Journal de voyage en Bolivie: Tuni, un village écologique

Tuni est un tout petit village à 4450 mètres d’altitude, une « comunidad » comme on dit en Bolivie, qui doit compter une dizaine d’habitants à peine, il est près de sa laguna dont il est séparé toutefois par une petite bosse au sommet de laquelle se trouve une sorte d’établissement scientifique pour l’analyse de l’eau et l’enregistrement des vents. Il est entouré de pâturages pour les lamas et les alpagas qui sont sous l’autorité de quelques femmes du village comme cette Victoria dont nous ferons connaissance bientôt. Notre gîte est une maison rectangulaire au toit de tôle orange (la moitié des autres maisons ayant un toit de chaume), en longueur, avec trois chambres, une cuisine, une douche que Marisol fera couler bien chaude, sans discontinuité, pour elle d’abord puis pour chacun de nous à tour de rôle. Bienfaisance du chaud, plaisir de se laver après quatre jours d’efforts.

Le village de Tuni sous la neige

Au matin le sol est de nouveau blanc de neige, les lamas, pris de court, ne souhaitent pas quitter leur enclos puisqu’il n’est point d’herbe à brouter au-delà. Les premiers rayons du soleil font fondre un peu ce gel qui engloutit les plantes. Et les voilà partis nos lamas, nos alpagas en rangs serrés, menés par la Victoria déjà citée et nous à sa suite pour comprendre où ils vont…

L’alpaga se distingue du lama par une tête plus poupine et des oreilles plus petites, il a l’air inconsolable des enfants égarés. Sa laine quand on la caresse au plus près de la peau est douce et chaude, ce qui lui vaut le triste privilège d’en être dépouillé une fois tous les trois ans.

au centre, l’alpaga

Quand nous revenons d’une courte balade, descend d’un camion à ridelles une troupe d’étudiants de l’université technologique d’El Alto qui viennent pour apprendre et s’entraîner à donner aux bêtes leurs vitamines et leurs traitements anti-parasitaires, joyeuse ambiance de jeunes garçons et filles à la campagne trop heureux d’avoir pu quitter un instant l’air pollué de la capitale.

D’un petit monticule dominant le village, nous embrassons du regard la Huayna Potosi, autre grand des Andes (avec l’Iliampu et l’Illimani) que C. avait gravi il y a vingt cinq ans, un sommet de plus de 6000 mètres, pas si difficile à vaincre paraît-il, en tout cas ne nécessitant pas de qualités techniques particulières, trekking peak dit-on dans le jargon des trekkeurs, flanqué d’un pic moins haut mais qui semble plus pointu tant au plan géométrique qu’au plan technique, mais auquel je ne m’affronterai jamais… Les sommets sont si beaux vus depuis leur base.

Plus tard, nous revoilà auprès de Victoria mais pour une leçon de tissage. Le métier à tisser andin est rudimentaire : un cadre de bois où sont tendus les fils multicolores qui composeront la couverture (appelés « fils de chaîne » dans un article intéressant de Sophie Desrosiers), un peigne (ou « rang de lisses » selon la même source) où sont accrochés les fils, les séparant en deux « nappes », celle du haut et celle du bas. La tisserande passe entre les deux couches une navette contenant un fil neutre (la « trame »), tasse bien au moyen d’un bâton, s’aide pour cela aussi d’un os de lama afin de bien séparer les fils, puis repasse la navette et avant de recommencer un autre cycle, frappe les fils de chaîne de sa main droite pour qu’ils se mettent bien en place. On le sait, les tissages tiennent une grande place dans le monde andin : chaque village, chaque aire géographique a son propre dessin, que l’on ne saurait confondre avec celui des autres, c’est comme si un langage apparaissait. On connaît, du reste, les antiques quipus qui n’étaient rien d’autre que des tissages qui codaient les nombres et les opérations sur eux. Le musée d’ethnographie de La Paz possède plusieurs salles très savantes où l’on expose ces techniques et ces réalisations (le musée d’ethnographie de La Paz contient plein d’autres choses aussi, comme une salle de masques étonnants, de ces masques qui sont utilisés dans les grandes fêtes comme le carnaval annuel d’Oruro où, chaque année, on relève des morts et des blessés, ou bien une salle consacrée à l’utilisation des plumes dans la culture aymara, qu’elles soient de perroquet bariolé ou bien de flamand rose dans la fabrication de tenues vestimentaires, de chapeaux, sombreros en tous genres et couronnes de mariées, ou bien encore une salle consacrée au métal ce qui est bien la moindre des choses dans un tel pays de mines, où l’on peut voir en détail la fabrication artisanal des objets en fer, les fours de fonderie familiaux, les représentations de démons qui se cachent dans les mines, comme « El Tio de la Mina » – El Tio es una deidad del mundo subterraneo al que los mineros andinos piden proteccion contro los accidentes en el reabajo diario y le solicitan que les entregue las riquezas minerales a combio de ofrendas!).

