Tenter d’oublier la fureur du monde à Ouessant, d’oblitérer le tumulte des urnes par celui des vagues.
L’île d’Ouessant, extrémité ouest de l’Europe, monde où s’oublie le reste du monde
sous des tonnes d’océan heurtant sans discontinuer ses côtes, ses rochers dressés
comme des armures, pilons droits pointant vers le ciel ou têtes étranges
qu’on dirait sculptées pour ressembler à un peuple de géants,
vastes plateaux au-dessus des récifs, d’une herbe rase et souvent moelleuse et profonde comme un matelas de plumes,

pas un arbre (sauf dans une zone très restreinte au sud-est de l’île),
deux barres parallèles de granit entre lesquelles se creuse une vallée schisteuse,
avec un étang au centre (le Stang).
Cinq phares pour servir de repères,
Stiff à l’Est, là où on arrive venant de Brest,
Kéréon au Sud-Est indiquant le courant du Fromveur, l’un des cinq plus puissants du monde,
Jument au Sud-Ouest, au chapeau rouge,
Nividic à l’ouest avec ses deux tourelles,
et Créach un peu plus au Nord.
Le Créach impose sa stature, ses longs et forts rayons brassent la nuit,
éclairant la lande, et le petit moulin qui reste,
souvenir d’un passé où le vent déjà alimentait l’île.

Anses et criques parfois au calme mais le plus souvent bouleversées par les flots,
coups de butoir comme des détonations au fond des gouffres,
amas de feuillage ou de caisses en bois délivrées par la tempête
en provenance d’on ne sait quelle cargaison portée par un navire qui autrefois fit naufrage.
L’usage est de poser un caillou sur l’épave que l’on a repérée afin que personne n’y touche avant qu’on ne vienne la chercher.
Soudain une tenture grise qui s’allonge enveloppe le paysage,
disparaissent les maisons échelonnées sur les crêtes,
le pêcheur tout à l’heure victorieux du haut de sa falaise se fait petit, vague silhouette dans la brume épaisse.

Les sentiers dans les landes de bruyère prennent des directions au hasard,
quand ils sont trop étroits, on les nomme ribines,
on doit marcher en mettant chaque pas en avant du précédent comme sur un fil étroit tendu entre deux rives.
Au fond des creux et des abîmes se cachent parfois des forts, mis là sous le second empire,
aujourd’hui blocs massifs qui servent de chambres à écho pour les tonnements du vent.
Une petite île accompagne la plus grande, aucun moyen d’y accéder en temps normal,
elle est surplombée d’un château qui ressemble à la maison de Lighthouse Hill d’Edward Hopper,
on dit qu’il y eut là un Diable Rouge.
Mais aujourd’hui, par temps calme, nulle trace d’occupant, réel ou imaginaire.
Dans les flots agités, tourbillons gelés, se promènent allègrement
rien moins que de gentils phoques qui sortent leurs moustaches pour humer par moment l’air pur.
Sur une autre île, plus petite, à mi-chemin de la rade brestoise,
nous avons vu un héron cendré.

Cette île-là était Molène, celle dont un dicton dit : « Qui voit Molène voit sa peine »
tellement la vie y fut rude autrefois, avec pour unique tâche
de ramasser le goémon sur les rochers et les plages
et de le brûler pour en extraire la soude.
Molène aujourd’hui charmant lieu de villégiature pour que les enfants aillent sur la plage dont le sable est si fin
qu’il semble de la farine.
***
Pointe de Pern
Dent acérée
Paquets d’embruns en explosion
on marchera sur les algues
nuages de micro-particules
Je m’endors au son des vagues,
car après le tumulte des urnes
vient rassurant, celui des vagues.
La lande au bord des abîmes
manteau de fougères
et bas de bruyère
ajoncs
sillons dans les buissons
au loin les phares
celui qui balaie
de ses palmes
celui qui râle
dans la tempête
ô moisson des algues,
ramassage des couteaux
innocence des agneaux
bêlements dans les prés.

Molène
Molène est plate comme la main
je fais le tour de sa paume
tandis que ses doigts glissent au loin
oiseau héron
plage de sable fin
ô plaisir de la mer
goémon jeté sur la grève
pierres et stries
en bordures inondées

Curieux comme la fraternité a besoin de peu de choses. On s’est croisé très peu de temps et je comprends tout dans ce que tu as écrit. Un autre mot que les « ribines » dont je situe parfaitement où et quand tu l’as appris (c’est agréable de savoir), un autre mot donc, si tu ne connais pas : Le « Moudez », c’est le nom breton de l’herbe moëlleuse et profonde. Amitiés. Bob Poisson.
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Salut Bob! Merci de ton passage. Oui, ce fut une belle rencontre, et je ne dis pas qu’à l’occasion cela ne me ferait pas envie de revenir à Ouessant te rendre visite lorsque tu y passeras tes six mois prévus! Merci pour « le moudez », mon vocabulaire breton s’enrichit ainsi! Amitiés, Alain.
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