Dans tout ce que je lis sur les blogs ou dans la presse ces temps-ci, je ne vois pas beaucoup de tentatives d’analyse sérieuse de la défaite de Ségolène Royal à ces élections présidentielles. On s’en remet en général à l’idée (pas fausse) que la gauche française n’a pas su se renouveler, qu’elle « ne pense plus depuis longtemps », comme le dit notamment un blogueur, ou bien aux traits de personnalité de la candidate : elle aurait donné une image de sectarisme, d’autoritarisme (sans se demander si cela est compatible avec l’image de « bécassine » qu’on lui a fait endosser en début de campagne). Un blogueur particulièrement teigneux l’appelait « Mère Ubu »… On s’en remet aussi à une autre observation, assez justifiée (et illustrée avec humour par la blogueuse « Isabelle »), selon laquelle les fameux « éléphants » du PS n’auraient rien fait pour elle, voire l’auraient lâchement abandonnée. Ségolène aurait perdu parce qu’elle n’a pas su réunir son camp (ce que Sarkozy, lui, a remarquablement réussi à faire malgré l’adversité qu’il a du rencontrer au départ). Il y a bien sûr du vrai dans tout ça.
Mais il y a aussi des raisons que je dirais structurelles, qui vont au-delà des particularités de cette campagne. Un vieil ami danois (aïe, il va m’en vouloir si je dis « vieil ») me signale une tribune parue dans Libé sur le bonapartisme inhérent aux institutions françaises : « le triomphe du bonapartisme », par Paul Allies, professeur de sciences politiques à l’université de Montpellier. « Cette élection présidentielle, dit-il, pourrait bien être le triomphe absolu du bonapartisme, cette culture politique dont la France ne parvient décidément pas à se défaire. Nicolas Sarkozy en est l’incarnation à lui seul. » et concernant la gauche, il dit :
« Elle a grandement contribué à la légitimation de ce présidentialisme depuis que François Mitterrand su la convaincre d’en utiliser les ressources à la fois pour accéder au pouvoir et pour l’exercer sous des formes diverses pendant dix-neuf ans en le conservant intact. Au terme de ses deux septennats, il avertissait pourtant que «ces institutions étaient dangereuses avant [lui] et le resteraient après [lui]». Pourtant la gauche n’en tira aucune conséquence : elle mit en œuvre en 2000 le «quinquennat sec» renforçant l’ascendant du président sur la majorité parlementaire ; elle inversa en 2001 le calendrier électoral afin de restaurer tous les effets de la présidentielle sur les législatives. Elle s’est même vantée à l’époque de «restaurer l’esprit de la Ve République», c’est-à-dire ni plus ni moins celui qui a fonctionné si bien contre elle aujourd’hui. »
Et concernant Ségolène Royal :
« Dans les facteurs qui ont joué contre Ségolène Royal, il en est un qui a constamment été exploité, c’est celui de l’inadéquation de son genre, de son (in)expérience mais aussi du style de présidence annoncée avec la nature de la présidence réelle. Il lui reviendra le mérite d’avoir, pour la première fois dans ce genre d’élection, ouvert la perspective d’une nouvelle République où la présidente ne pourrait pas tout. »
Je cite un peu longuement cette tribune parce que je pense que l’auteur a parfaitement raison et que cela va bien au-delà des jupes blanches ou noires de Ségolène ou de son parler autoritaire. Sa campagne s’est déroulée en deux temps. Le premier était plutôt réussi, quoiqu’en ait dit la presse qui, à l’époque, n’avait d’yeux que pour Sarkozy : quelle belle idée que partir à la rencontre des Français pour des débats dits « participatifs » où elle s’immergeait dans leur masse jusqu’à ne plus se vouloir être que leur porte-parole, avec ce principe directeur : « je ne sais pas tout, je n’ai pas réponse à tout ». Et lorsqu’elle fit son discours de Villepinte (si honteusement boycotté par les médias) elle sut faire remonter la teneur de ses échanges au cours de ces débats.
A l’époque je voyais la candidature Ségolène comme une tentative très méritoire de réagir à une tendance marquée à notre époque d’individualisme (lire à ce propos Charles Taylor : « le malaise de la modernité », dont j’ai déjà parlé dans ce blog) qui consiste pour tout un chacun à se replier dans son espace privé en souhaitant ardemment que les affaires politiques soient réglées par des aréopages compétents (quitte quand on n’est pas satisfait à le faire savoir de manière tonitruante). Cette tendance était évidemment flattée par l’autre candidat et il fut un temps où on pouvait penser que si certains « intellectuels » le rejoignaient c’était parce qu’ils étaient tenté par ce modèle de l’exercice du pouvoir par une « élite » (on peut toujours le penser d’ailleurs). Dans ce sens, l’aventure Ségolène prenait la forme d’un immense plaidoyer pour la « vraie » démocratie, celle où les citoyens sont consultés (un peu comme en Suisse, dans le fond…).
Mais les structures sont là. Les institutions persistent. La personnification délirante de ces dernières, voulue par la constitution de la cinquième république (merci De Gaulle, merci Mitterrand) a bien sûr contraint les deux candidats à se propulser en avant. Cela ne pouvait que faciliter la campagne de l’un des deux, mais que plomber celle de l’autre. Car évidemment dès qu’il s’est agi pour Ségolène Royal d’entrer dans ce moule, cela a été avec d’immenses difficultés. Cela l’aurait été aussi probablement pour d’autres femmes, tant le bonapartisme est éminemment machiste. Fini donc le « je ne sais pas tout ». Impossible à tenir. A ce stade de l’ascension vers le pouvoir, il n’y a plus de « démocratie participative » qui tienne. L’erreur de Ségolène a été, à ce moment-là, de ne même pas essayer de faire valoir sa conception différente, moderne, de la démocratie (un autre de mes amis va ici me fustiger, d’employer l’adjectif « moderne » !). Et le tout pour finir dans son aveu d’impuissance lorsqu’elle n’a plus rien d’autre à dire dans un de ses derniers meetings que… « je m’occuperai bien de vous ! ». Oh, la honte….
Or, pourtant, je persiste à croire qu’elle a incarné, au moins un temps, cette nécessaire rénovation de la démocratie dont nous avons besoin et que c’était peut-être là notre chance ultime, que nous n’avons pas su saisir, de faire fonctionner ce pays sur d’autres bases que le bonapartisme. Car il ne faut pas s’attendre à ce que celui qui est élu fasse quelque chose de ce côté-là. Et comme la gauche risque de ne pas avoir le courage de s’attaquer au problème de fond que cela représente (il lui faudrait certaines révisions déchirantes) eh bien… on risque d’en avoir pour longtemps !
C’est très judicieux. Et la conclusion n’est pas encourageante…(l’introduction non plus, bref, cette campagne Brrrr).
Je pense aussi au vote de la peur. Il me semble que nous vivons dans une société effrayée d’elle-même, de son avenir (social, économique, écologique), de ses tensions (immigrations, pressions patronales), bref, je crois que lorsqu’on a peur pour soi on se replie, on se protège, et peu importe les problèmes des autres, c’est le chacun pour soi, le retour de l’individualisme. Les idées de gauche (orienté vers la solidarité envers les autres) provoquent moins d' »envie », et ça, en plus de tout ce que vous décrivez plus haut, ça fait vraiment beaucoup d’obstacles…
Le point positif c’est qu’une droite « dure » va mieux forcer la gauche à réagir (enfin, j »espère…c’est dur d’écrire sur ce clavier avec les doigts croisés…)
Amicalement
Kiki
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