Le dernier film d’Abbas Kiarostami, Copie conforme , présenté à Cannes et où s’illustre la belle Juliette Binoche arrive assez bien dans la discussion poursuivie sur ce blog à la suite de mon dernier billet qui touchait, de près ou de loin, à l’éternelle question des rapports entre les hommes et les femmes. On y voit deux personnages, l’un joué par Juliette et l’autre par un certain William Shimell, chanteur d’opéra de son état, qui se disputent avec larmes, colère et passion en se jetant à la figure tous les clichés en général accolés au fait d’être un homme, au fait d’être une femme. La femme est délaissée, souffre de ne pas être « vue », l’homme est absent, plus préoccupé de son travail que de sa vie familiale (« ma famille vit sa vie, moi, je vis la mienne »). Banal. Ce qui l’est moins c’est qu’ils ne sont nullement mari et femme… ils JOUENT à être mari et femme. Ce film est donc une démonstration que tout est affaire de rôle et non « d’essence ». Le point de basculement de l’histoire a lieu dans un petit café de Toscane où les deux personnages, lui, universitaire anglais venant de publier un livre sur la notion de copie en art, et elle, propriétaire de galerie complètement émoustillée de se promener en compagnie d’un grand homme, prennent un grand café et un capuccino. Il sort pour répondre au téléphone. Elle se trouve seule en compagnie de la patronne, aimable dame âgée qui entame la conversation et révèle qu’elle croit que lui et elle forment un couple marié depuis de longues années [intéressant exercice de mise en scène : ce qui m’a surpris c’est que le moment où les choses se décident est un moment « aveugle » du film : la dame du bistro, littéralement, bouche l’écran… on ne « voit » rien !] La femme ne rectifie pas, et en riant elle raconte la méprise à son compagnon. A partir de là, sans un mot, les deux décident de jouer leurs rôles. S’ensuit un jeu de mise en abîmes vertigineux où la discussion sur la relativité de l’original et de la copie se superpose à un affrontement d’images et de reflets d’images. Moment savoureux que celui où passe sur la place du village un couple âgé, lui étant joué par Jean-Claude Carrière. [Là encore, nous avons un jeu de mise en scène intéressant : au début de la séquence, on ne voit que le vieil homme, de dos, qui hurle des propos péremptoires à l’adresse de quelqu’un qu’on ne voit d’abord pas, puis que l’on voit : probablement sa femme, muette, qui accepte sans broncher des paroles dures, mais on réalise vite qu’il est en train de téléphoner et que ces propos s’adressent à une personne que nous ne verrons jamais. On devine le couple « illégal » et une conversation énervée avec la « légitime ». Jeu des apparences encore.] Ce sont ces deux personnes que Juliette Binoche décide de prendre à témoin au sujet du jugement à porter sur une sculpture qui orne la place. Elle obtient de la femme, semble-t-il, le commentaire qu’elle souhaite obtenir et elle appelle son pseudo-mari pour qu’il entende… ce que la femme ne veut plus dire puisqu’entre temps, les présentations ayant eu lieu, elle a appris que ce bel homme était un spécialiste des notions de patrimoine, donc elle lui parle en termes de ce qu’elle croit être le patrimoine… Pendant que les deux femmes discutent, le vieil homme – Jean-Claude Carrière, donc – prend notre professeur anglais à part et après quelques précautions oratoires, se croit autorisé à lui révéler ce qui, à son avis, ne va pas dans le jeune couple. Il manque les gestes appropriés. « si vous lui posiez simplement la main sur l’épaule comme ça, vous verriez comme ça irait mieux ». Quand l’anglais et la française (car le personnage de Juliette Binoche est censé être une française vivant en Italie depuis cinq ans) entrent dans un petit restaurant, on le voit, lui, mettre la main sur l’épaule de la femme comme il a entendu qu’il fallait le faire.