Illustration extraite de la publication citée ci-dessus :

Après les textiles, les mines. Ce jour étant jour de repos, c’est un trajet en voiture qui nous conduit vers deux nouvelles petites lagunes à 4600 mètres (les lagunas Wich’u Khota et Sura Khota), habitées par la poule d’eau et le canard huppé (qui niche en ce moment), et dont nous faisons le tour à pied, passant par les orifices creusés dans la montagne de plusieurs mines aujourd’hui abandonnées. On y trouvait de l’étain, du zinc et de l’argent. Les mineurs transportaient leur production sur le dos jusqu’à l’atelier bâti juste à côté pour opérer le tri, lequel se faisait aussi à la main, au marteau réduisant la pierre en poussière. Cela a fonctionné jusqu’aux années quatre-vingt, les mines étant des concessions accordées par le gouvernement à des familles qui n’y travaillaient pas nécessairement toute l’année mais peut-être trois mois par an, ce qui leur permettait de consacrer le reste du temps aux travaux des champs et de l’élevage. Grand silence aujourd’hui en ces lieux autrefois vibrant des explosions de dynamite…

Retour à l’ambiance heureuse de notre refuge, Marisol nous montrant son album de photos de famille et de voyages, photos de cérémonies, photos de paysages bien cadrés, photos de rencontres avec les nombreux touristes qui nous ont précédés. C’est que cela fait maintenant de nombreuses années (dix, vingt?) que Tuni s’est fait une spécialité de l’agro-tourisme, comptant sur les visites que viendront lui rendre tous ces étrangers venus d’Europe ou d’Amérique et montrant s’il le fallait qu’il y a encore place pour une entraide solidaire entre les habitants de cette planète au-delà des océans et des chaînes montagneuses.

La fin du voyage approche. Le cycle du voyage se ferme, que l’on pourrait résumer ainsi : angoisse avant le départ, sentiment de se jeter à l’eau au moment du départ, puis plénitude lors du voyage, non parfois sans quelques retours d’angoisse face à l’affrontement de difficultés non prévues (ou non complétement envisagées), puis euphorie au moment de la fin, comme si l’on allait totaliser enfin cette expérience unique, en faire un roman, que sais-je une épopée, un re-départ dans l’existence, l’assurance de passer une année heureuse à force de se repasser en boucle les plus beaux moments, l’esprit rempli de joie d’avoir pu rencontrer d’autres que nous-mêmes à l’autre bout du monde, d’avoir entendu leurs mots, leurs inquiétudes, leurs opinions (sur Morales, la politique en général…) et puis aussi leurs musiques, sorties de tous ces instruments qu’ils ont créés, charango, quena, zampoña… d’avoir pu aller au bout d’un rêve lorsque celui-ci coïncide avec le bout d’un monde.

Merci à ceux et celles qui nous ont aidé à organiser ce voyage. En premier lieu à l’équipe d’Altaï Peru, coordonnée à Lima par Lisa et Lucho et à La Paz par Carmen, à l’équipe de guides qui nous ont accompagnés : Jaelle (sur toute la partie sud et le Titicaca), Jaime et Pepe Lucho (sur la partie Cordillère), à la cuisinière Marisol (sœur de Jaime) et au muletier Mickaël, aux chauffeurs : Freddy dans le Lipiez et sur le Salar, Domingo à La Paz et à Titicaca, Emmanuel à Santa-Cruz de la Sierra (où nous avons juste fait une escale avant de reprendre l’avion le lendemain pour Madrid), et bien sûr au manager général d’Altaï, el señor Yann.

Marisol, Jaime et Pepe Lucho

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Un commentaire pour Journal de voyage en Bolivie: Tuni, un village écologique

  1. l'effronté dit :

    Du début à la fin, ce journal de voyage nous aura comblés de récits, de photos, d’aquarelles… Les beautés de la Bolivie nous sont un peu plus familières. Tu as accompli un travail admirable. Ce journal semble le plus complet de ton blog.
    Mieux que  » l’assurance de passer une année heureuse à force de se repasser en boucle les plus beaux moments  », je vous souhaite avec ton épouse d’enchanter toutes vos années à venir avec ces beaux souvenirs.

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