A propos d’un film de Claude Chabrol

claude-chabrol211157.1191577817.jpgJ’ai trouvé mauvais le dernier film de Chabrol (« La fille coupée en deux ») : dialogues insipides, situations stéréotypées, jeux d’acteur indigents. Ennui total au bout de dix minutes. Et pourtant… même dans la pire œuvre, on peut trouver des traces de pépite. Elles apparaissent ici, ces traces, dans les scènes proches de la fin. Attendez que je vous narre un peu cette histoire (sa banalité fait que vous n’en serez pas gêné si vous avez décidé d’aller voir le film).lafillecoupeeendeux.1191577920.jpg

Un écrivain célèbre, la soixantaine bien tassée, (Charles), drague une minette de trente ans plus jeune que lui (Gabrielle) supposée être dans l’air du temps, en réalité une godiche de première. Ladite Gabrielle est courtisée par Paul Gaudens, un jeune rejeton de « la haute » (comme disait mon grand père), dont la famille, qui a fait fortune dans l’industrie pharmaceutique, fréquente ce que la ville de Lyon compte d’importants : archevêque, général, politiciens éminents. La jeune beauté tombe amoureuse (« raide dingue ») de l’écrivain (on n’écrit de toutes façons que pour séduire, n’est-ce pas ?) qui, le beau salaud, en profite et ne lui demande pas que de jouer des scènes d’amour romantique, mais, afin de renflouer sans doute ses ardeurs vacillantes, de l’émouvoir à coups de mises en scène scabreuses (sadisme, fétichisme etc.). Au bout d’un certain temps, le barbon, face aux risques de difficultés conjugales (il tient à son confort affectif), préfère prendre lâchement le large et la naïve Gabrielle se retrouve avec ses yeux pour pleurer. Mais, lui dit sa maman, il y a le beau Paul, qui, de plus, est un beau parti (pas folle la maman) et qui continue de soupirer à la porte. Elle se laisse convaincre, emmener en voyage à Lisbonne, et l’épouse. Le gaillard gommeux se rendant compte des savoirs grivois acquis par sa belle au cours des jours et des nuits passés en compagnie de l’écrivain, en conçoit une jalousie maladive à l’égard de celui-ci. Tellement qu’il l’assassine en public ! Ouf, c’est maintenant que commence le film ( !)… La mère de la famille bourgeoise (comment l’appeler : la baronne, la douairière, la châtelaine ?), jouée par Caroline Sihol carolinesihol.1191578120.jpgveut évidemment faire diminuer le scandale. Pour cela, il faut sacrifier la fille (sa belle-fille donc, en principe, maintenant) c’est-à-dire la convaincre de témoigner au procès à décharge contre le fils, en racontant les turpitudes subies de la part du romancier. Normalement, étant toujours amoureuse, Gabrielle devrait refuser, mais voilà cette sentimentale troublée par le récit larmoyant que lui fait la vieille (personnage le plus réussi du film, il faut voir le maquillage et les yeux globuleux…) : elle accède à la demande de la grande bourgeoise, qui bien sûr lui laisse entendre qu’elle sera récompensée. Le procès a lieu. Le fils obtient les circonstances atténuantes. La Gabrielle, toujours correcte, va le voir en prison. Il refuse de la rencontrer. Malheureuse, elle s’en va naïvement se confier auprès de la vieille emperlousée. Voici la pépite : la scène représente cette dernière, coiffée d’un immense chapeau blanc, dans son jardin, en train de tailler ses roses. Elle consent à peine à lever le regard sur la jeune femme et lui assène avec le plus grand mépris qu’elle doit désormais retourner à sa place dans la société, sans attendre de la part de la famille le moindre centime. « il vous faut grandir madame » lui dit-elle en la prenant pour une cruche (bon, ce qu’elle est aussi, en réalité).

