Le Sikkim et les poèmes qu’il inspire

A Gangtok, j’ai découvert la poésie de Guru Ladakhi. Guru Ladakhi est né et vit à Gangtok. Il a publié un livre de poèmes chez l’éditeur « Speaking Tiger ». Sa poésie est simple et inspirée de sa vie quotidienne ainsi que des sites qu’il connaît et fréquente, ou des gens qu’il a rencontrés. D’ailleurs son livre se répartit en quatre sections principales : « les gens », « les lieux » , « les saisons » et un post-scriptum. Dans les gens, un poète, dénommé Robin, un moine : le vieux moine de Sonada et… Vincent (van Gogh) après une visite du Musée d’Orsay. Parmi les lieux : le Ladakh, Bodghaya, Kalimpong, Shillong et même l’Afrique.

Ladakh

Where the dashing jawline of the Karakoram
crushes onto the broad shoulders of the Himalaya,
this land, my namesake,
lifting above the clouds.

In this desolate country
who hewed these stones to arch ?
The unknown artists in Alchi
painting the eyes of Maitreya
steal glimpses through the lens of time.
The sheer determination of the ramparts of Hemis
betray a quiet awe ;
the plain of Changthang is the wind in my hair.
Here, before a naked sky and earth,
everything is broken down to basics,
need is reduced to the simple arithmetic
of survival,
joy enhanced by the straightforward rejection
of want.

This land of saints and salt traders
clings to my mornings
like an umbilical cord
bequeathed by a lost ancestor.

(trad. suggérée :

Où la fringante ligne dentelée du Karakoram
s’écrase sur les larges épaules de l’Himalaya,
cette terre, mon homonyme,
s’élevant au-dessus des nuages.

Dans ce pays désolé
qui a taillé ces pierres à fabriquer des arches?
Les artistes inconnus d’Alchi
peignant les yeux de Maitreya
ont volé des aperçus à travers la lentille du temps.
La détermination évidente des remparts d’Hemis
trahit une crainte tranquille;
la plaine de Changthang est le vent dans mes cheveux.
Ici, devant un ciel et une terre nues,
tout se résume à l’essentiel,
le besoin est réduit à la simple arithmétique
de survie,
joie renforcée par le rejet direct du vouloir.

Ce pays de saints et de marchands de sel
s’accroche à mes matinées
comme un cordon ombilical
légué par un ancêtre perdu.)

Rôle du voyage : un cheminement vers, chaque jour, de nouvelles découvertes, des personnes – pas seulement des écrivains – dont on ne soupçonnait pas l’existence l’instant d’avant la rencontre, des lieux qui étaient hors de notre imagination.

Monastère de Rumtek

De Gangtok, il est facile d’aller à Rumtek (24 kilomètres), centre de l’école des Karma-Kagyudpas, reproduction du temple de Tsurphu qui se trouve en Chine et que pour cette raison, les moines ne peuvent plus fréquenter. Le chef de cette école est le Karmapa. Nous en sommes en principe au 17ème. On se souvient peut-être qu’en 2000, le Karmapa désigné selon des règles très ésotériques (recherche de la réincarnation du précédent au travers d’identification d’objets personnels, de lettres et de poèmes portant prédiction etc.) avait fuit le Tibet pour rejoindre le Dalaï-Lama au grand dam de Pékin. Un autre Karmapa fut mis en avant avec le soutien des autorités chinoises. Ainsi commença la guerre des Karmapas. Or, il ne peut y en avoir qu’un sur le trône de Rumtek… Les autorités indiennes interdirent au Karmapa de Dharamsala (celui qui est le protégé du Dalaï-Lama) de se rendre à Rumtek, juste afin de temporiser avec la Chine. Mais ses partisans ne l’entendirent pas de cette oreille… et tentèrent un coup de force, réprimé par l’armée indienne. Depuis, le très vaste monastère est gardé par l’armée, nous ne pouvons pas y entrer sans être fouillé et montrer patte blanche (passeport, permis etc.). On peut ajouter à cela que le chef de la secte, une fois désigné sans équivoque, devra revêtir la coiffe traditionnelle, une coiffe, excusez du peu, faite de cheveux authentiques supposés provenir de la chevelure d’une daïkani. Le clan qui récupérerait ce « graal » serait peut-être déclaré vainqueur… Quel jeu ! L’état indien, lui, joue l’arbitre : le coffre renfermant les cheveux de Daïkani est mis sous scellé – ceci m’est confirmé par le guide qui nous accompagne lors de la visite du temple – et soigneusement gardé dans un lieu inconnu…

