ne suis pas vraiment, si j’ose dire, « parole d’Evangile » !

    Les paysages marocains vous auront rappelé des souvenirs, même si le film n’a pu être tourné en Algérie pour des raisons que l’on devine.

    Juste un point : vous parlez des « deux survivants » qui sont mentionnés sur le blog que vous mettez en lien.

    Mais quand j’ai entendu l’autre dimanche matin l’émission de France Inter à laquelle je fais allusion sur Le Chasse-clou, il était mentionné que l’un d’eux était, hélas, décédé depuis qu’avait eu lieu l’enregistrement original de leur interview.

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  7. alainlecomte dit :

    @DH : oui, en effet, il n’en reste plus qu’un, mais l’autre est mort de sa « belle » mort, si on peut dire.
    Non, pas parole d’évangile… mais ça fait du bien de se faire des petits renvois de temps en temps 🙂

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  8. jmph dit :

    Oui Alain, comme j’avais vu au moins 10 fois la bande annnonce, je m’attendais à entendre la 7ème de Beethoven, autre morceau très « chargé » émotionnellement. Bah…. c’est de la même eau, non ?

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