
Si poésie en temps de guerre a ses lettres de noblesse, Paul Eluard écrivant Guernica et Agrippa d’Aubigné Les Tragiques, poésie en temps d’élection n’en a guère… Curieuse façon de si peu honorer la démocratie. Nos poètes seraient-ils indifférents à la manière dont se joue notre destin au temps de la paix ? Comme si, en quelque sorte, l’ordinaire de la vie politique était vulgaire, en dehors de toute appréhension par la poésie. Comme si les urnes électorales étaient moins « poétiques » que les urnes funéraires… Je crois qu’il n’en est rien puisque je crois qu’aucun sujet n’est « poétique » et donc que tous le sont au même titre. Poète concerné disait Abdellatif Laâbi. Jean-Pierre Siméon évoquait Guillevic qui chaque matin au moment de prendre son café demandait le journal afin de prendre connaissance des dernières nouvelles : oui, les poètes sont aussi dans la tourmente et s’enquièrent, parfois avec angoisse, de ce que demain nous réserve. Toujours avec ma voix modeste, entre ces deux tours d’élection, je me permets de donner deux textes qui se veulent être poèmes, même si une nouvelle fois, la rime en est bancale et la musique triste. Mais ils sont l’expression de ma pensée intime et de mon angoisse. La chose la plus terrible qui puisse nous arriver est la victoire de l’extrême-droite en France. Terrible pour nous bien sûr (avec ce qu’elle entraînerait d’atteintes aux libertés, à commencer par celle de s’exprimer), mais surtout terrible pour les autres dont nous ne pouvons faire autrement que clamer qu’ils nous sont chers : les étrangers qui vivent sur notre sol, et dont une partie serait bien vite expulsée, et les étrangers des marges de l’Europe, Baltes par exemple qui craindraient qu’après les Ukrainiens leur tour n’arrive et qu’alors il ne se trouverait plus du côté de la France quelqu’un pour les soutenir puisqu’ « elle » s’alignerait sur le tyran de Russie. Je ne connais ni Kyiv ni Karkhiv, d’où ma difficulté à ressentir pleinement la douleur de la perte de ces trésors anciens, mais je connais Riga et la Lettonie, imaginer la belle cité hanséatique détruite par les bombes m’empêcherait de respirer. (Comme l’a dit Jean-Louis Vullierme sur FB: « pour Poutine, une victoire de MLP aurait bien plus de valeur que la prise de Marioupol« ).
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On ferait comme si de rien n’était.
On verrait le monde s’ouvrir comme un gouffreet on ferait comme si
on ne le voyait pason regarderait ébahi
le rictus en boucheet on ne réagirait pas
on ferait comme si
les positions se valaientcomme si condamner,
expulser étaient des verbes innocentscomme si discriminer
était une loi républicainecomme si les cadavres
étaient poupées facticescomme si aider à combattre
n’était d’aucune utilitécomme si manquer de gaz
était plus grave que les corps innocentsbref on ferait comme si
plus rien ne valait rien
comme si la mort seule
était notre destin***
Macron, Le Pen
où est la différence ?l’une veut chasser les immigrés
l’autre n’a rien dit de celan’est-ce pas pareil ?
L’une veut arracher leur voile
aux femmes musulmanes
l’autre tient au respect
des croyancesoù est la différence ?
l’une défend le gaz
l’autre défend l’Ukrainen’est-ce pas la même veine ?
l’une déchire nos droits
constitutionnels
l’autre y tientn’est-ce pas même lien ?
l’une ira voir Orban
l’autre Zelenskyn’est-ce pas le même esprit ?
Quand en aurons-nous donc fini
de cette indifférence ?