Ainsi, tout est pré-réglé, programmé dans nos vies (c’est en tout cas ce que suggère le film), tout n’est que jeu de gestes appris ou apprenables, rôles plus ou moins connus. Tout est mise en scène. « Copie conforme » est ainsi la mise en scène d’une mise en scène, mais qui se déroule déjà au sein d’une mise en scène initiale. Tout devrait donc se délier comme cela s’est lié, sans heurts et par un « sain retour à la réalité ». Il n’en est rien. A l’image finale, c’est lui, qui est, des deux, celui qui nous apparaît le plus ravagé.
Ce film est-il désespéré ? N’y a-t-il ni liberté, ni authenticité dans les jeux de l’amour ? Dans nos vies, nous n’avons pourtant pas l’impression de jouer. C’est probablement que les structures de la subjectivité nous jouent sans que nous n’en ayons conscience. Une telle phrase ferait probablement grincer des dents à bien des commentateurs. Et la liberté ? Elle ne peut bien sûr être que dans la transgression des rôles assignés (même infime, même invisible au quotidien)… ce qui ne veut pourtant pas dire que nous ne jouons pas encore d’autres rôles.
En somme, ce film, c’est du Goffman ?
C’est marrant votre très bonne recension me fait un effet bizarre: je ne sais pas si j’ai envie de voir ce film ou pas…
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Artifices.
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à vous lire, à y repenser, sans avoir vu, encore, le film me souvient ce court métrage de Kiarostami, la vague. Un seul plan séquence, mais en le questionnant, il a répondu qu’il a tourné sur plusieurs jours, puis fait les raccords parfaits.
Cela semble obsessionnel dans son travail, le temps qui passe et la répétition, et en filigrane l’inanité du reste, donc de l’agitation.
J’ai cherché, je n’ai pas trouvé de copie pour vous, mais la caméra est axée sur un morceau de bois immobile, qui est posé sur un rocher, et la caméra filme l’avancée et le recul de la vague qui viennent déplacer le bout de bois.
Pour le virer, le rejetter dans la grande mer.
C’est lancinant, c’est répétitif et on attend.
Le lien avec votre billet sur le couple, qui me hante, c’est l’aspect mascarade et l »inéluctabilité du temps qui s’écoule, interminable, mortel.
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il y a les rôles.. et la représentation ! on se cherche une « vraie » nature : (de femme, d’homme) mais nous sommes des êtres sociaux, et il est impossible de faire le tri entre l’inné et l’acquis. Je me demande quelques fois pourquoi il faudrait s’en affliger… La seule liberté possible est celle qui consiste à le reconnaitre, à l’intégrer et à le vivre pleinement, on dit « jouer un rôle » : ça peut donc être amusant !!!
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c’est bizarre ce que j’ai écrit … comme si le fait de jouer son rôle en sachant que l’on joue pouvait nous libérer. En fait nous sommes peut-être pris au piège d’une représentation perpétuelle dans un monde d’apparences et de faux-semblants. La vie et le cinéma ne pourrait plus se distinguer l’un de l’autre…. vu sous cet angle le film semble poser une question intéressante sur notre société du « spectacle » qui nous aurait tous contaminé en quelques sortes. à voir…
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>Carole
pouvait nous libérer, ou sert à nous protéger ?
Depuis votre com. je pense à Bernard, l’ermite, dans sa coquille tarabiscotée.
Il y a un film La rose pourpre du Caire où l’actrice sort de la toile et vient s’asseoir dans la salle, ceci dans le film bien sûr. C’est une mise en abime, comme la toile* de Dali sur Gala devant le miroir
* http://www.universdali.com/oeuvres/tp7_1.html
la représentation, et les artifices
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oui je suis dans ma coquille et je ne veux pas en sortir ! j’ai trop peur de me retrouver nue en quittant mon rôle (ou mon costume) social. et même s’il est trop petit ou trop grand pour moi, je le garde : car effectivement il me protège, . Et c’est sans doute utile de ce point de vue.
Excusez-moi Michèle mais dans la Rose pourpre du Caire je crois bien que c’est l’acteur qui quitte son rôle pour se retrouver dans la vraie vie parce qu’il tombe amoureux de la spectatrice (Mia Farrow)
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