jeune moine apprenant, à Rumtek

N’est-ce pas que partout, les êtres humains se conduiraient comme de grands enfants ? – j’en demande pardon aux vrais enfants qui, eux, souvent sont plus sages et inventent des jeux moins dangereux pour leur cours de récréation. Que l’on ne voie pas chez moi une forme de supériorité, de condescendance à l’égard de ces hommes du continent asiatique, car depuis ici, la France, étant données les informations que nous en recevons via Internet, semble ne pas être avare de ces jeux ayant pour objet le pouvoir. Scandales et faux scandales, dénonciations justifiée ou calomnieuses ne comptent pas tant pour leur authenticité que comme éléments de stratégies dont l’élaboration nous stupéfie toujours quand nous les voyons de l’étranger, dans ces moments de distanciation et de sérénité que procure l’éloignement. Oui, la France est loin. Le grand jeu (de dupes) qui s’y développe se nomme politique.

Aux dernières nouvelles, les deux prétendants karmapas se seraient rencontrés (ce 11 octobre)… en France et ils auraient pactisé, trouvant belle l’idée qu’après tout, rien n’interdit à un rimpoche de se réincarner dans plusieurs personnes à la fois… En voilà une belle idée ! Peut-être nos politiques devraient-ils en prendre de la graine ?

La rencontre a probablement eu lieu en Bourgogne où il existe un monastère de cette lignée. Cela me rappelle une rencontre que nous fîmes au cours d’un de nos lointains voyages (lointains dans le temps cette fois) avec le grand lama du Bhoutan, de la lignée Drukpa (également des kargyupas). Nous nous trouvions dans le même hôtel, à Kyelong, petite ville entre Manali et le Ladakh et nous communiquâmes au petit déjeuner. Il avait une femme fort jolie, mère d’un petit garçon turbulent. Elle nous entretint des difficultés de l’éducation, et lui, des vins de Bourgogne. Il disait qu’il avait un domaine là-bas. Il aurait aimé qu’on se promène avec un bon vin dans notre sac à dos. Ça lui aurait plu de s’en jeter un petit gorgeon…

Monastère de Kalimpong

Un enfant de trois ou quatre ans assis sur un trône
en face d’un moine chenu
dévôt comme un apôtre
des moines en rouge et bras nus
assis en face les uns des autres,
psalmodiant et chantant les mantras
embouchant trompes et cornues

d’autres enfants, assis, eux, en position moins respectable,
pour rendre honneur à ce tulku.
Ils se lèvent et servent sur les tables
thé, beurre de yak et vin doux

les musiciens frappent sur leur gong
au temple nyingmapa de Kalimpong

(A.L.)

Nyingmapa Phelri Gompa, Kalimpong, peinture

Eléna Roerich

Dans un jardin cadenacé au centre duquel se trouve un stupa tout blanc
sont réunies les cendres d’Eléna Roerich
plus précisément c’est le stupa qui est leur contenant.
On se demande juste un peu qui était cette Eléna si riche

Une femme de lettres, l’épouse de Nicolas du même patronyme,
peintre et homme de paix qui faillit du Nobel être récompensé
qui créa une école de yoga et se livra au mysticisme
Étudia le bouddhisme, prôna le rôle de nos pensées
et transmit cette passion à son fils, tibétologue de renom.

Tous influencés par la Théosophie,
Annie Besant, Krishnamurti etc.

La tombe est interdite
d’accès mais le jardinier
en homme pas si vain,
m’ayant à la bonne me permit d’entrer.
C’est ainsi qu’en trois minutes,
théosophe je devins.

(A.L.)

tombeau d’Eléna Roerich

Gangtok est une ville toute en rampes et en escaliers. On monte vers la promenade aérée (le Ridge) et on descend vers les rues congestionnées. Tout en bas, un Institut de Tibétologie contenant des pièces incroyables. Des flûtes faites avec des tibias humains, des coupes pour boire qui consistent en des hémisphères de crânes, toujours humains. Des commentaires du Prajnaparamita sur des feuilles de palme en écriture lepcha. Des tangkas pédagogiques qui nous apprennent tout sur Bouddha et les écoles tantriques. Et dans un coin une tangka de sagesse qui montre Dignaga, inventeur de la logique…

Dignaga, Institut de Tibétologie de Gangtok

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2 commentaires pour Le Sikkim et les poèmes qu’il inspire

  1. Michèle B. dit :

    Théosophe ? en trois minutes ? Est-ce l’ivresse de l’altitude ?

    J’aime

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