
Un vrai cadeau de Noël. Au moment où l’on a des raisons de se sentir captif (limitation des voyages, paralysie des transports) on ressent ce départ annoncé vers les autres planètes comme une bouffée d’air, une joyeuse échappée. Il s’agit du film Proxima avec Eva Green en astronaute nommée Sarah Loreau, qui s’entraîne à partir vers la station internationale ISS à bord d’une fusée MIR et en compagnie de deux autres astronautes, mais masculins ceux-là, un Américain et un Russe. Sarah a une fille de huit ans (ou à peu près), espiègle et vivante, normale dans sa singularité comme le sont tous les enfants. Stella, un prénom qui convient bien à l’enfant de parents qui côtoient les étoiles (car le père aussi est de la partie, astrophysicien qui se spécialise sur Vénus), un peu timide, pleine de questions, elle qui, lorsqu’elle rencontre pour la première fois Wendy qui va s’occuper d’elle pendant ses déplacements, se présente comme dyslexique, dys-calculique et dysorthographique… Elle se replie sur son chat roux et quand elle suit son père dans une ville allemande (Darmstadt après Cologne) on voit en elle l’Esther de Riad Satouf, intimidée par les petits voisins, mais rougissante de plaisir à l’idée d’aller jouer avec eux. Bref, une enfant normale. Avec la seule différence par rapport aux autres que sa mère à elle est astronaute, ce qui est un métier partagé par bien peu de femmes, quelques dizaines à peine. Dans le générique final, la réalisatrice, Alice Winocour, rend hommage à plusieurs d’entre elles qui étaient mères, qui sont parties (et revenues!). Valentina Terechkova, Claudie Haigneré, Naoko Yamazaki, Eileen Collins, Julie Payette… Faut-il qu’on les glorifie plus que les hommes ? Peut-être pas, mais pas moins en tout cas surtout quand elles ont toujours voulu assumer intégralement leur rôle de mère. Film féministe ? Oui, mais dans un sens particulier. J’ai lu des critiques qui ricanaient parce que le personnage d’Eva Green, au départ porteuse de la lutte féministe pour l’égalité entière avec les hommes, avait ses soucis : règles, appels téléphoniques intempestifs de la gamine, et même un peu de vague à l’âme, moments de tristesse et de solitude. Pendant un de ces moments, elle va chercher appui et secours auprès de Mike, l’astronaute américain, c’est le moment pour nos critiques de ricaner, comme si le film n’allait pas jusqu’au bout de son parti féministe, alors que c’est là simplement un souci de réalisme, « nous ne sommes pas des robots » dit Mike, et les femmes non plus. Ce film reste féministe au sens où il est proche des femmes réelles, concrètes, qui ont leurs sentiments et leurs faiblesses mais qui les expriment mieux souvent que ne le font les hommes. Malgré toutes les épreuves qu’elle doit endurer, Sarah partira dans l’espace. Stella arrivera en retard à Baïkonour : les astronautes auront déjà pris le chemin de la quarantaine, ce qui obligera mère et fille à dialoguer au travers d’une vitre. Belle séquence. Il y a toujours dans la vie un moment où une vitre nous sépare de ceux que nous aimons. Seule invraisemblance du film : la mère, décidément triste de ne pas avoir accompli toutes ses promesses envers sa fille, s’échappe du secteur de mise en quarantaine et rejoint Stella pour l’emmener face au champ de tir. Elles se faufilent sous des grillages. Ne se font pas attraper… on se demande comment cela serait possible « en vrai »… mais cela n’est pas si important. Au moment du départ de la fusée, la gamine est sur le dos du père, lui a les yeux rougis de larmes, mais elle, elle a compris la joie que c’est, de partir…
Ce film est à contre-courant. On devine les critiques émanant du bon sens écologique: les voyages spatiaux sont, à coup sûr, gourmands en énergie et émetteurs de CO2, et puis ne peut-on pas utiliser l’argent de la conquête spatiale à autre chose ? Et puis conquérir Mars pourquoi ? Pour exploiter ses richesses, après avoir semé la désolation sur Terre?
Pourtant la recherche spatiale reste un rêve, le rêve inévitable de l’espèce humaine, tel qu’il se forme dès que les humains lèvent les yeux vers le ciel. Comment voulez-vous que nous, jetés dans l’âpre solitude de l’univers, ne souhaitions pas explorer ce qu’il y a autour de nous, aller plus haut, plus loin ? Les humains préhistoriques n’ont-ils pas commencé à démultiplier leurs pouvoirs dès qu’ils ont fabriqué les premiers propulseurs, ces outils faits pour envoyer plus loin lances et harpons ? N’est-il pas concevable que l’humanité se sauve en allant sur Mars ou les autres planètes ? J’entends l’humanité ici au sens intensionnel, et non extensif car non, bien sûr, tous les humains n’iront pas, mais à l’échelle des étoiles n’importe-t-il pas avant tout que quelque chose soit préservé de l’humain, même si c’est au travers d’un groupe restreint, en tant que témoignage et survivance d’une entreprise à la fois folle et désespérée : celle d’avoir essayé de vivre avec une conscience évoluée ?