Pourquoi raconter tout cela ? Parce que, en me souvenant de cette scène, je lis un article de Politis sur un livre que viennent de publier deux sociologues assez connus Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, sur la haute bourgeoisie (« Les ghettos du gotha », ed. du Seuil, 288p, 18 euros). Dans leur essai, et selon le sous-titre de Politis, « les sociologues montrent comment la grande bourgeoisie constitue une classe consciente de son pouvoir et cultivant la solidarité avec ses semblables ». Ils vont jusqu’à dire que la force de cette classe réside dans le collectivisme. Ils disent aussi : « la réalité va à l’inverse de ce qu’affirme Christine Lagarde quand elle déclare qu’il n’y a plus de lutte des classes. Pour s’en rendre compte, il faut prendre la lutte des classes dans l’autre sens et aller voir du côté des dominants ».

 

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On déplore souvent que les ouvriers « aient perdu leur conscience de classe ». Je ne sais pas si c’est vrai. En tout cas, la haute bourgeoisie ne l’a jamais perdue, elle.

De méditation en méditation sur ce sujet, je retrouve le billet que RV (de Posuto) a mis l’autre jour sur son blog, où il fait un parallélisme étonnant entre la situation en France avant 1789 et la situation d’aujourd’hui. Les analogies sont frappantes (et le billet très bon, comme presque toujours !). Difficile de croire en une conséquence similaire (la Révolution, encore que…), mais le rapport de classes est bien là. Sauf qu’entre temps la communication a fait des progrès et les sarkozyens sont habiles à retourner les mots de l’adversaire (souvenons-nous du destin de Jaurès dans la phraséologie du candidat). Ils chercheront à nous persuader qu’ils sont eux aussi pour la fin des privilèges (donc héritiers de 89). Mais quand il s’agit des soi-disant « privilèges » des fonctionnaires à 1500 euros par mois… les effets de la persuasion ne dureront peut-être pas longtemps…

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4 commentaires pour A propos d’un film de Claude Chabrol

  1. Posuto dit :

    Ce billet résonne parfaitement dans ma tête. J’étais en train de penser (enfin de laisser vaquer mon esprit) à la lutte des classes, un concept ancien vieilli obsolète décalé réac has been moisi à foutre aux oubliettes d’après ce qu’en disent certains de ci de là (cahin caha, va chemine, va trottine, va petit âne, va de ci de là le picotin te récompensera). Hé bien non. Je réfute. la lutte des classes, c’est encore du contemporain, sauf que les bénéficiaires réussissent à faire croire aux non-bénéficiaires que cette idée n’est qu’une Arlésiène, et les non-bénéficiares le croient (ce qui rend la lutte grâvement inégale : comment gagner un match si l’on doute de son existence au point de ne pas se déplacer sur le ring).
    Sinon, je vous provoque en duel sur l’heure :
    « le billet très bon, comme presque toujours ». PRESQUE ?!?!
    Je me drape dans ma dignité et sors en sanglotant.
    Kiki 🙂

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  2. Alain dit :

    parce que les autres fois, c’est… EXCELLENT! 🙂

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  3. jmph dit :

    J’ai également été très déçu par le dernier film de Chabrol : la description des turpitudes de la bourgeoisie est un sujet inépuisable (??) mais Chabrol est épuisé et radote. Les comédiens sont confis en caricature, même quand elles sont savoureuses comme la mère jouée par Caroline Sihol.
    Quant à la lutte des classes, je ne suis pas sûr que ce film apporte quoique ce soit pour faire avancer l’idée qu’elle existe toujours. Bien sûr qu’elle existe, mais plus tout à fait comme en 1950. Courrons, Camarades, le nouveau monde est devant nous, pas dans le rétroviseur !

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  4. alainlecomte dit :

    MAIS elle existe, et ce n’est pas mauvais que des livres, des films etc. nous le rappellent… ce n’est pas parce qu’on peut l’oublier de temps en temps que la loi de la pesanteur n’existe pas. Comme le chantait Brassens:
    « la loi de la pesanteur existe,
    et c’est la loi »…
    (mais bon, ce n’est pas pour autant qu’on va reprendre sa carte du PC, les temps ont certes changé!)

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