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Autre film, autre départ, presque aux antipodes, un départ au fond de soi, au fond des ténèbres, sur les routes asphaltées et les chemins terreux d’une Amérique qui meurt de misère et de déshérence : Lillian, beau film d’Andreas Horvath en hommage à une marcheuse désespérée des années vingt transplantée à notre époque contemporaine. Lillian Alling était russe, venue chercher on ne sait quoi sur les rives de l’Hudson. On la voit au début proposer ses services à l’industrie du porno. Elle est rejetée car on ne sait rien d’elle, son visa est périmé depuis six mois et elle ne parle même pas anglais. Que faire ? L’homme lui suggère de retourner chez elle, en Russie, pays de mille opportunités. Lillian est seule, n’a pas un rond, elle se forge en elle-même l’idée folle de rejoindre la Russie à pieds, elle traverserait toute l’Amérique du Nord, par le Yukon puis l’Alaska avant de traverser le détroit de Behring. Ce film est prétexte à un documentaire saisissant sur les Etats-Unis aujourd’hui. On va de petite ville au sein des Appalaches, qui répare pour la nième fois ses blessures dues à des inondations et ouragans, où la seule restauratrice du coin survit grâce à une brocante (notre pauvre Lillian – et non Lélian – s’y sert abondamment sans payer…) à des villages improbables du Milwaukee où les habitants célèbrent la fête de l’Indépendance par des parades militaires où chacun est invité à regarder dans les yeux un héros de l’Amérique, pauvre vétéran revenu du Vietnam, d’Irak ou d’Afghanistan, des endroits du Middle West où l’on pratique pour se distraire d’étranges rodéos motorisés (cela s’appelle stock-cars et avait un peu pris en France dans les années soixante avant de disparaître faute sûrement d’espaces, de carrières ou de terrains en friches), les Grandes Prairies où se réunissent les Indiens des réserves en colère contre l’installation d’un oléoduc – magnifique séquence où un ancien des tribus Lakotas, Dakotas ou Nakotas harangue la foule avec des arguments percutants à l’encontre de l’Homme Blanc en qui, plus jamais, on n’aura confiance, ou bien l’autoroute des larmes, ainsi appelée à cause des nombreuses disparues, victimes de violeurs et tueurs en série, jusqu’aux abords des Rocheuses avec des paysages sculptés par les vents qui ont amené là des cendres volcaniques, puis jusqu’au coeur desdites Rocheuses, au long de la rivière Yukon, Hôtel du centre-ville de Dawson, où bien sûr notre héroïne ne peut aller, préférant se faufiler dans la laverie d’à côté. Fleuve à demi gelé où elle tente de s’embarquer à bord d’une pirogue. Fin dans les glaces bleutées, mort adoucie par les draperies vertes d’une aurore boréale. Un peu plus tard, des tchouktches de Sibérie recueilleront la tête d’une poupée, sans qu’on ne les ait vus auparavant conter des histoires de baleines à leurs petits-enfants, puis pêcher la baleine, grand géant pré-historique donnant à tout un village du bord du détroit la chance de pouvoir manger plusieurs semaines. Combien de fois aurons-nous entendu la voix de Lillian durant ce périple ? Presque jamais. Nous aurons vu ses longues jambes souvent meurtries d’estafilades, son empressement à se laver le corps chaque fois qu’elle le peut, ses crises de détresse et de colère contre elle-même, ses lèvres qui se dessèchent lorsque la température atteint des sommets. De voix, nous aurons surtout entendu celles, quasi-permanentes, des speakers de radio locale qui ne trouvent à chroniquer qu’une vente de bovins à vingt miles, un match de base-ball à la ville lointaine, et le temps qu’il fait, toujours changeant, annonçant les tempêtes ou bien se réjouissant d’un printemps qui vient. Eh oui, c’est ça l’Amérique. On pense parfois en regardant ce film à Sans toit ni loi, mais ce serait un « sans toit ni loi » à l’échelle d’un continent, plus radical encore dans l’errance : Lillian n’accepte rien de ses rencontres, même pas un soda, ou alors juste une veste de la police lorsqu’un shériff la ramasse au bord de la route et la reconduit simplement à la limite de son conté, Lillian fuit tout le monde parce qu’elle ne connaît pas la langue, parce qu’elle a peur des gens, parce qu’une irrésistible envie l’appelle vers un Grand Nord qui, pour elle, serait synonyme de paradis. Beau film, merveilleusement joué par une non-actrice et réalisé avec un regard à la fois tendre et impitoyable.
Sûrement deux beaux films, pas vus !
Bonnes fêtes !
Dominique
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merci! toi aussi!
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